Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... Satin a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner avant dire droit une expertise médicale et de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme globale de 393 680,10 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge fautive au sein du service d'urologie de l'hôpital Tenon. La Sarl CPSP Sourcing est intervenue volontairement à l'instance et a demandé au tribunal administratif de condamner
l'AP-HP à lui verser la somme de 42 105,96 euros. La Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne est également intervenue à l'instance, a demandé au tribunal administratif de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 55 087,29 euros au titre de ses débours et de réserver ses droits quant aux prestations qui pourraient être versées ultérieurement.
Par un jugement n° 1711919/6-3 du 9 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a admis l'intervention de la Sarl CPSP Sourcing, condamné l'AH-HP à verser à Mme Satin la somme de 15 000 euros en réparation de ses préjudices outre une indemnité de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, mis les frais d'expertise - liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros - à la charge de l'AP-HP et rejeté le surplus des demandes de Mme Satin ainsi que celles de la Sarl CPSP Sourcing et de la CPAM du Val-de-Marne.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mars 2020, et un mémoire, enregistré le 31 août 2021, Mme Satin et la Sarl CPSP Sourcing, représentées par Me Joseph-Oudin, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1711919/6-3 du tribunal administratif de Paris du 9 janvier 2020 en tant qu'il a limité la somme allouée à Mme Satin à 15 000 euros et rejeté la demande de la Sarl CPSP Sourcing ;
2°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à Mme Satin la somme totale de 393 680,10 euros ;
3°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à la Sarl CPSP Sourcing la somme de 42 105,96 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme de 5 000 euros à verser à Mme Satin et celle de 1 000 euros à verser à la Sarl CPSP Sourcing en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris aux entiers dépens.
Elles soutiennent que :
- le consentement libre et éclairé de Mme Satin à la réalisation de l'intervention du 31 mai 2016 n'a pas été recueilli, en méconnaissance de l'article L. 1111-2 alinéas 1, 2 et 3 du code de la santé publique ;
- son consentement libre et éclairé aux conditions de réalisation et de diffusion de l'intervention, par une personne étrangère au service dont l'identité ne lui a pas été communiquée, ne l'a également pas été ;
- la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris est engagée sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique en raison d'une faute commise lors de la réalisation du geste opératoire ;
- cette faute a entrainé une perte de chance d'échapper au dommage de l'ordre de 90 % ;
- en appliquant le barème d'indemnisation des cours d'appel judiciaires figurant à la Gazette du Palais 2018, les préjudices que Mme Satin a subis doivent être évalués comme suit, après application du taux de perte de chance de 90 % :
* déficit fonctionnel temporaire : 4 104 euros ;
* souffrances endurées : 18 000 euros ;
* préjudice esthétique temporaire : 1 800 euros ;
* déficit fonctionnel permanent : 30 960 euros ;
* préjudice d'agrément : 7 200 euros ;
* préjudice esthétique permanent : 4 500 euros ;
* préjudice sexuel : 9 000 euros ;
* préjudice permanent exceptionnel : 27 000 euros ;
* dépenses de santé actuelles : 376 euros ;
* assistance tierce personne temporaire : 9 274 euros ;
* assistance tierce personne permanente : 223 266,44 euros ;
* incidence professionnelle : 9 000 euros ;
- son préjudice moral d'impréparation doit par ailleurs être évalué à 50 000 euros ;
- le préjudice de la société CPSP Sourcing dont Mme Satin est la gérante et qui l'emploie s'élève à 42 105,96 euros correspondant à la rémunération brute de sa remplaçante.
Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 29 septembre 2020, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement n° 1711919/6-3 du tribunal administratif de Paris du 9 janvier 2020 et au rejet des demandes indemnitaires ; à titre subsidiaire et en tout état de cause, au rejet de la requête d'appel et des conclusions de la CPAM du Val-de-Marne.
