Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2019 par lequel le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions, d'enjoindre audit ministre de le réintégrer dans ses fonctions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 300 000 F CFP, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1900154 du 29 juillet 2019, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires et pièces, enregistrés le 13 septembre 2019, le
25 septembre 2020 et le 11 décembre 2020, M. C..., représenté par Me Reuter, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1900154 du 29 juillet 2019 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2019 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de le réintégrer dans ses fonctions de brigadier ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 350 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- les droits de la défense ont été méconnus, dès lors qu'il n'a pas été entendu lors de l'enquête administrative ;
- la décision porte atteinte au principe d'indépendance des procédures disciplinaire et pénale et la sanction disciplinaire infligée ne saurait être justifiée par la seule existence d'une condamnation pénale intervenue antérieurement pour les mêmes faits, sans investigations complémentaires ;
- la sanction de révocation est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la matérialité des faits de détournements de fonds, de faux et usages de faux et de blanchiment, est établie, le requérant ayant fait l'objet d'une condamnation pénale dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ;
- ces faits, commis par un fonctionnaire gradé de la police nationale sur une période de plus de quatre ans, sanctionnés pénalement par une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 126 000 euros, sont d'une particulière gravité, relèvent des dispositions des articles R. 434-3, R. 434-8, R. 434-12, R. 434-14, R. 434-26 et R. 434-27 du code de déontologie de la police nationale, du décret du 9 mai 1995 et de l'arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale ; ils sont de nature à justifier la sanction de révocation pour manquement aux obligations de probité, de moralité et d'exemplarité, quand bien même l'intéressé était-il placé en position de disponibilité pour convenance personnelle au moment de leur commission.
Par ordonnance du 2 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, toutes deux relatives à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été titularisé dans le corps d'encadrement et d'application de la police nationale en tant que gardien de la paix le 1er octobre 2004 et a été affecté un an plus tard à Nouméa, le 1er octobre 2005, avant d'être promu au grade de brigadier de police le 30 juin 2011. Il a été placé en disponibilité pour convenance personnelle à compter du 1er janvier 2012, afin de se consacrer à la gestion de trois sociétés dont il était le gérant. Dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, il a été condamné définitivement par une ordonnance d'homologation du 25 septembre 2017 du président du tribunal de première instance de Nouméa, aux peines de six mois d'emprisonnement avec sursis et de 15 000 000 F CFP - soit environ 126 000 euros - d'amende, pour avoir commis des abus de biens sociaux en procédant, entre le 1er janvier 2012 et le 30 janvier 2016, " à des prélèvements abusifs de trésorerie " " pour un total de 123 117 370 F CFP ", pour avoir effectué au cours de cette même période des opérations de blanchiment qui lui ont permis d'acquérir " une Chevrolet Camaro, une Maseratti Quattroporte, et une Mc Laren 12 C Spider " et, enfin, pour s'être rendu coupable au cours de la même période, de faux et usage de faux en établissant " sept fausses factures pour un total de 26 938 000 F CFP (...) et une fausse attestation pour la somme de 19 000 000 F CFP ". Après enquête administrative et mise en œuvre d'une procédure disciplinaire, par un arrêté du 4 janvier 2019, le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions au motif que de telles malversations, bien que commises lorsqu'il était " en position de disponibilité " et " dans le cadre de [sa] vie privée ", avaient " porté atteinte au crédit et au renom de la police nationale [et] [étaient] incompatibles avec les qualités et les fonctions de policier ". Par un jugement du 29 juillet 2019, le tribunal administratif de Nouvelle Calédonie a rejeté la demande de M. C... d'annulation de cet arrêté. Ce dernier relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il résulte de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires que la décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Par ces dispositions combinées, le législateur a entendu imposer à l'autorité qui prononce une sanction disciplinaire de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire intéressé, de sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.
