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23/03/2022 | FRANCE | N°21PA01275

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 23 mars 2022, 21PA01275


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Talos Sécurité a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et majorations, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2017.

Par un jugement n° 1908624/7 du 11 janvier 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 mars 2021 et 24 janvier 2022, la société Talos Sécu

rité, représentée par Me Anthony Creac'h, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 190862...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Talos Sécurité a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et majorations, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2017.

Par un jugement n° 1908624/7 du 11 janvier 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 mars 2021 et 24 janvier 2022, la société Talos Sécurité, représentée par Me Anthony Creac'h, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1908624/7 du 11 janvier 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;

- elle a été privée de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur la chiffre d'affaires ;

- c'est à tort que l'administration a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur des factures qu'elle a qualifiées de complaisance ;

- l'administration a méconnu le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée et le principe de proportionnalité.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société Talos Sécurité ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 5 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Talos Sécurité, qui exerce l'activité de sécurité privée, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 23 juillet 2018 lui a été adressée. Au terme de la procédure, elle a notamment été assujettie à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2017, assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manœuvres frauduleuses prévue au b) de l'article 1729 du code général des impôts, procédant de la remise en cause de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur des factures que l'administration a qualifiées de complaisance, ainsi qu'à l'amende prévue du 1 du I de l'article 1737 du même code. La société Talos Sécurité relève appel du jugement du 11 janvier 2021 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits, pénalités et majorations, des impositions supplémentaires ainsi mises à sa charge.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ".

3. S'il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées, elles n'imposent pas qu'elle y joigne les éléments sur lesquels elle entend se fonder. En l'espèce, la proposition de rectification adressée à la société Talos Sécurité comporte les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. La circonstance que n'y était pas annexé le document émanant du syndicat national des entreprises de sécurité dont l'administration a fait état pour déterminer le coût de revient d'un salarié du secteur de la sécurité est sans influence sur le caractère suffisant de la motivation de la proposition de rectification.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) ". Aux termes de l'article L. 59 A du même livre, dans sa rédaction applicable : " I. La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; 2° Sur les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles (...) 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l'article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l'article 54 quater du même code ; 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée, en application du 6° et du 1 du 7° de l'article 257 du même code (...) ".

5. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'est pas compétente en matière de droits à déduction de taxe sur la valeur ajoutée. Le désaccord opposant l'administration fiscale à la société Talos Sécurité, s'agissant de la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur des factures qualifiées de complaisance, ne relevait ainsi pas du champ de compétence de cette commission. La société Talos Sécurité n'est par suite pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition serait irrégulière en l'absence de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.

6. Par ailleurs, la société Talos Sécurité fait valoir qu'alors que la proposition de rectification comportait également des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés procédant notamment de la remise en cause de charges qui n'étaient pas appuyées de pièces justificatives, l'administration ne lui a pas proposé la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans la réponse aux observations du contribuable et aurait rayé la mention relative à cette possibilité de saisine. Toutefois, outre le fait que la contestation de la société ne porte pas sur les rectifications opérées en matière d'impôt sur les sociétés, aucune disposition n'imposait à l'administration de rappeler dans la réponse aux observations du contribuable du 1er octobre 2018 la possibilité de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires sous peine d'irrégularité de la procédure. De surcroît, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration n'a pas rayé une quelconque mention quant à la saisine de la commission dans la réponse aux observations du contribuable qui aurait été susceptible de l'induire en erreur, mais a au contraire fait référence en première page aux articles L. 59 et suivants du livre des procédures fiscales. Le moyen doit ainsi, et en tout état de cause, être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

7. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. Toutefois, les personnes qui effectuent des opérations occasionnelles soumises à la taxe sur la valeur ajoutée n'exercent le droit à déduction qu'au moment de la livraison. 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ". Aux termes du 4 de l'article 283 du même code : " Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée ". Enfin, selon le 2 de l'article 272 du même code : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ".

8. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui n'est pas le fournisseur réel de la marchandise ou de la prestation effectivement livrée ou exécutée. Dans le cas où l'auteur de la facture est régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés, assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et se présente comme tel à ses clients, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y est mentionnée, d'établir qu'il s'agit d'une facture de complaisance et que le contribuable le savait ou ne pouvait l'ignorer. Si l'administration apporte des éléments suffisants en ce sens, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur cette opération, sans qu'il ne puisse être exigé de lui des vérifications qui ne lui incombent pas.

9. Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 23 juillet 2018, que l'administration a remis en cause le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur les factures émanant de huit sociétés sous-traitantes de la société Talos Sécurité, les sociétés Guard Option, We Protect You, Garde Protection, Prévention Sécurité Privée, Net Protect, ASEP, Atlantic Sécurité Privée et Alliance Sécurité Privée. La société Talos Sécurité n'a présenté aucun contrat de sous-traitance avec ces sociétés, à l'exception de la société Atlantic Sécurité Privée. L'administration, après avoir comparé le volume horaire facturé par chaque prestataire et le nom de leurs salariés déclarés, a relevé que l'ensemble des prestataires, constitué de sociétés récentes ou éphémères et qui n'étaient pas en règle avec leurs obligations en matière fiscale, ne disposait pas d'une main d'œuvre suffisante pour réaliser les prestations facturées. En outre, l'administration a relevé que certains chèques établis pour le paiement de factures émises par les sociétés We Protect You et Guard Option ont été appréhendés par le dirigeant et associé de la société Talos Sécurité. Elle a également relevé des incohérences dans la facturation, telles que des défauts de numérotation en continu, des changements de présentation formelle des factures émanant d'une même société, une présentation formelle identique des factures émanant de deux sociétés sans lien apparent, la mention sur l'une des factures de l'ancienne adresse du siège social de la société qui l'a émise et la comptabilisation par la société Talos Sécurité d'une facture avant que cette facture ne soit émise.

10. L'administration apporte ainsi des éléments suffisants permettant d'établir que les factures émises par les huit sociétés précitées pour la réalisation de prestations dont la réalité n'est pas contestée constituaient des factures de complaisance, la société Talos Sécurité, en tant que professionnel de la sécurité, ne pouvant ignorer, sans avoir à procéder à des vérifications qui ne lui incombent pas, compte tenu des obligations à sa charge résultant de la législation du travail, que ces sociétés ne pouvaient exécuter les prestations confiées. Il appartient ainsi à la société Talos Sécurité d'apporter toutes justifications utiles en sens contraire. Or, la société requérante n'apporte aucun élément en ce sens et se borne à soutenir, sans justifier de ses allégations, que ses prestataires auraient pu eux-mêmes avoir recours à la sous-traitance ou au travail dissimulé. Dans ces conditions, elle n'apporte pas les justifications utiles permettant de contredire les éléments relevés par l'administration, qui établissent que les prestations réalisées et qui ont fait l'objet des factures en litige ne l'ont pas été par les sociétés précédemment citées. A cet égard, dès lors que la société Talos Sécurité ne pouvait ignorer que ses prestataires ne disposaient pas des ressources humaines leur permettant de réaliser les prestations facturées, que d'ailleurs certains des chèques émis pour le règlement desdits prestataires ont été encaissés par le dirigeant et associé de la société Talos Sécurité, et que les anomalies relevées sur certaines factures ne pouvaient échapper à sa vigilance, elle ne pouvait pas plus ignorer que les factures que ces sociétés lui adressaient constituaient des factures de complaisance et qu'elle participait ainsi à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déduction de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

11. Dès lors que la rectification en litige est fondée, la société Talos Sécurité ne soutient pas utilement que l'administration a méconnu le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée et le principe de proportionnalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Talos Sécurité n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, des impositions en litige doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Talos Sécurité demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Talos Sécurité est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Talos Sécurité et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscale d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Platillero, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2022.

Le rapporteur,

F. PLATILLEROLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVALa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01275


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01275
Date de la décision : 23/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : CREAC'H

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-03-23;21pa01275 ?
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