Elle soutient que :
- aucune carence informative ne peut lui être reprochée ;
- aucune faute n'a été commise lors de la réalisation de l'acte opératoire ;
- en tout état de cause, le taux de perte de chance retenu consécutif à la faute invoquée devra être faible compte-tenu des incertitudes scientifiques quant au bénéfice du contrôle du geste ;
- les demandes indemnitaires devront être rejetées ; à défaut, en appliquant le barème d'indemnisation habituel, les sommes allouées devront être ramenées à de plus justes proportions.
Par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2022, la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne, représentée par Me Lefebvre, demande à la cour :
1°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 50 673,86 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019 au titre des dépenses de santé engagées pour le compte de Mme Satin ;
2°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 4 413,43 euros au titre des dépenses de santé futures qui devront être engagées pour le compte de Mme Satin, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur engagement ou, en cas de versement en capital, à compter de l'arrêt à intervenir si l'AP-HP opte pour le versement d'un capital ;
3°) de réserver ses droits quant aux prestations non connues à ce jour et celles qui pourraient être versées ultérieurement ;
4°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
5°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que sa demande est fondée en son principe conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ainsi qu'en son montant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de la sécurité sociale,
- l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- les observations de Me Dillies représentant Mme Satin et la SARL CPSP Sourcing et de Me Tsouderos représentant l'AP-HP.
Considérant ce qui suit :
1. Mme Satin, qui souffrait de façon récurrente de calculs rénaux et avait déjà bénéficié d'une lithotritie extracorporelle (LEC) en 2009 à l'hôpital Henri Mondor, s'est vue diagnostiquer un nouveau calcul dans le rein gauche, en mars 2015. Le 31 mai 2016, elle a subi une néphrolithotomie percutanée et lithotritie laser (NPLC) selon la technique dite " mini-perc " au sein de l'unité d'urologie de l'hôpital Tenon. Les suites opératoires ont été marquées par des complications nécessitant l'administration d'une antibiothérapie ainsi que la pose, le 2 juin 2016, d'une sonde urinaire en " double J ". Un scanner effectué cinq jours plus tard a permis de confirmer l'existence d'une fistule entre le rein et le côlon nécessitant un drainage de l'infection. Le 9 juin 2016, un
picc-line a été posé pour la poursuite de l'antibiothérapie et une nutrition antérale. Le 10 juin 2016, un drainage abdominal a été réalisé et la sonde JJ a été remplacée par une sonde urétérale. Le 14 juin suivant, une nouvelle sonde JJ a été posée. Le lendemain, l'antibiothérapie a été adaptée du fait de la présence d'Enterobacter Cloaclae BLSE. L'apparition d'une thrombocytose réactionnelle à l'inflammation a également été constatée. Le 17 juin 2016, la néphrostomie a été retirée. Le 19 juin, la patiente a souffert de douleurs thoraciques antérieures et vers l'épaule gauche et de palpitations. Le 22 juin suivant, en l'absence de complication, la sonde JJ a été remplacée par une sonde urétérale. Mme Satin a regagné son domicile le 30 juin 2016, sous traitement antalgique et antibiotique. Le 25 novembre 2016, lors d'une nouvelle hospitalisation, une algodystrophie/capsulite de l'épaule gauche a été diagnostiquée. Par courrier reçu le 18 mai 2017, Mme Satin a sollicité auprès du directeur de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) l'indemnisation des préjudices imputés à sa prise en charge défaillante à l'occasion de l'intervention du 31 mai 2016. Sa demande a été implicitement rejetée. Par une ordonnance du 23 janvier 2018, à la demande de Mme Satin, le président du tribunal administratif de Paris a désigné un expert, chirurgien urologue, auquel s'est adjoint un médecin rhumatologue en qualité de sapiteur. Ces derniers ont déposé leur rapport le 25 septembre 2018. Par un jugement du 9 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à Mme Satin la somme de 15 000 euros en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus de ses demandes ainsi que celles de la Sarl CPSP Sourcing et de la CPAM du Val-de-Marne. Mme Satin et la Sarl CPSP Sourcing en font appel. L'AP-HP forme un appel incident et la CPAM du Val-de-Marne intervient à l'instance.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne le défaut d'information préalable :
2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser ".
