Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision implicite du 29 septembre 2017 par laquelle le ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique contre la décision d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 et d'annuler cette dernière décision, d'autre part, d'annuler la décision du 29 janvier 2018 par laquelle le ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 et a autorisé son licenciement, d'annuler la décision implicite du 29 septembre 2017 par laquelle le ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique contre la décision d'autorisation de licenciement du 27 mars 2017, et d'annuler cette dernière décision.
Par un jugement n° 1709216-1801837 du 22 novembre 2019, le tribunal administratif de Melun a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 et de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre cette décision, et a rejeté le surplus des conclusions de M. C....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 septembre 2020, M. C..., représenté par Me Benoît-Grandière, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 novembre 2019 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision du 29 janvier 2018 par laquelle le ministre du travail a retiré la décision implicite du 29 septembre 2017 rejetant son recours hiérarchique contre la décision d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 et a autorisé son licenciement ;
3°) d'annuler la décision implicite du 29 septembre 2017 par laquelle le ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique contre la décision d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 ;
4°) d'annuler la décision d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de sa demande de première instance ;
6°) de mettre à la charge de l'État la somme de 500 euros en application des dispositions des articles 75-I et 43 de la loi du 10 juillet 1991, au titre de sa requête d'appel ;
7°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 800 euros à verser à Me Benoît-Grandière, en application des articles 75-I et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 n'est pas suffisamment motivée ;
- le ministre du travail a commis une erreur de droit au regard des dispositions combinées de l'article R. 2422-1 du code du travail et de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, dès lors qu'il a retiré la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique au-delà du délai contentieux de deux mois ;
- l'inspecteur du travail et le ministre du travail n'ont pas fait un juste contrôle du respect de l'obligation de reclassement mis à la charge de l'employeur ; son reclassement à l'intérieur du groupe était possible ; l'offre de poste de conducteur numérique formulée par son employeur ne pouvait être considérée comme une offre ferme de reclassement au sens de l'article L. 1233-4 du code du travail ; son employeur n'a pas recherché loyalement et sérieusement un poste de reclassement.
Par un mémoire enregistré le 4 mars 2021, la société Enveloffset, représentée par Mes Dumas et Bachès, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 29 septembre 2017 sont irrecevables, dès lors qu'elles ont été respectivement annulée et retirée par le ministre du travail par décision du 29 janvier 2018 ;
- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juin 2020 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris.
La clôture de l'instruction a été fixée au 18 juin 2021.
Vu :
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dumas, représentant la société Enveloffset.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été recruté par la société Enveloffset le 15 novembre 1993 en qualité de conducteur, et il occupait depuis 2003 le poste de conducteur offset quadri. Il a été élu délégué du personnel le 16 février 2015. Fin 2016, son employeur a décidé de mettre en œuvre une réorganisation de la société pour faire face à des difficultés économiques, prévoyant l'arrêt de l'activité de repiquage offset et le licenciement de quinze salariés. Par courrier du 31 janvier 2017, la société Enveloffset a sollicité l'autorisation de licencier M. C... pour motif économique. Par décision du 27 mars 2017, l'inspection du travail a accordé cette autorisation. Le ministre du travail a implicitement rejeté, le 29 septembre 2017, le recours hiérarchique formé par le salarié contre cette décision. Puis, par une décision explicite du 29 janvier 2018, le ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du 29 septembre 2017, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017, et a autorisé le licenciement de M. C.... Celui-ci relève appel du jugement du 22 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique, et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision du 29 janvier 2018 du ministre du travail :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.
3. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail alors applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ". Et aux termes de l'article L. 1233-5 du même code : " Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. / Ces critères prennent notamment en compte : / 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; / 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. / L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 328 de la convention collective nationale de travail du personnel des imprimeries de labeur et des industries graphiques : " (...) Les licenciements qui devraient cependant être effectués seront déterminés, par catégorie et échelons professionnels, en tenant compte de l'ancienneté et de la valeur professionnelle, la valeur professionnelle n'intervenant que si la différence d'ancienneté est au plus égale à 2 années. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que la société Enveloffset a proposé à M. C..., par courrier du 21 décembre 2016, deux postes de reclassement, l'un situé dans le département de la Charente en qualité de conducteur régleur quatre couleurs, l'autre à Roissy-en-Brie, en Seine-et-Marne, en qualité de conducteur numérique. Si l'intéressé en ne répondant pas à la première offre doit être regardé comme l'ayant refusée, il a en revanche, par lettre du 10 janvier 2017, accepté le second poste. Toutefois, par courrier du 13 janvier 2017, son employeur l'a informé que le poste situé à Roissy-en-Brie avait été attribué à un autre salarié auquel il avait été également proposé, et dont le profil avait été jugé plus adapté. Les critères de départage, établis en décembre 2016, prévoyaient cependant que " dans l'hypothèse où le nombre de réponses positives pour un même poste de reclassement serait supérieur au nombre de postes disponibles, et où un départage serait alors nécessaire entre des salariés présentant chacun les compétences et le profil adaptés au poste, les critères d'ordre de licenciement seraient appliqués : le salarié cumulant le plus grand nombre de points serait prioritaire. Sinon, à profil équivalent, priorité serait donnée au candidat ayant la plus forte ancienneté ". Ce dispositif ne saurait conférer à l'employeur, sans que soient privées de portée effective les règles relatives à la mise en œuvre des critères d'ordre, la faculté de déterminer, quand un poste de reclassement a été proposé à plusieurs salariés présentant chacun les compétences et le profil adaptés au poste, celui qui lui semble le plus apte à l'occuper. En l'espèce, dès lors que la société Enveloffset avait proposé à M. C... le poste de conducteur numérique situé à Roissy-en-Brie, elle était supposée avoir considéré que ce salarié était qualifié pour l'occuper. A contrario, l'offre de reclassement aurait été insincère. M. C..., marié et père de neuf enfants, qui disposait d'une ancienneté au sein de l'entreprise supérieure à celle du salarié, célibataire et sans enfant, auquel le poste a été attribué en définitive pouvait donc obtenir, en application des critères d'ordre, le poste situé à Roissy-en-Brie. Il résulte de ce qui précède que le reclassement de M. C... pouvait être assuré au sein de son entreprise par application des règles qu'elle avait définies. Le requérant est dès lors fondé à soutenir que le ministre du travail, en estimant que la société Enveloffset avait satisfait à l'obligation de reclassement posée par les dispositions précitées des articles L. 1233-4 et L. 1233-5 du code du travail et en accordant par suite l'autorisation de licenciement sollicitée, a entaché son appréciation d'erreur.
5. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail du 29 janvier 2018 en tant qu'elle retire la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique née le 29 septembre 2017 et qu'elle autorise son licenciement.
En ce qui concerne la décision implicite du 29 septembre 2017 du ministre du travail et la décision du 27 mars 2017 de l'inspecteur du travail :
6. Par sa décision du 27 mars 2017, l'inspecteur du travail a autorisé la société Enveloffset à licencier M. C... et, par décision implicite née le 29 septembre 2017, le ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par le salarié. La décision du ministre du travail du 29 janvier 2018 étant annulée par le présent arrêt, c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a estimé que les conclusions du requérant tendant à l'annulation des décisions antérieures étaient dépourvues d'objet. Pour le même motif que celui retenu au point 5 du présent arrêt, ces deux décisions sont entachées d'illégalité et doivent être annulées.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros à l'avocat de M. C... sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle. Ces dernières dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Enveloffset et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1709216-1801837 du 22 novembre 2019 du tribunal administratif de Melun, la décision du ministre du travail du 29 janvier 2018, la décision implicite du ministre du travail née le 29 septembre 2017 et la décision de l'inspecteur du travail du 27 mars 2017 sont annulées.
Article 2 : L'État versera la somme de 1 000 euros à l'avocat de M. C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à la société Enveloffset et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2021.
La rapporteure,
G. B...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIERLe greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02551