Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2019 par lequel le préfet du Val-de-Marne a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 1906978 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 5 février 2021, M. C..., représenté par Me Lepeu, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1906978 du 13 octobre 2020 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 juillet 2019 du préfet du Val-de-Marne ;
3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 ou de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer pendant ce réexamen une autorisation provisoire de séjour et une autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de refus de séjour :
- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée en fait ;
- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que le préfet de police aurait dû saisir la commission du titre de séjour ;
- aucune information ne lui a été communiquée quant à l'auteur du rapport médical et aux modalités selon lesquelles ce rapport a été établi ; il s'ensuit qu'il n'est pas en mesure de vérifier si les prescriptions de l'article R. 4127-76 du code de la santé publique relatives à l'identification du praticien ont été respectées et si ce médecin instructeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) était compétent pour rendre ce rapport ;
- les fonctions et les signatures des médecins mentionnées et apposées sur l'avis du collège de médecins de l'OFII sont illisibles et ne sont pas datées ; elles ne permettent pas de vérifier leur authenticité ; il n'est pas établi que ces médecins étaient compétents pour rendre cet avis et que le médecin ayant présidé ce collège était bien désigné en qualité de coordonnateur de zone par l'OFII ;
- il n'est pas établi que l'avis du collège des médecins de l'OFII ait été précédé d'une délibération collégiale, comme l'exige l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 ; la charge de la preuve du caractère collégial de la délibération du collège de médecins de l'OFII ne saurait peser sur le demandeur ;
- le rapport du médecin instructeur et l'avis du collège de médecins de l'OFII ne mentionnant pas les " éléments de procédure ", le préfet du Val-de-Marne n'a pas été en mesure de contrôler le respect de la procédure par les médecins de l'OFII ; il s'ensuit qu'il a été privé d'une garantie ; la méconnaissance de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 a d'ailleurs été relevée par le juge des référés du tribunal administratif de Melun qui, par une ordonnance du 11 octobre 2019, a suspendu l'exécution de la décision en litige pour ce motif ;
- l'avis du collège de médecins de l'OFII ne se prononce pas sur la durée prévisible de son traitement et des soins médicaux en méconnaissance de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 ; le préfet du Val-de-Marne n'a pas été en mesure de se prononcer de manière éclairée et complète sur sa situation, le privant ainsi d'une garantie ;
- l'avis du collège de médecins de l'OFII et la décision de refus de séjour contestée ne se réfèrent pas au rapport du médecin instructeur ; ils ne mentionnent pas les informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié à ses pathologies dans son pays d'origine en méconnaissance de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la base de données BISPO sur laquelle s'est fondé le collège de médecins de l'OFII n'étant pas accessible au public, il n'est pas établi que le collège ait respecté les préconisations de recherche et d'appréciation prévues par l'article 3 de l'arrêté du 5 janvier 2017 ;
- le préfet du Val-de-Marne s'est estimé lié par l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII et a méconnu sa compétence ;
- il a commis une erreur de droit dès lors qu'il n'a pas vérifié l'effectivité de son accès aux soins et traitements adaptés à son état de santé dans son pays d'origine ;
- il a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son état de santé s'est dégradé depuis la délivrance de son premier titre de séjour et que la situation sanitaire en Tunisie ne s'est pas améliorée ; il ne pourra pas bénéficier effectivement des traitements et du suivi adaptés à ses pathologies dans ce pays ; en effet, plus d'un tiers des médicaments qui lui sont prescrits ne sont pas disponibles en Tunisie et il ne pourra pas, en outre, bénéficier d'une prise en charge par le système de sécurité sociale ;
- il a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à l'intensité de ses attaches familiales en France, à l'absence de toutes attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine qu'il a quitté il y a dix ans et de son intégration dans la société française ;
- son admission au séjour répondant à des considérations humanitaires et se justifiant par des motifs exceptionnels, le préfet du Val-de-Marne a commis une erreur manifeste d'appréciation ne l'admettant pas au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- l'illégalité de la décision de refus de séjour prive de base légale la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est intervenue sans qu'il soit mis en mesure de présenter des observations écrites ou orales en méconnaissance de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision contestée méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision accordant un délai de départ volontaire de trente jours :
- le préfet du Val-de-Marne a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle en ne lui accordant pas un délai de départ supérieur à trente jours qui lui aurait permis d'organiser son retour dans de meilleures conditions en raison de son état de santé ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- la décision contestée méconnaît les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne pourra pas bénéficier des soins médicaux nécessaires à son état de santé, ni d'un soutien familial dans son pays d'origine.