3. En présence de plusieurs techniques alternatives à celle pratiquée, Mme Satin reproche au médecin de l'AP-HP de ne pas l'avoir informée des risques fréquents ou graves normalement prévisibles susceptibles de survenir lors d'une NLPC selon la technique dite " mini-perc ".
L'AP-HP oppose à cela que la patiente avait déjà reçu l'information requise relative aux différentes thérapeutiques envisageables et manifesté à cette occasion son extrême réticence vis-à-vis de la pose de sondes et qu'en outre, après avoir consulté depuis lors deux autres praticiens et avoir été informée par ces derniers des avantages et risques des différentes techniques envisageables, Mme Satin s'était longuement entretenue téléphoniquement, le 4 mai 2016, avec le Dr A... qui les avait évoqués. Pour autant, il résulte de l'instruction, d'une part, que l'information délivrée près de sept ans auparavant ne saurait être regardée comme de nature à constituer l'information requise à l'occasion de la réalisation d'une NLPC qui constitue une variante d'une autre technique et, d'autre part, que l'information délivrée par les docteurs Tligui et Bottet en 2015 et 2016 portait sur d'autres techniques. Ainsi, et quand bien même la preuve de la délivrance de l'information requise qui incombe à l'établissement public de santé pourrait-elle être délivrée par tous moyens, en se bornant à produire une attestation non circonstanciée de l'assistante du docteur A... établie le 10 septembre 2018, soit plus de deux ans après la conversation téléphonique dont celle-ci aurait été témoin,
l'AP-HP n'établit pas avoir souscrit à l'obligation qui lui incombe. Dans ces conditions, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'un défaut d'information fautif était caractérisé s'agissant de l'information délivrée relativement aux risques fréquents ou graves de l'intervention chirurgicale du 31 mai 2016.
En ce qui concerne l'identité du médecin ayant pratiqué l'intervention litigieuse :
4. Mme Satin expose, ensuite, qu'elle n'a pas été avertie de l'identité du praticien qui a effectué l'intervention litigieuse et qu'elle n'a découvert sa réalisation par un chirurgien qui n'appartient pas à l'AP-HP et n'est pas inscrit au tableau de l'ordre des médecins, que le jour de l'intervention, sans recueil préalable de son consentement.
5. Il résulte de l'instruction qu'elle a été opérée par le docteur D..., urologue exerçant en Italie et sans lien avec l'AP-HP, dans le cadre d'une retransmission dite d'une " Live Surgery " : " chirurgie en direct " intervenue dans le cadre d'une conférence médicale. Toutefois, l'usager du service public hospitalier se trouve dans une situation légale et réglementaire exclusive de toute relation conventionnelle avec un praticien déterminé. La patiente, qui ne détenait ainsi et en tout état de cause aucun droit de donner son accord quant au choix de son chirurgien et qui a signé le
30 mai 2016 un document aux termes duquel elle a certifié expressément " avoir été informée par le Professeur Olivier Traxer que (...) l'intervention serait réalisée en collaboration avec des experts français et internationaux et que (s)on anonymat serait strictement respecté " ne saurait ainsi se prévaloir d'une faute constituée par le fait de ne pas avoir été préalablement avertie du nom du chirurgien qui l'a opérée.
En ce qui concerne l'enregistrement et la retransmission de l'intervention :
6. Aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de l'intervention litigieuse : " I.- Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou un des services de santé définis au livre III de la sixième partie du présent code (...) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. ".
