Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Union départementale des associations familiales d'Indre-et-Loire, agissant au nom de M. A... B... sous tutelle, a demandé à la commission départementale d'aide sociale d'annuler la décision du 16 octobre 2018 par laquelle le président du conseil départemental d'Indre-et-Loire a refusé de l'admettre à l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées.
Par une décision du 19 décembre 2018, la commission départementale d'aide sociale d'Indre-et-Loire a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
La Cour d'appel d'Orléans a transmis à la Cour en application de l'article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle par un arrêt du 21 septembre 2021, la requête et un mémoire présentés par l'UDAF d'Indre-et-Loire, agissant au nom de M. B..., placé sous tutelle, enregistrés à son greffe le 15 février 2019 et le 29 juin 2021 et un mémoire en défense présenté pour le département d'Indre-et-Loire, enregistré à son greffe le 29 juin 2021,
Par cette requête et ce mémoire enregistrés au greffe de la Cour sous le n° 21PA05256 le 27 septembre 2021, l'Union départementale des associations familiales (UDAF) d'Indre-et-Loire, agissant au nom de M. B..., représentée par Me El Ouafi, demande à la Cour :
1°) d'annuler la décision du 19 décembre 2018 de la commission départementale d'aide sociale d'Indre-et-Loire ;
2°) d'annuler la décision du 16 octobre 2018 du président du conseil départemental d'Indre-et-Loire ;
3°) de prononcer la prise en charge des frais d'hébergement au titre de l'aide sociale de M. B... à compter du 1er mars 2018 ;
4°) de mettre à la charge du département d'Indre-et-Loire la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- la commission départementale d'aide sociale d'Indre-et-Loire a pris en considération la situation patrimoniale de M. B... à la date du 3 octobre 2018 alors qu'elle aurait dû examiner sa situation à la date du 1er mars 2018 ;
- en refusant d'admettre M. B... à l'aide sociale pour personnes âgées pour la prise en charge de ses frais d'hébergement au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Pôle santé Sud de Sainte-Maure-de-Touraine au motif qu'il disposait de liquidités lui permettant de financer ses dépenses, le président du conseil départemental d'Indre-et-Loire a méconnu les dispositions de l'article L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles reprises par l'article 14 du règlement départemental d'aide sociale d'Indre-et-Loire ;
- M. B... dispose de ressources mensuelles d'un montant de 855,19 euros dont il convient de déduire 100 euros au titre du minimum légal correspondant à un 1/100ème de l'allocation solidarité pour personne âgée, 3,06 euros au titre des frais de gestion tutélaire et 91,83 euros au titre de ses frais de mutuelle ; il remplit ainsi les conditions légales d'admission à l'aide sociale dès lors que ses ressources mensuelles disponibles ne lui permettent pas de faire face à ses frais d'hébergement dans l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Pôle santé Sud de Sainte-Maure-de-Touraine ;
- en tout état de cause, la notion d'" état de besoin " n'est pas un critère d'appréciation dans le cadre d'une demande d'admission à l'aide sociale qui est uniquement régie par les dispositions du code de l'aide sociale et des familles.
Par ce mémoire en défense enregistré au greffe de la Cour le 27 septembre 2021, le département d'Indre-et-Loire, représenté par la SCP Valérie Desplanques, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'UDAF d'Indre-et-Loire le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ;
- le règlement départemental d'aide sociale d'Indre-et-Loire du 1er janvier 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 27 novembre 1935, placé sous la tutelle de l'Union départementale des associations familiales (UDAF) d'Indre-et-Loire par un jugement du Tribunal d'instance de Loches du 19 mai 2004, est hébergé au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Pôle santé Sud de Sainte-Maure-de-Touraine depuis le 5 juillet 2017. Le 1er mars 2018, l'UDAF a sollicité du département d'Indre-et-Loire la prise en charge par l'aide sociale des frais d'hébergement de M. B... à compter du 1er mars 2018. Par une décision du 16 octobre 2018, le président du conseil départemental d'Indre-et-Loire a rejeté sa demande. Par une décision du 19 décembre 2018, la commission départementale d'aide sociale d'Indre-et-Loire a rejeté la demande de l'UDAF tendant à l'annulation de cette décision. Par la présente requête, l'UDAF, en sa qualité de tuteur de M. B..., relève appel de cette décision et demande à la Cour de prononcer l'admission à l'aide sociale à l'hébergement de M. B... à compter du 1er mars 2018.
