Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le comité social et économique central de l'unité économique et sociale Total RP (Raffinage-Pétrochimie), le comité social et économique de l'établissement Grandpuits-Gargenville et le syndicat CGT Grandpuits-Gargenville, représentés par Me Bernard, ont demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 31 mars 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de l'unité départementale de Seine-et-Marne a validé l'accord collectif relatif au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de l'entreprise Total Raffinage France.
Par un jugement n° 2105153 du 31 août 2021, le Tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, un mémoire en réplique et des pièces enregistrés les 29 octobre et
24 décembre 2021 sous le n° 21PA05618, le comité social et économique central de l'unité économique et sociale Total RP (Raffinage-Pétrochimie), le comité social et économique de l'établissement Grandpuits-Gargenville et le syndicat CGT Grandpuits-Gargenville, représentés par Me Bernard, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 31 août 2021 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande ;
2°) d'annuler la décision du 31 mars 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France de l'unité départementale de Seine-et-Marne (Direccte) a validé l'accord collectif majoritaire du
12 février 2021 contenant le plan de sauvegarde de l'emploi de la société Total Raffinage France ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chaque demandeur de la somme de
1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le contrôle du Direccte sur l'obligation de sécurité n'est pas conforme à la loi dans la mesure où le tribunal administratif, d'une part, s'est refusé à contrôler la réalité des déclarations de l'employeur, et ce alors même que le Direccte, par injonction, avait demandé les informations permettant de réaliser ce contrôle et que l'autorité administrative avait ordonné la communication des informations nécessaires, et d'autre part, a minimisé son contrôle en renvoyant à un contrôle ultérieur et a ainsi créé une zone de non-droit ;
- la société n'a pas respecté son obligation d'évaluation des risques préalablement à la mise en œuvre de son projet de réorganisation faute de plan de prévention des risques autre que les risques psychosociaux et d'évaluation du risque lié à la charge de travail.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Par des mémoires enregistrés les 15 décembre 2021 et 4 janvier 2022, la société TotalEnergies Raffinage France, la société TotalEnergies Raffinage Chimie et la société TotalEnergies Petrochemicals France, représentées par Me Rozec, concluent au rejet de la requête.
Elles soutiennent qu'aucun des moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code du commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ho Si Fat,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Mes Bernard et Marcel, avocates du comité social et économique central de l'unité économique et sociale Total RP (Raffinage pétrochimie), du comité social et économique de l'établissement Grandpuits-Gargenville et du syndicat CGT Grandpuits-Gargenville, et de Me Rozec, avocat des sociétés TotalEnergies Raffinage France, TotalEnergies Raffinage Chimie et TotalEnergies Petrochemicals France.
Considérant ce qui suit :
1. La société Total Raffinage France, devenue TotalEnergies Raffinage France en mai 2021, est, avec les sociétés TotalEnergies Raffinage Chimie et TotalEnergies Petrochemicals France, l'une des trois entreprises composant l'unité économique et sociale (UES) Raffinage-Pétrochimie du groupe TotalEnergies. L'UES est composée de neuf établissements parmi lesquels la plateforme de Grandpuits-Gargenville, constituée de la raffinerie de Grandpuits et du site pétrolier de Gargenville, et elle employait quatre cents salariés au 1er septembre 2020. Afin de sauvegarder la compétitivité du site, la société Total Raffinage France a souhaité transformer la plateforme en une plateforme bas carbone produisant des produits biosourcés et recyclés, cette transformation impliquant l'arrêt du raffinage au premier trimestre 2021 et le stockage de combustibles fossiles fin 2023 au profit de quatre nouvelles activités, ayant vocation à supprimer deux cent cinquante-quatre postes de travail, en créer cent quatre, en transformer quarante, et en maintenir cent six. La procédure d'information-consultation du comité social et économique central (CSEC) et du comité social et économique de l'établissement (CSEE) a débuté le 24 septembre 2020 et s'est achevée le
10 février 2021. Un accord majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi a été signé le
12 février 2021. Le 22 février 2021, la société Total Raffinage France a soumis l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi à la validation de la Direccte. Un avenant a été signé le
22 mars 2021 et communiqué à la Direccte. Une décision de complétude a été communiquée le
24 mars 2021 et une décision explicite de validation a été prise le 31 mars 2021. Le CSEC de l'unité économique et sociale Total RP (Raffinage-Pétrochimie), le comité social et économique de l'établissement Grandpuits-Gargenville et le syndicat CGT Grandpuits-Gargenville relèvent appel du jugement du 31 août 2021 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de validation du 31 mars 2021.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 1233-24-1 du code du travail : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité social et économique et de mise en œuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, ou par le conseil d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 2321-9. L'administration est informée sans délai de l'ouverture d'une négociation en vue de l'accord précité ". Aux termes de l'article L. 1233-30 du code du travail : " Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité social et économique
sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ;
/ 2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail (...) ". L'article L. 1233-57-2 du même code prévoit que : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : / 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; / 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique ; / 3° La présence dans le plan de sauvegarde de l'emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61 et
L. 1233-63 ; / 4° La mise en œuvre effective, le cas échéant, des obligations prévues aux articles
L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 ". Enfin, l'article L. 4121-1 du code du travail dispose que : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ".