7. Mme Satin soutient qu'elle n'a pas donné son consentement libre et éclairé à la retransmission de l'intervention du 31 mai 2016 sur les réseaux sociaux, selon la pratique dite de la " chirurgie en direct ". Ainsi qu'il a été dit au point 5, elle a cependant signé le 30 mai 2016 un document emportant également accord pour que l'intervention fasse l'objet d'une retransmission vidéo, son anonymat étant strictement respecté. Même si le délai de réflexion dont elle a disposé a été bref, Mme Satin ne soutient ni n'allègue que son consentement ainsi recueilli a été vicié. Il résulte par ailleurs de l'instruction que son anonymat a effectivement été préservé, aucune image ne permettant de l'identifier et de porter atteinte à son intimité. Mme Satin, qui ne peut par ailleurs invoquer au soutien de son argumentation la charte de l'association française d'urologie, dépourvue de valeur règlementaire, ni la circonstance qu'elle n'aurait pas donné son accord à la retransmission de l'intervention sur les réseaux sociaux, n'est ainsi pas fondée à invoquer un droit à réparation pour violation du droit au respect de la vie privée dont l'article L. 1110-4 du code de la santé publique précité est une composante, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les images auraient été prises à des fins autres que thérapeutiques et dans un autre but que celui d'illustrer la conférence médicale organisée, couverte par le secret médical. Enfin, si le docteur D... a diffusé l'intervention sur son compte Twitter, la responsabilité de cette diffusion ne saurait être recherchée devant le juge administratif en raison d'une faute commise par l'établissement public hospitalier dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il y aurait consenti.
8. Il résulte ainsi des points 4 à 7 du présent arrêt que l'AP-HP est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que des fautes avaient été commises pour méconnaissance de l'obligation d'information de la patiente s'agissant du choix de l'opérateur et quant aux conditions de retransmission de l'intervention chirurgicale du 31 mai 2016.
En ce qui concerne la faute médicale :
9. Aux termes des dispositions l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
10. Il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions du rapport d'expertise du
25 septembre 2018, que l'indication opératoire proposée par les médecins de l'AP-HP aux fins de retrait du calcul rénal dont souffrait Mme Satin était justifiée. Le type d'intervention choisi parmi les quatre envisageables, à savoir celui de la technique de néphro lithotomie per-cutanée (NLPC) n'est également pas remis en cause par l'expert judiciaire, dans un contexte où le choix de la patiente était d'être débarrassée du calcul en une séance, en évitant les endoprothèses, mal tolérées en 2009. La NLPC, classique ou en mini-perc, était ainsi selon l'expert une option tout à fait envisageable, à condition que la patiente ait été informée de ses risques et éventuelles contraintes. Ce même expert estime, en revanche, qu'eu égard aux antécédents chirurgicaux de Mme Satin et à la position inhabituelle de son côlon au contact du rein, un double contrôle échographique et radioscopique aurait été plus prudent pour éviter une perforation colique. En défense, l'AP-HP soutient que la perforation du côlon au décours de la néphrolithotomie percutanée qu'a subie l'appelante le 31 mai 2016 constitue un accident médical non fautif, dans la mesure où toutes les précautions médicalement répertoriées ont été respectées pour éviter la survenue d'une telle complication. Elle conteste, en particulier, que la ponction aurait dû être effectuée sous double contrôle radioscopique et échographique compte tenu des antécédents médicaux de Mme Satin.