Sur le bien-fondé de la demande d'admission à l'aide sociale :
2. L'article L. 113-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Toute personne âgée de soixante-cinq ans privée de ressources suffisantes peut bénéficier, soit d'une aide à domicile, soit d'un accueil chez des particuliers ou dans un établissement. Les personnes âgées de plus de soixante ans peuvent obtenir les mêmes avantages lorsqu'elles sont reconnues inaptes au travail ". Aux termes de l'article L. 132-1 du même code : " Il est tenu compte, pour l'appréciation des ressources des postulants à l'aide sociale, des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenu, qui est évaluée dans les conditions fixées par voie réglementaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 132-3 du même code : " Les ressources de quelque nature qu'elles soient à l'exception des prestations familiales, dont sont bénéficiaires les personnes placées dans un établissement au titre de l'aide aux personnes âgées ou de l'aide aux personnes handicapées, sont affectées au remboursement de leurs frais d'hébergement et d'entretien dans la limite de 90 %. Toutefois les modalités de calcul de la somme mensuelle minimum laissée à la disposition du bénéficiaire de l'aide sociale sont déterminées par décret. La retraite du combattant et les pensions attachées aux distinctions honorifiques dont le bénéficiaire de l'aide sociale peut être titulaire s'ajoutent à cette somme ". Aux termes de l'article R. 132-1 du même code : " Pour l'appréciation des ressources des postulants prévue à l'article L. 132-1, les biens non productifs de revenu, à l'exclusion de ceux constituant l'habitation principale du demandeur, sont considérés comme procurant un revenu annuel égal à 50 % de leur valeur locative s'il s'agit d'immeubles bâtis, à 80 % de cette valeur s'il s'agit de terrains non bâtis et à 3 % du montant des capitaux ". Aux termes de l'article R. 231-6 du même code : " La somme minimale laissée mensuellement à la disposition des personnes placées dans un établissement au titre de l'aide sociale aux personnes âgées, par application des dispositions des articles L. 132-3 et L. 132-4 est fixée, lorsque l'accueil comporte l'entretien, à un centième du montant annuel des prestations minimales de vieillesse, arrondi à l'euro le plus proche. Dans le cas contraire, l'arrêté fixant le prix de journée de l'établissement détermine la somme au-delà de laquelle est opéré le prélèvement de 90 % prévu audit article L. 132-3. Cette somme ne peut être inférieure au montant des prestations minimales de vieillesse ".
3. D'une part, il résulte de ces dispositions que les ressources à prendre en compte pour accorder ou refuser le bénéfice de l'aide sociale comprennent les revenus perçus par le demandeur, notamment ceux tirés du placement des capitaux qu'il détient. A défaut pour lui de faire fructifier ces derniers, l'administration calcule un revenu forfaitaire, représentant les intérêts susceptibles d'être perçus, qui s'ajoute aux revenus effectivement perçus. En revanche, n'a pas à être pris en compte le montant des capitaux eux-mêmes, tant mobiliers qu'immobiliers, pour décider de l'admission ou non à l'aide sociale.
4. D'autre part, il résulte de ces dispositions que les personnes âgées hébergées en établissement au titre de l'aide sociale doivent pouvoir disposer librement de 10 % de leurs ressources et que la somme ainsi laissée à leur disposition ne peut être inférieure à 1 % du minimum vieillesse. Ces dispositions doivent être interprétées comme devant permettre à ces personnes de subvenir aux dépenses qui sont mises à leur charge par la loi et sont exclusives de tout choix de gestion, telles que les sommes dont elles seraient redevables au titre de l'impôt sur le revenu. Il suit de là que la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles doit être appliquée sur une assiette de ressources diminuée de ces dépenses. En outre, eu égard aux exigences résultant du onzième alinéa du préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du
4 octobre 1958 en vertu duquel la Nation garantit à tous la protection de la santé, les dispositions du code de l'action sociale et des familles doivent être interprétées comme imposant également de déduire de cette assiette soit la part des tarifs de sécurité sociale restant à la charge des assurés sociaux du fait des dispositions législatives et réglementaires et le forfait journalier prévu par l'article L. 174-4 du code de la sécurité sociale soit les cotisations d'assurance maladie complémentaire nécessaires à la couverture de ces dépenses.
5. Enfin, il résulte des dispositions combinées des articles L. 132-3 et R. 231-6 du code de l'action sociale et des familles que les établissements qui assurent à la fois l'hébergement et l'entretien des personnes âgées doivent fournir à ce titre l'ensemble des prestations d'administration générale, d'accueil hôtelier, de restauration, d'animation de la vie sociale de l'établissement et les autres prestations et fournitures nécessaires au bien-être de la personne dans l'établissement, dès lors qu'elles ne sont pas liées à son état de santé ou à son état de dépendance. Lorsqu'une personne âgée se voit demander d'acquitter elle-même des dépenses d'entretien qui devraient trouver leur contrepartie dans le tarif de l'établissement, il y a lieu, par suite, de déduire ces dépenses de l'assiette de la contribution exigée de l'intéressée en application des dispositions précitées.
6. En premier lieu, par la décision en litige du 16 octobre 2018, le président du
conseil départemental d'Indre-et-Loire a rejeté la demande d'admission à l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées présentée par l'UDAF d'Indre-et-Loire pour le compte de M. B... au motif que ce dernier " disposait de liquidités lui permettant de financer ses dépenses ". Il résulte toutefois des dispositions citées au point 2, comme il a été dit, que seuls peuvent être pris en compte, pour la détermination des ressources d'un postulant à l'aide sociale, d'une part, les revenus tirés des biens qu'il possède, et, d'autre part, s'agissant des biens qu'il possède non productifs de revenu, l'évaluation, effectuée sur la base forfaitaire prévue par les dispositions précitées des articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles, des ressources que l'allocataire est supposé pouvoir retirer de biens non productifs de revenu, à l'exclusion du montant du capital lui-même. Ainsi, lorsque le postulant à l'aide sociale dispose, comme en l'espèce, de capitaux qui ont fait l'objet d'un placement, seuls doivent être pris en considération les revenus de ce placement. Il s'ensuit que le président du conseil départemental d'Indre-et-Loire ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, retenir pour calculer les ressources de M. B... le montant de ses capitaux.
7. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'à la date de sa demande d'aide sociale du 1er mars 2018, M. B... disposait de ressources mensuelles de 885,19 euros constituées d'une pension de retraite de 818,26 euros et d'intérêts sur ses capitaux placés d'un montant non contesté de 66,93 euros, sans que puisse être pris en compte le montant de ces capitaux. Ses ressources propres doivent être diminuées des dépenses exclusives de tout choix de gestion, à savoir 3,06 euros au titre de ses frais de tutelle et 91,83 euros au titre de ses frais de mutuelle, dont le montant devra être plafonné à 80 euros et non au montant forfaitaire de 42 euros retenu par le département d'Indre-et-Loire, c'est-à-dire un montant total de dépenses de 83,06 euros. Compte tenu de la somme minimale laissée à sa disposition d'un montant de 96 euros correspondant à un centième du montant annuel des prestations minimales de vieillesse, ses ressources propres de 706,13 euros ne lui permettaient pas de s'acquitter de ses frais d'hébergement d'un montant de 2 048,56 euros par mois.
8. Il résulte de l'instruction que pour la période comprise entre le 1er septembre 2018 et le 31 août 2019, M. B... disposait de ressources mensuelles de 885,19 euros et que les dépenses exclusives de tout choix de gestion s'élevaient à 3,06 euros au titre de ses frais de tutelle et 52,09 euros au titre de ses frais de mutuelle dès lors que M. B... a perçu pendant cette période l'aide complémentaire santé. Compte tenu de la somme minimale laissée à sa disposition d'un montant de 99 euros correspondant à un centième du montant annuel des prestations minimales de vieillesse au titre de la période en cause, ses ressources propres de 737,04 euros ne lui permettaient pas de s'acquitter de ses frais d'hébergement d'un montant de 2 047,97 euros par mois.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que l'UDAF d'Indre-et-Loire est fondée à soutenir que M. B... doit être admis à l'aide sociale à l'hébergement à compter de la date qui sera fixée en application des articles L. 131-4 et R. 131-2 du code de l'action sociale et des familles, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit s'agissant de la période postérieure à la date de notification du présent arrêt, et à demander l'annulation de la décision du
19 décembre 2018 de la commission départementale d'aide sociale d'Indre-et-Loire et de la décision du 16 octobre 2018 par laquelle le président du conseil départemental d'Indre-et-Loire a rejeté la demande d'admission de M. B... à l'aide sociale à l'hébergement présentée le 1er mars 2018.
10. Il y a lieu de renvoyer l'UDAF d'Indre-et-Loire devant le président du conseil départemental d'Indre-et-Loire afin que ce dernier détermine le déficit constaté des ressources perçues par M. B... à compter de la date qui sera fixée en application des articles L. 131-4 et R. 131-2 du code de l'action sociale et des familles, diminuées des dépenses mises à sa charge par la loi et exclusives de tout choix de gestion et de la somme minimale laissée à sa disposition correspondant à un centième du montant annuel des prestations minimales de vieillesse, par rapport aux frais de son hébergement au sein de l'EHPAD Pôle santé Sud de Sainte-Maure-de-Touraine et procède au paiement des sommes ainsi calculées.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'UDAF d'Indre-et-Loire, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le département d'Indre-et-Loire au titre des frais liés à l'instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département d'Indre-et-Loire le versement à l'UDAF d'Indre-et-Loire de la somme de 1 500 euros sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 19 décembre 2018 de la commission départementale d'aide sociale d'Indre-et-Loire et la décision du 16 octobre 2018 du président du conseil départemental d'Indre-et-Loire sont annulées.
Article 2 : M. B... est admis à l'aide sociale pour la prise en charge de ses frais d'hébergement à compter de la date qui sera fixée en application des articles L. 131-4 et R. 131-2 du code de l'action sociale et des familles, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit s'agissant de la période postérieure à la date de notification du présent arrêt. L'Union départementale des associations familiales d'Indre-et-Loire est renvoyée devant le président du conseil départemental d'Indre-et-Loire afin qu'il procède à la fixation et au paiement, dans les conditions fixées au point 10 du présent arrêt, des sommes dues à ce titre.
Article 3 : Le département d'Indre-et-Loire versera à l'Union départementale des associations familiales d'Indre-et-Loire la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le département d'Indre-et-Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Union départementale des associations familiales d'Indre-et-Loire en sa qualité de tuteur de M. A... B... et au département d'Indre-et-Loire.
Copie pour information sera adressée à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Pôle santé Sud de Sainte-Maure-de-Touraine.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2022.
La rapporteure,
V. LARSONNIER Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA05256