3. Il résulte de ces dispositions que dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A cette fin, elle doit contrôler, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée. Il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative, le juge judiciaire étant pour sa part compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige, soit est sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l'opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit est liée à la mise en œuvre de l'accord ou du document ou de l'opération de réorganisation.
En ce qui concerne la régularité de l'information et de la consultation :
4. En premier lieu, les requérants soutiennent que l'information du comité social et économique n'a pas été régulière en ce que la société n'aurait pas respecté son obligation d'évaluation des risques, notamment en ce qui concerne la charge de travail, les risques chimiques, biologiques et industriels, alors qu'il s'agit d'un site Seveso et que son plan de prévention des risques ne contiendrait aucune analyse des risques physiques et industriels de la future organisation. Ils font valoir en outre que la décision attaquée serait entachée d'une erreur de droit en ce que la Direccte n'aurait pas tiré de conséquences de ses injonctions et observations.
5. Il ressort des pièces du dossier que, s'agissant d'un projet complexe à plusieurs étapes, la société Total Raffinage France a complété de manière échelonnée les informations délivrées au CSEC à partir du 24 septembre 2020, notamment en ce qui concerne les risques industriels et les aspects organisationnels du projet de transformation de la plateforme et l'évaluation de la charge de travail au sein de la nouvelle organisation. Les instances représentatives du personnel ont ainsi été destinataires de la note économique et du livre social élaborés dans le cadre du projet de transformation de la plateforme en cause au cours de la réunion d'information-consultation du 24 septembre 2020. Par ailleurs, dans le cadre de la mission confiée à l'expert désigné par le CSEC au cours de la réunion d'information-consultation du 6 octobre 2020, la société Total Raffinage France a communiqué de nombreuses données relatives au projet de transformation, parmi lesquelles la présentation des trois nouvelles activités (PLA, pyrolyse et biocarburant aérien), la présentation détaillée de l'organisation future intégrant la gestion des absences, un fichier Excel détaillant poste par poste les impacts du projet, l'enquête réalisée par un cabinet extérieur sur les risques psychosociaux, les fiches de poste actuelles et les fiches de poste futures, le document unique d'évaluation des risques actuel, le plan d'opération interne (POI) actuel, le fonctionnement du département Hygiène - Sécurité - Environnement - Qualité - Inspection, enfin, les fiches de données sécurité. A la suite de la lettre d'observations émise par la Direccte le 16 décembre 2020, la société Total Raffinage France a complété les informations déjà fournies par une note sur la charge de travail assortie d'annexes. Sur la base des informations transmises, les experts ont pu établir des rapports sur les différents aspects du projet, lesquels ont été présentés au CSEC les 26 et
27 janvier 2021 et au CSEE les 28 janvier, 1er et 2 février 2021. Enfin, en réponse à la demande d'injonction qui lui a été adressée le 1er février 2021 par la Direccte, la société Total Raffinage France a fourni le 4 février 2021 au CSEC un certain nombre d'éléments réclamés dans la demande d'injonction, et notamment un document exposant les scénarios majorants relatifs au POI futur et un document reprenant les réponses apportées par la société aux questions formulées par le CSEC, notamment sur l'évaluation des risques. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, d'une part, que le CSEC et le CSEE n'auraient pas disposé de toutes les informations utiles pour se prononcer en toute connaissance de cause sur le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des obligations de l'employeur en termes de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des travailleurs et, d'autre part, que la Direccte aurait commis une erreur de droit en ne tirant pas de conséquences des réponses de la société Total Raffinage France à ses observations et à sa demande d'injonction. Dès lors, les moyens tirés de l'irrégularité de l'information du comité social et économique et de l'existence d'une erreur de droit doivent être écartés.