11. Quand bien même résulterait-il de la littérature médicale (à savoir, notamment, une méta-analyse publiée en 2015, des études scientifiques, les recommandations actuelles de la Haute autorité de santé) et de l'avis du professeur Mozer, médecin de l'AP-HP dont se prévaut cette dernière, que l'état des connaissances scientifiques répertoriées n'établit pas que le taux de perforation d'organes lors d'une néphrolithotomie percutanée serait, en théorie, diminué selon que l'accès au rein s'effectue sous contrôle échographique ou radioscopique ou sans ce double contrôle, il résulte du rapport d'expertise judiciaire adossé à une étude scientifique de 2007 et corroboré par l'avis du docteur C..., médecin mandaté par l'assureur de la patiente reposant lui-même sur une étude de 2017, qu'un tel risque aurait pu être réduit grâce à ce double contrôle. En tout état de cause, au regard des antécédents de la patiente et de la particularité de sa physiologie consécutive (une splénectomie ayant rapproché le côlon du rein), ce risque présentait en l'espèce une probabilité de survenue nettement plus élevée, en conséquence de quoi la réalisation de l'intervention litigieuse sans surveillance échographique, doit être regardée comme constitutive d'une erreur dans l'exécution de l'acte et du geste médical. Par ailleurs, s'il résulte de l'instruction que, conformément aux recommandations de l'Association européenne d'urologie et de l'Association américaine d'urologie éditées en 2016, Mme Satin a subi un scanner abdominopelvien pour recueillir les constatations anatomiques utiles deux mois avant l'intervention du 31 mai 2016, il n'est nullement établi que l'opérateur, à savoir le docteur E..., qui a pratiqué le geste aux lieu et place du docteur A... dans le cadre de la " Live surgery ", pas plus que ce dernier qui a rencontré physiquement pour la première fois la patiente la veille de l'intervention à 19 heures, en aient préalablement pris connaissance. Dans un tel contexte, le dommage qui s'est réalisé, à savoir la perforation du côlon, organe non concerné par l'intervention, ne saurait s'analyser en un risque inhérent à la réalisation de l'opération mais en un geste fautif, consécutif à l'absence de précautions suffisantes prises en amont ainsi qu'au cours de l'intervention.
Sur le lien de causalité et le préjudice indemnisable :
12. Les conséquences de l'accident médical fautif sont une perforation colique qui a justifié la poursuite de l'hospitalisation de la patiente pendant environ un mois, la réalisation consécutive de multiples interventions et des troubles digestifs dus à la complication immédiate. Mme Satin a également souffert d'abcès de la gouttière pariéto-colique gauche et d'infections associées aux soins. Elle a par ailleurs présenté, à distance de l'intervention, des troubles locomoteurs de la paroi thoracique antérieure et de l'épaule gauche, qui n'étaient pas présents avant l'intervention du
31 mai 2016. Si l'AP-HP conteste l'imputabilité de ces complications à l'intervention litigieuse, il résulte de l'expertise que la patiente a dû décompenser une pathologie rhumatismale à la fin de l'hospitalisation compte-tenu de sa longueur et de ses conditions, Mme Satin ayant dû garder le bras gauche allongé pour ménager l'accès veineux aux fins de soins et de nutrition pendant cette période. Il s'en infère que la patiente a droit à réparation de l'ensemble des dommages subis, y compris moteurs, dont la survenue a été provoquée par le fait dommageable.
13. Par ailleurs, quand bien même l'expert judicaire aurait-il fixé un taux de perte de chance de 90 % en réponse à la question qui lui était posée, il ne résulte pas de l'instruction qu'un raisonnement de dimension aléatoire d'une chaîne causale, d'aléa du processus de guérison ou encore de lien de causalité distendu, doive être appliqué en l'espèce. Il s'ensuit que, dans la limite de la somme totale réclamée, l'intégralité des préjudices subis par Mme Satin doit être indemnisée.
Sur les préjudices :
Sur les préjudices subis par Mme Satin :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des dépenses de santé :
14. D'une part, la CPAM du Val-de-Marne justifiant avoir exposé les sommes de
36 607,78 euros au titre des frais hospitaliers, de 1 224,28 euros au titre de frais médicaux, de 161,05 euros au titre de frais pharmaceutiques, de 71,69 euros au titre de frais de transport et de
2 256,28 euros au titre des indemnités journalières versées à son assurée du 7 juin 2016 au 29 juillet 2019, mais n'établissant en revanche pas le bien-fondé de sa demande pour un montant de
4 413,43 euros au titre de frais futurs simplement côtés " XFR " sans autres précisions quant à leur nature, il sera fait une exacte appréciation de sa créance en lui allouant la somme totale de
40 321,08 euros au titre de ses débours.
