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24/02/2022 | FRANCE | N°21PA00427

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 24 février 2022, 21PA00427


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure C... D..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'autoriser l'adjonction du nom " A... " au nom de sa fille mineure C... D....

Par une ordonnance n° 2014008/4 du 18 novembre 2020, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure C... D..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'autoriser l'adjonction du nom " A... " au nom de sa fille mineure C... D....

Par une ordonnance n° 2014008/4 du 18 novembre 2020, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 1er octobre 2021, Mme A..., représentée par Me Boudeweel, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2014008/4 du 18 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 6 juillet 2020 ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au changement de nom sollicité ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- la décision est entachée d'erreur d'appréciation en ce qu'elle justifie de motifs exceptionnels dès lors qu'il était convenu par les deux parents de nommer l'enfant " D... A... ", qu'elle n'a pas pu déclarer son enfant du fait des complications consécutives à la naissance et que le père a déclaré l'enfant sous le nom " D... " ;

- la mairie de Tourcoing a méconnu le principe de précaution, en ce que la déclaration a pu être faite par le père seul et que la mairie a été informée par les services de la maternité du choix des parents de nommer l'enfant " D... A... ".

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 31 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été prononcée le 17 janvier 2022 à 12h00.

Par un courrier du 27 janvier 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'irrégularité de l'ordonnance attaquée, en tant qu'elle rejette la demande de Mme A... sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, alors qu'elle aurait dû être jugée en formation collégiale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gobeill,

- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, d'autoriser le changement de nom de sa fille mineure C... D..., née le 13 avril 2016 de " A... " en " D... A... ". Le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande par une décision du 6 juillet 2020 dont Mme A... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Paris. Par une ordonnance du 18 novembre 2020 dont elle relève appel, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : (...) / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé (...).".

3. Pour rejeter la requête de Mme A... sur le fondement des dispositions précitées, l'ordonnance a relevé qu'elle ne comportait que des moyens de légalité externe manifestement infondés et des moyens qui ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

4. Il ressort cependant des pièces du dossier que la demande introductive d'instance de Mme A... critiquait le bien-fondé de la décision de refus de changement de nom et comportait notamment un moyen de légalité interne tiré de l'erreur manifeste d'appréciation sur l'existence d'un intérêt légitime, qui n'était pas inopérant et qui était assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

5. Par suite, l'ordonnance de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris, qui n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, est irrégulière et doit être annulée. Il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande de Mme A... devant le tribunal administratif.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom (...). Le changement de nom est autorisé par décret ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

7. Mme A... soutient qu'elle justifie de motifs exceptionnels dès lors qu'il était convenu par les deux parents de nommer l'enfant " D... A... ", qu'elle n'a pas pu déclarer son enfant du fait des complications consécutives à la naissance et que le père a par erreur déclaré l'enfant sous le nom " D... ".

8. Pour rejeter la demande de Mme A... par la décision contestée, le garde des sceaux, ministre de la justice, a relevé que ces circonstances, non établies, ne revêtaient pas un caractère exceptionnel de nature à justifier qu'il accède à sa demande.

9. Mme A... a donné naissance le 13 avril 2016 à un enfant déclaré par son père,

M. E... D..., sous le seul nom de D.... Il ressort toutefois des pièces du dossier que les deux parents avaient décidé de lui donner le nom de " D... A... " ainsi qu'en atteste notamment la mention portée sur le bracelet de naissance. Les deux parents ont par ailleurs, chacun, dès le 3 mai 2016 soit quelques jours seulement après la naissance, appelé l'attention du Procureur de la République sur l'erreur commise en sollicitant alors le changement de nom de leur fille. De telles circonstances doivent être regardées comme exceptionnelles et caractérisent un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil justifiant le changement du nom sollicité par Mme A... pour sa fille mineure.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par la décision attaquée, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".

12. Eu égard au motif de l'annulation, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, que le garde des sceaux, ministre de la justice, propose au Premier ministre un projet de décret tendant au changement de nom sollicité par Mme A.... Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2014008/4 du 18 novembre 2020 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La décision du 6 juillet 2020 du garde des sceaux, ministre de la justice est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret tendant à l'adjonction du nom " A... " au nom de famille de l'enfant mineur C... D....

Article 4 : L'État versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 février 2022.

Le rapporteur,

JF. GOBEILLLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

2

N° 21PA00427


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00427
Date de la décision : 24/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. - État des personnes. - Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : BOUDEWEEL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-02-24;21pa00427 ?
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