La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 8 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- et les observations de Me Jourdannaud, substituant Me Lepeu, avocat de
M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant tunisien né le 4 mars 1972, est entré en France en 2014 selon ses déclarations. Il a été titulaire d'un titre de séjour délivré sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile valable du 10 janvier 2018 au 9 janvier 2019. Par un arrêté du 4 juillet 2019, le préfet du Val-de-Marne a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office. Par un jugement du 13 octobre 2020, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ont été reprises à l'article L. 425-9 de ce code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de renouveler le titre de séjour de M. C..., le préfet du Val-de-Marne s'est notamment fondé sur l'avis du 26 avril 2019 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui précisait que si l'état de santé de M. C... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de ce pays. Il ressort du certificat médical du 21 août 2018 du docteur B... du centre hospitalier de Bligny et du compte rendu d'hospitalisation dans cet établissement du 3 octobre 2018 que M. C... est atteint d'une spondylarthropathie ankylosante sévère, diagnostiquée en France en août 2015 et que les traitements anti-suppresseurs (Methotrexate et Humira associés à des corticoïdes) ont favorisé l'apparition d'une tuberculose disséminée pulmonaire ganglionnaire et splénique diagnostiquée en octobre 2016 particulièrement difficile à traiter ainsi qu'une méningite lymphocytaire en octobre 2017. Le 3 avril 2019, M. C... a subi une intervention chirurgicale après la découverte de carcinomes conjonctivaux. Toutefois, l'exérèse de ces carcinomes s'est révélée être incomplète et, à la date de la décision de refus de séjour,
M. C... suivait un traitement par collyre Interféron Alpha 2b qui lui a été délivré en milieu hospitalier les 27 mai et 24 juin 2019 et bénéficiait d'un suivi par l'Institut Curie qui avait programmé des consultations en ophtalmologie jusqu'en octobre 2019. En outre, il ressort notamment du compte rendu de consultation du 7 juin 2019 du praticien hospitalier du centre hospitalier intercommunal de Créteil et des ordonnances du 24 janvier 2019 et du 6 juin 2019 délivrées par ce centre hospitalier prescrivant douze médicaments dont plusieurs anti-inflammatoires et antalgiques et des vitamines que du fait des carcinomes conjonctivaux, le traitement de la spondylarthropathie ankylosante, qui associait notamment de l'Humira et du Methotrexate 10 mg, comme il a déjà été dit, a dû être modifié, l'Humira étant devenu contre-indiqué. Ainsi, à la date de la décision contestée, le Methotrexate avait été augmenté à 15 mg à raison d'une injection par semaine et avait été prescrit jusqu'en décembre 2019 par une ordonnance du 6 juin 2019. Or, M. C... produit pour la première fois en appel des attestations établies par des pharmaciens de Médenine les 27 octobre 2020 et 10 novembre 2020 selon lesquelles le Methotrexate n'est pas disponible en Tunisie. Le préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense devant la Cour et s'est borné à soutenir devant le tribunal que la Tunisie dispose de nombreux hôpitaux et cliniques spécialisées dans les pathologies présentées par l'intéressé et que " des personnes atteintes de troubles identiques aux siens ont reçu des traitements adaptés " dans ce pays sans produire de pièces au soutien de ces affirmations, n'établit pas que M. C... pourrait effectivement bénéficier du Methotrexate à raison d'une injection hebdomadaire de 15 mg en Tunisie, ni du suivi médical adapté à son état de santé. Dans ces conditions, M. C... est fondé à soutenir que le préfet du Val-de-Marne a méconnu les dispositions du 11° de l'article
L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que la décision du préfet du Val-de-Marne du 4 juillet 2019 refusant de renouveler le titre de séjour de M. C... doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, lesquelles sont dépourvues de base légale.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 juillet 2019 du préfet du Val-de-Marne.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté contesté, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus à la demande de M. C..., le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité lui délivre un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité d'étranger malade. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à la préfète du Val-de-Marne de délivrer ce titre dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
6. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Lepeu, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Lepeu de la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 13 octobre 2020 du tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 4 juillet 2019 du préfet du Val-de-Marne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Val-de-Marne de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Lepeu, avocat de M. C..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Lepeu renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 14 octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2021.
La rapporteure,
V. LARSONNIER Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA00623 2