Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société GEMCO a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie à titre principal, d'une part, de prononcer la réception sans réserve des travaux résultant du marché de dragage de la rivière Kouaoua conclu avec la Province Nord le 6 novembre 2013, d'autre part, de fixer le décompte général et définitif de ce marché à la somme de 163 101 400 F CFP HT, majorée des intérêts moratoires à compter du 6 juillet 2014, date de l'achèvement du chantier, enfin, de condamner la Province Nord à lui verser une somme de 50 000 000 F CFP en réparation de l'atteinte qui a été portée à sa réputation et du ralentissement de ses autres activités, avec capitalisation des intérêts et sous astreinte.
Par un jugement n° 1800217 du 16 mai 2019, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a prononcé la réception définitive des travaux de dragage de la rivière Kouaoua fixée à la date du 5 juin 2015 et a condamné la Province Nord à verser une somme de 63 780 000 F CFP HT à la société GEMCO en règlement du solde du marché, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015.
Procédure devant la Cour
I. Par une requête enregistrée sous le n° 19PA02362 le 19 juillet 2019 et des mémoires enregistrés le 29 juillet 2020 et le 16 décembre 2020, la société GEMCO, représentée par Me Dal Farra, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 mai 2019 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses demandes ;
2°) de fixer le décompte général et définitif du marché n° 2013-227 conclu avec la Province Nord à la somme de 163 101 400 F CFP HT, soit 171 256 470 F CFP TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015 et capitalisés à compter du 30 octobre 2016 ;
3°) de condamner la Province Nord à lui verser une somme de 50 000 000 F CFP en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 mars 2018 et capitalisés à compter du 30 mars 2019, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 000 F CFP par jour de retard ;
4°) de condamner la Province Nord à lui verser une somme de 1 000 000 F CFP au titre de frais exposés en première instance et une somme de 2 000 000 F CFP au titre de frais exposés en appel, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux dépens comprenant les frais et honoraires de d'expertise judiciaire.
Elle soutient que :
- la Province Nord a commis plusieurs fautes de nature à engager sa responsabilité ; elle a insuffisamment défini ses besoins ; elle a déterminé le site d'installation de la base technique en zone inondable et alors qu'existait un conflit avec un propriétaire terrien pour l'accès à ce site ; elle a sous-estimé le volume total de matériaux à extraire ainsi que leur nature ;
- c'est à tort que le tribunal a opéré une réfaction de 30% du montant forfaitaire du marché en raison de prétendues malfaçons ; pour estimer que le levé bathymétrique révélait une insuffisance de quantité de matériaux dragués et une extraction réalisée au mauvais endroit, le tribunal s'est appuyé sur une étude du bureau d'études Geomer missionné par la Province Nord qui a utilisé le référentiel NGNC qui est dépourvu de valeur contractuelle ; c'est également à tort que l'expert a retenu que le cahier des clauses techniques paritaires (CCTP) aurait fait référence au référentiel NGNC lequel est incompatible avec le système Lambert et le zéro hydrographique expressément prévu par le marché ; le résultat définitif de l'ouvrage défini à l'article 2.3 de l'annexe 3 du CCTP fait référence à un profil type du chenal reconnu inexploitable par l'expert judiciaire ; aucun contrôle contradictoire n'a été effectué par la Province Nord en méconnaissance de l'article 5.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) ;
- c'est à tort que le tribunal a limité le montant des préjudices de la société GEMCO à la somme de 39 000 F CFP en se fondant sur le montant retenu par l'expert judiciaire ; les fautes de la Province Nord ont imposé à la société GEMCO un déplacement de la base technique, un accès par la mer au chantier, des surcoûts afférents à la mauvaise caractérisation des matériaux à draguer ; c'est à tort que l'expert et son sapiteur ont considéré que les coefficients multiplicateurs retenus par la société GEMCO pour établir sa marge de couverture de ses coûts fixes étaient excessifs en retenant des coefficients en vigueur dans le négoce alimentaire ; c'est à tort que le tribunal a considéré que la société GEMCO aurait elle-même contribué à ses préjudices, en retenant une exonération de responsabilité de la Province Nord de 50 % dès lors qu'elle s'est vu imposer par le CCTP l'installation de sa base technique en zone inondable, qu'elle a été contrainte de " faire coutume " avec le propriétaire du terrain d'accès à ce site responsabilité qui incombait à la province Nord ; elle ne peut se voir reprocher de ne pas avoir deviné que l'original du levé bathymétrique comportait un cartouche manquant, ni d'avoir immobilisé son matériel après l'arrêt des travaux en l'absence de réception de ceux-ci ; le tribunal ne peut lui reprocher d'avoir fait preuve ni d'impréparation ni de manque de vigilance, ni d'imprudence ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que les fautes commises par la Province Nord n'avaient pas entraîné une atteinte à la réputation d'entreprise compétente dans le secteur des travaux de la société GEMCO et un ralentissement de ses autres activités ; les retards du chantier ont été évoqués par la presse locale ; le retard du chantier imputable à ces fautes a entraîné une mobilisation anormale des moyens humains et matériels de l'entreprise qui n'ont pu être déployés sur d'autres chantiers ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu un montant total de pénalités de 1 120 000 F CFP pour 56 jours de retard entre le 20 novembre 2013 et le 14 janvier 2014 dès lors que le retard dans le démarrage des travaux de dragage ne lui est pas imputable puisqu'il est dû à l'organisation d'une réunion de présentation à la mairie de Kouaoua, au déplacement de la base technique située en zone inondable, aux intempéries, à l'impact de la coutume sur les opérations de défrichement et à l'agression dont a été victime le gérant de la société ; c'est également à tort que le tribunal a fixé comme point de départ des pénalités le 20 novembre 2013 alors que les opérations de dragage devaient démarrer contractuellement le 2 décembre 2013 après 10 jours théoriques d'installation de chantier ;