3. Contrairement à ce que soutient M. C..., l'arrêté litigieux ne se borne pas à faire référence aux infractions ayant fait l'objet de poursuites pénales, mais, ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, énonce les textes dont il est fait application, précise les faits reprochés dont la matérialité a été établie par l'autorité judiciaire et mentionne qu'en dépit de leur contexte, de tels faits portent atteinte au crédit et au renom de la police nationale, et sont incompatibles avec les qualités et fonctions de policier. Le moyen tiré du défaut de motivation manque ainsi en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, M. C... soutient qu'il n'a pas été auditionné lors de l'enquête administrative, qu'il demeure en Nouvelle-Calédonie, n'a rencontré aucun agent enquêteur de l'inspection générale de la police nationale de Fort-de-France et qu'il n'a dès lors pas pu faire d'observations sur les faits reprochés, en conséquence de quoi les droits de la défense, et notamment le principe du contradictoire, ont été méconnus. Toutefois, s'il est constant que le requérant n'a pas été auditionné lors de l'enquête administrative, il ressort des pièces du dossier qu'il a été mis en mesure de prendre connaissance du rapport administratif par lequel l'administration a saisi le conseil de discipline et a été entendu lors de la réunion de ce conseil le 12 juillet 2018, assisté de son avocat. Il a ainsi été mis à même, dans le cadre de la procédure disciplinaire, de faire valoir utilement sa défense en répondant aux griefs qui lui étaient reprochés. Par suite, les moyens tirés de l'irrégularité dont serait entachée l'enquête administrative et de la méconnaissance des droits de la défense doivent être écartés.
5. En troisième lieu, M. C... reprend en appel le moyen de première instance tiré de ce que l'administration a méconnu le principe d'indépendance des procédures disciplinaire et pénale en se bornant à justifier la sanction disciplinaire qui lui a été infligée par l'existence d'une condamnation pénale antérieurement intervenue à propos des mêmes faits, sans procéder à des investigations complémentaires. Pour autant, un fonctionnaire peut être sanctionné pénalement et disciplinairement pour les mêmes faits et la sanction disciplinaire peut prendre appui sur une condamnation pénale devenue définitive. Il y a lieu par conséquent d'écarter ce moyen.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes.//Premier groupe :- l'avertissement ;- le blâme.// Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ;- l'abaissement d'échelon ;- l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office.// Troisième groupe :- la rétrogradation ;- l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans.// Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ;- la révocation. //(...) ".
7. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
8. Pour prononcer la révocation de M. C..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur des faits dont la matérialité est établie et qui ont été reconnus par l'intéressé. L'élément intentionnel des infractions a par ailleurs été regardé comme caractérisé par le juge pénal. Le comportement d'un fonctionnaire en dehors du service pouvant constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a notamment pour effet de porter atteinte à l'image et à la réputation du service et à jeter le discrédit sur l'administration, les faits reprochés à M. C..., rappelés au point 1 de l'arrêt, sont contraires à l'obligation de probité et au respect de la loi pénale qui s'imposent à tout fonctionnaire de la police nationale. Par leur nature et leur gravité, ils sont incompatibles avec les fonctions de brigadier de police, sans que soient opposables, s'agissant de l'appréciation de leur gravité, le caractère satisfaisant de la manière de servir de M. C... avant ces faits et la circonstance que ceux-ci ont été commis pendant qu'il était en disponibilité prolongée après que le ministre en ait eu connaissance. Enfin, ni la circonstance que le conseil de discipline n'a pas donné à l'unanimité un avis favorable à la sanction de révocation, pas plus que l'absence de publicité donnée aux faits sanctionnés ne sauraient avoir d'incidence sur l'appréciation de la gravité des faits reprochés. Compte tenu des obligations déontologiques s'imposant à M. C... et de la gravité des faits, c'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont estimé que la sanction prononcée n'était pas disproportionnée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 janvier 2019 par lequel le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions de brigadier de police. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le requérant demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.
La rapporteure,
M-D. A...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANILa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
3
N° 19PA02979