15. D'autre part, Mme Satin justifiant de dépenses de santé non prises en charge par les organismes sociaux, il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en lui allouant à ce titre la somme de 417,64 euros.
S'agissant des dépenses liées à l'assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne :
16. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que Mme Satin a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne pour l'aide à la toilette, l'habillage et les repas pendant la période de déficit fonctionnel partiel. Sur une base demandée par l'intéressée de 16 euros par jour sur 322 jours, il sera fait une juste appréciation de son préjudice à ce titre en lui allouant la somme de 10 304 euros.
17. D'autre part, pour la période postérieure à la consolidation fixée au 22 mai 2017, l'expert ayant estimé que les limitations des mouvements de l'épaule gauche de Mme Satin ne lui permettaient pas de réaliser tous les actes de la vie quotidienne et que l'aide par tierce personne non spécialisée d'environ une heure par jour devait être envisagée, pour la période allant du 22 mai 2017 à la date de lecture du présent arrêt et sur la base d'un taux horaire demandé par l'intéressée de
16 euros, la somme de 31 984,74 euros pourra lui être accordée.
18. Enfin, pour l'avenir, dès lors qu'il résulte de l'instruction que Mme Satin aura besoin d'une assistance par une tierce personne d'un volume horaire annuel s'élevant à 412 heures, soit un coût annuel de 6 592 euros, l'AP-HP devra verser à Mme Satin, à compter de la mise à disposition du présent arrêt, une rente mensuelle dont le montant payable à terme échu, fixé à 549,33 euros à cette même date, sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
S'agissant de l'incidence professionnelle :
19. Si Mme Satin fait enfin valoir que ses séquelles l'empêchent de s'investir autant qu'elle le souhaiterait professionnellement et que son activité est pour elle bien plus pénible qu'auparavant, il résulte de l'instruction qu'elle a arrêté son activité professionnelle du 30 juin au 30 septembre, puis a repris à mi-temps début octobre 2016 et à temps plein en décembre 2016 et n'établit dès lors pas la réalité du préjudice qu'elle invoque ; de plus, l'expert judiciaire n'a retenu aucune incidence professionnelle. Dès lors, Mme Satin n'est pas fondée à prétendre au versement d'une somme au titre de ce chef de préjudice.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
20. L'expert judiciaire ayant retenu un déficit fonctionnel temporaire total durant les périodes d'hospitalisation du 30 mai au 30 juin 2016 à l'hôpital Tenon et le 25 novembre 2016 à l'hôpital Saint-Antoine soit une période de 32 jours dont six inhérents à l'intervention hors complication ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire partiel, de 50 % du 1er juillet au
30 septembre 2016 soit durant 91 jours, de 30 % du 1er octobre au 24 novembre 2016 soit durant 54 jours et du 26 novembre 2016 au 22 mai 2017 soit durant 177 jours, sur la base d'une indemnisation à hauteur de 500 euros mensuels, il sera faite une juste appréciation de ce préjudice en allouant à Mme Satin la somme de 1 913 euros à ce titre.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
21. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que
Mme Satin subit un déficit fonctionnel permanent évalué par les experts à 20 % du fait d'accélérations du transit, d'une récidive d'éventration et de douleurs séquellaires de l'épaule gauche avec limitations des mouvements, le retentissement psychique étant pris en considération au titre des souffrances endurées. Mme Satin étant âgée de 54 ans à la date de consolidation, il en sera fait une juste appréciation en lui allouant à ce titre la somme de 20 000 euros.
