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15/02/2022 | FRANCE | N°21PA05692

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 15 février 2022, 21PA05692


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

10 août 2021 par lequel le préfet de police de Paris l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 2117702/08-2 du 8 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa

demande.

Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2021, un mémoire de communication de pièc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

10 août 2021 par lequel le préfet de police de Paris l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 2117702/08-2 du 8 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2021, un mémoire de communication de pièces, enregistré le 8 décembre 2021, et un mémoire, enregistré le 19 janvier 2022, M. C..., représenté par Me Trugnan Battikh, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2117702/08-2 du 8 octobre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 août 2021 du préfet de police ;

3°) d'enjoindre au préfet de police et au ministre de l'intérieur d'entreprendre les diligences nécessaires pour effacer son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, faute pour le premier juge d'avoir répondu aux moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur de fait, de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il est entré régulièrement en France, muni d'un visa de court séjour ;

- cette décision est en conséquence entachée d'erreur de droit ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée ;

- dès lors que la veille de son interpellation il s'est rendu à la préfecture pour déposer un dossier de demande de titre de séjour et s'est vu remettre un document intitulé " confirmation de dépôt " qui tient lieu de récépissé de demande de titre de séjour au sens de l'article R. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou doit être regardé comme une autorisation provisoire implicite de séjour, il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- l'arrêté litigieux ne contient pas de décision portant interdiction de retour sur le territoire français, laquelle ne saurait être implicite dès lors que le préfet doit en préciser la durée conformément aux dispositions de l'article R. 613-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- si l'existence d'une telle décision était regardée comme établie, elle est illégale pour être fondée sur une obligation de quitter le territoire français elle-même illégale ;

- cette décision n'a pas été régulièrement notifiée, ne précise pas son caractère exécutoire et les conditions de son exécution ;

- elle n'est pas motivée ;

- elle n'a pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- le signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen est entaché d'illégalité en l'absence de décision lui interdisant le retour sur le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il sollicite une substitution de base légale dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire français trouve son fondement dans les dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant tunisien né le 10 mai 1978, serait entré en France le

10 janvier 2018. Par un arrêté du 10 août 2021, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. M. C... relève appel du jugement du

8 octobre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. A l'appui de sa demande en première instance, M. C... soutenait que l'arrêté litigieux était irrégulier dès lors qu'entré régulièrement en France le 10 janvier 2018 sous couvert d'un visa Schengen, il y résidait de manière continue et ininterrompue. En défense, le préfet de police a soutenu qu'il n'avait pas présenté son passeport revêtu d'un visa lors du contrôle ayant donné lieu à son interpellation et, qu'en tout état de cause, il s'était maintenu sur le territoire au-delà de la validité de son visa, expiré, sans justifier par la seule production d'une confirmation de sa demande de titre, d'un droit au séjour.

3. S'il est constant que le moyen était maladroitement invoqué, il ressort toutefois des pièces du dossier que le requérant s'était prévalu en première instance de l'erreur commise par le préfet s'agissant du fondement de sa décision ; or, en se bornant à estimer au point 4 du jugement que M. C... était entré en France " en 2018 " sans autre précision quant au caractère régulier ou pas de cette entrée, le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen qui n'était pas inopérant, et ainsi sur la base légale de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, son jugement doit être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sur l'étendue du litige :

5. Si l'article 4 de l'arrêté attaqué du 10 août 2021 mentionne que M. C... est informé de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, il ne prononce à son encontre aucune interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, les conclusions à fin d'annulation dirigées contre une telle décision, laquelle est inexistante, sont irrecevables.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-00539 du 9 juin 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs, le préfet de police a donné délégation à Mme B... pour signer tous actes, arrêtés et décisions, nécessaires à l'exercice des missions de la direction de la police générale, dans lesquels figure la police des étrangers. La circonstance selon laquelle l'arrêté du

10 août 2021 ne vise pas l'arrêté de délégation de signature est sans incidence sur la légalité de l'acte attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.

7. En second lieu, le moyen tiré de ce que les conditions dans lesquelles M. C... a été retenu sont irrégulières au regard des dispositions de l'article 73 du code de procédure pénale, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré (...) ".

9. Pour décider d'obliger M. C... à quitter le territoire français, le préfet de police a relevé que celui-ci ne pouvait justifier y être entré régulièrement. Il ressort cependant des pièces du dossier que le requérant est entré régulièrement en France le 10 janvier 2018, en empruntant un vol à destination de l'aéroport d'Orly, muni d'un visa à entrées multiples d'une durée de 90 jours, valable du 17 octobre 2017 au 14 avril 2018. Il s'ensuit que le motif précité est entaché d'illégalité et que le préfet de police ne pouvait légalement prendre la décision attaquée en se fondant sur le 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

11. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa, sans être titulaire d'un titre de séjour. Il ne saurait se prévaloir de la régularité de sa présence en France à l'expiration de son visa, au seul motif qu'il aurait été reçu en préfecture la veille de son interpellation pour y déposer une demande de titre de séjour et qu'un document intitulé " confirmation de dépôt ", qui ne saurait en tout état de cause être requalifié de " récépissé " de demande de titre de séjour au sens de l'article R. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a été délivré. La décision attaquée trouve ainsi son fondement légal dans les dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui peuvent être substituées à celles du 1° du même article. Cette substitution de base légale, sollicitée par le préfet de police dans son mémoire en première instance du 20 septembre 2021 et dans son mémoire en défense devant la cour du

10 janvier 2022, et sur laquelle le représentant du requérant a pu présenter ses observations, n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie alors que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions. En conséquence, il y a lieu d'y procéder. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l'erreur de fait et de droit ne peuvent être accueillis.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ".

13. Il ressort des pièces du dossier que le requérant dont l'épouse et l'enfant résident en Tunisie, entré en France le 10 janvier 2018 à l'âge de 40 ans, ne peut se prévaloir que d'une faible durée de séjour sur le territoire français. Quand bien même exercerait-il une activité professionnelle en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet depuis 1er octobre 2020, voire le

1er septembre 2018, et aurait-il demandé son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la date de la décision attaquée, eu égard aux conditions de son séjour en France où il n'établit pas avoir le centre de ses attaches personnelles et familiales depuis l'expiration de son visa, c'est sans porter une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ni entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation que le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande formée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 août 2021 par lequel le préfet de police de Paris l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ne peut qu'être rejetée. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction comme celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2117702/08-2 du 8 octobre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2022.

Le rapporteur,

M-D A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA05692


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA05692
Date de la décision : 15/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : TRUGNAN BATTIKH

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-02-15;21pa05692 ?
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