En ce qui concerne les obligations de l'employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés :
6. Les requérants soutiennent que la société Total Raffinage France n'a pas correctement évalué la charge de travail ni les risques psychosociaux et que les mesures de prévention des risques sont insuffisantes.
7. S'agissant de la charge de travail, il ressort des pièces du dossier que la société Total Raffinage France a évalué la charge de travail des nouvelles activités par référence aux sites existants exerçant ces activités (le site de Rayong pour l'activité PLA et le site de La Mède pour l'activité biocarburant), en corrigeant ces données par rapport au droit du travail français et aux spécificités du site et qu'elle a mis en place des commissions locales chargées de formuler des remarques et des observations sur l'organisation du travail projetée, ces aspects devant faire l'objet d'échanges ultérieurs au fur et à mesure du développement du projet. En outre, il ressort également des pièces du dossier que postérieurement à la décision attaquée, des évolutions tenant compte de leurs observations ont été présentées aux représentants du personnel lors du CSE du 7 avril 2021, au nombre desquelles l'ajout de treize postes à l'organigramme-cible et le passage du cycle de 24/48 à 3X8 pour le rythme de travail du chef de feu.
8. S'agissant des risques psychosociaux, il ressort des pièces du dossier qu'un plan de prévention de ces risques a été mis en œuvre à partir du 4ème trimestre 2020, avec des ateliers en petits groupes animés par des psychologues, que l'accord collectif comprend un point spécifique indiquant qu'une démarche de prévention des risques psychosociaux (RPS) a été mise en œuvre avec la formation d'un groupe de travail RPS et que cette cellule RPS s'est réunie le 9 mars 2021 pour présenter le plan d'action qu'elle avait élaboré, avec un calendrier de mise en œuvre sur deux ans.
9. Enfin, s'agissant des risques chimiques, biologiques et industriels, il ressort des pièces du dossier qu'une première évaluation de ces risques a été réalisée, permettant de définir des scénarios qualifiés de " majorants " constitués au regard des risques identifiés pour chaque activité de la future plateforme, que ces éléments seront complétés pour établir le POI futur. En outre, il ressort également des pièces du dossier que, postérieurement à la décision attaquée, les résultats d'une première étude de danger concernant la future unité Pyrolyse ont été transmis au CSE le
7 juillet 2021.
10. Il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le projet de transformation de la plateforme de Grandpuits ne méconnaissait pas les dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail et que les mesures prévues par la société Total Raffinage France pour faire face aux risques professionnels dans la nouvelle organisation étaient suffisantes. Dès lors, le moyen tiré de ce que la société Total Raffinage France n'a pas correctement évalué la charge de travail ni les risques psychosociaux et que les mesures de prévention des risques sont insuffisantes doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le comité social et économique central de l'unité économique et sociale Total RP, le comité social et économique de l'établissement Grandpuits-Gargenville et le syndicat CGT Grandpuits-Gargenville ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de validation du 31 mars 2021. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête du comité social et économique central de l'unité économique et sociale Total RP, du comité social et économique de l'établissement Grandpuits-Gargenville et du syndicat CGT Grandpuits-Gargenville est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au comité social et économique central de l'unité économique et sociale Total RP (Raffinage-Pétrochimie), au comité social et économique de l'établissement Grandpuits-Gargenville, au syndicat CGT Grandpuits-Gargenville, à la société TotalEnergies Raffinage France, à la société TotalEnergies Raffinage Chimie, à la société TotalEnergies Petrochemicals France et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Copie en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités.
Délibéré après l'audience publique du 10 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2022.
Le rapporteur,
F. HO SI FAT
Le président,
R. LE GOFFLa greffière,
E. VERGNOLLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA05618