S'agissant des souffrances endurées :
22. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que
Mme Satin a subi des souffrances évaluées à 4 sur une échelle allant de 1 à 7 en raison de douleurs tant physiques que morales consécutives, notamment, à la durée de l'hospitalisation, des multiples interventions chirurgicales, de la pose d'un accès vasculaire de type picc-line, du drainage per cutané sous scanner de l'abcès para colique, de la nécessité de rester allongée, de l'impossibilité de voir ses proches facilement pendant son hospitalisation et de son isolement dû à la contamination pendant son hospitalisation. Il en sera faite une juste appréciation en lui allouant la somme de
8 000 euros.
S'agissant du préjudice esthétique :
23. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que
Mme Satin a subi un préjudice esthétique, temporaire et permanent, évalué à 1 sur une échelle allant de 1 à 7 en raison de sa présentation allongée sur son lit avec une perfusion et des sondes urinaires, de la position figée de son épaule gauche en rapport avec la position algique qu'elle adopte. Il en sera faite une juste appréciation en lui allouant la somme de 1 000 euros.
S'agissant du préjudice d'agrément :
24. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise médicale, que
Mme Satin a été contrainte d'abandonner la natation et la danse qu'elle pratiquait auparavant régulièrement. Il sera faite une juste appréciation de son préjudice d'agrément en lui allouant la somme de 1 000 euros.
S'agissant du préjudice sexuel :
25. Il sera fait une juste appréciation du préjudice sexuel subi par Mme Satin en lui allouant la somme de 1 000 euros.
S'agissant du préjudice moral d'impréparation :
26. Il résulte de ce qui précède que Mme Satin ne peut se prévaloir d'un préjudice consécutif à l'absence d'information reçue relative à l'identité du praticien qui a effectué l'intervention litigieuse. Par ailleurs, si une faute a été commise en l'absence d'information donnée à la patiente relativement aux risques fréquents ou graves de l'intervention chirurgicale du 31 mai 2016, cette dernière n'établit pas avoir subi un préjudice distinct de celui dont elle obtient réparation.
S'agissant d'un préjudice permanent exceptionnel :
27. Il résulte également de ce qui précède que le jugement doit être réformé en ce qu'il a condamné l'AP-HP à verser à Mme Satin la somme de 10 000 euros au titre d'un préjudice permanent exceptionnel consécutif à l'absence de consentement exprès de la patiente à la diffusion de photographies de l'intervention chirurgicale du 31 mai 2016 sur les réseaux sociaux, et notamment sur le compte " Twitter " du chirurgien ayant effectué l'intervention.
Sur les préjudices subis par la société CPSP Sourcing :
28. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 19, la société dont la requérante est la gérante n'établit pas le lien direct et certain entre le recrutement d'une nouvelle collaboratrice en septembre 2017 et le dommage subi par Mme Satin.
29. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité totale de 126 347,89 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à Mme Satin doit être portée à la somme de 132 703,69 euros.
30. Il y a également lieu d'allouer à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme totale de 40 321,08 euros portant intérêts au taux légal à compter, comme demandé, du 12 novembre 2019, outre l'indemnité forfaitaire de gestion régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, à laquelle elle a droit pour un montant de 1 114 euros.
Sur les frais liés au litige :
31. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par Mme Satin et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'AP-HP les sommes demandées, sur le même fondement, au titre des frais exposés par la Sarl CPSP Sourcing et la CPAM du Val-de-Marne et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 15 000 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à Mme Satin est portée à la somme de 74 619,38 euros.
Article 2 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme Satin, à compter de la mise à disposition du présent arrêt, une rente mensuelle dont le montant payable à terme échu, fixé à 549,33 euros à cette même date, sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
Article 3 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne au titre de ses débours la somme de 40 321,08 euros portant intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour un montant de 1 114 euros.
Article 4 : Le jugement n° 1711919/6-3 du 9 janvier 2020 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera à Mme Satin la somme de
1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... Satin, à la société à responsabilité limitée CPSP Sourcing, à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.
La rapporteure,
M-D B...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00869