- c'est à tort que le tribunal a fixé un solde du marché hors taxe ; la Cour devra fixer ce montant toutes taxes comprises auquel s'appliqueront les intérêts moratoires à compter du
30 octobre 2015 avec capitalisation desdits intérêts ;
- malgré ses engagements à exécuter le jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, la Province Nord n'a reçu aucun paiement.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 janvier 2020, la Province Nord, représentée par Me Bras, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société GEMCO à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- contrairement à ce que soutient la société GEMCO, la zone d'installation du chantier prévue à l'article 2.1.2 du CCTP ne se situait pas dans le lit de la rivière mais au nord-est du bassin de décantation ; une visite des lieux est intervenue le 10 octobre 2013 préalablement à la conclusion du marché à laquelle était présent le sous-traitant de la société appelante qui a fait le choix, avec l'accord du propriétaire terrien, de s'installer sur la zone litigieuse, qui était parfaitement drainée ; l'accès au chantier ne posait pas de problème d'accessibilité dès lors que la NMC a réalisé 250 mètres de route d'accès au décanteur ;
- si la société GEMCO soutient que la Province Nord aurait fortement sous-estimé le volume total de matériaux à extraire, elle ne produit aucun commencement de preuve démontrant qu'elle aurait attiré l'attention du maître d'ouvrage sur cette question en application de son devoir de conseil ; la Province Nord a réalisé une étude de faisabilité comprenant un relevé bathymétrique et des études granulométriques dont les annexes du CCTP reproduisent les conclusions ; elle a en conséquence parfaitement défini ses besoins dans les pièces du marché et a fourni à l'entrepreneur les documents techniques nécessaires à la réalisation de l'ouvrage ; l'expert judiciaire a indiqué que les dépressions tropicales June et Edna ont impacté la nature des fonds marins et donc les caractéristiques de la zone à draguer ; la Province Nord n'a pas cherché à dissimuler le rapport de Ginger Sopreneur qui a été réalisé le 20 décembre 2013, postérieurement à la conclusion du marché, et dont les constatations sur la toxicité des matériaux ne concluent pas que les opérations de dragage auraient soumis le personnel de la société GEMCO à des risques, ni à la nécessité d'adapter le matériel de cette société ; le rapport établi par le cabinet d'expertise KMC ne saurait être retenu dès lors que les échantillons analysés ont été prélevés par la société GEMCO elle-même ;
- la société GEMCO n'a pas respecté les délais contractuels du marché de l'article 5.1. du CCAP, dès lors qu'après 10 jours d'installation du chantier, les opérations de dragage auraient dû s'achever le 17 janvier 2014, soit le lendemain de la première dépression tropicale ; elle s'était même contractuellement engagée à réaliser les opérations de dragage dans un délai plus court que le délai plafond, soit 7 semaines au lieu de 8 ; elle est donc responsable des préjudices qu'elle allègue ;
- les factures produites par la société GEMCO ne permettent pas de distinguer les équipements acquis pour les besoins du marché et ceux éventuellement engagés pour procéder à l'adaptation prétendue des équipements ;
- si la société GEMCO soutient que le refus de réceptionner les travaux serait fautif, la Province Nord ne pouvait que rejeter sa demande dès lors que les prescriptions techniques n'avaient pas été respectées ;
- contrairement à ce que soutient la société GEMCO, la Province Nord n'a pas manipulé l'expert sur la nature du référentiel retenu pour la réalisation des travaux ; le rapport de calcul de la société GEOMER établit que la société GEMCO n'a pas extrait le volume de matériaux prévu à l'article 2.5 du CCTP ; la question de la référence altimétrique est indifférente dans le calcul des cubatures réalisées sur terre ; c'est donc à bon droit que le tribunal s'est fondé sur le rapport établi par la société GEOMER pour juger que la société GEMCO n'avait pas respecté ses obligations contractuelles et pour opérer une réfaction du prix du marché qui est toutefois insuffisante ;
- le système Lambert est un système planimétrique qui a été retenu pour la zone d'installation et la zone de dragage ; or, la société GEMCO n'a dragué que 30 % de la longueur de l'ouvrage, soit 360 ml sur 1200 ml attendus ; si la société GEMCO n'a pas respecté le plan d'évacuation des matériaux, cette faute ne repose pas sur la détermination du référentiel à prendre en compte mais sur son incapacité à exploiter et respecter les prescriptions techniques du marché ; la société GEMCO n'a pas dragué le chenal en fonction des coordonnées fixées par les pièces du marché mais en dehors du tracé prévu par le référentiel planimétrique, à savoir le système Lambert ; la réfaction de 30% opérée par le tribunal sur le prix du marché est justifiée même si le taux est insuffisant au regard des malfaçons ;
- si le contrôle des volumes tel que prévu à l'article 5.3 du CCAP n'a pu intervenir à raison du non-respect des délais d'exécution et des points granulométriques de contrôle prévus par le marché par la société GEMCO, la Province Nord a procédé à plusieurs contrôles de volumes des matériaux extraits et la société GEMCO n'a pas donné suite aux courriers l'informant des non-conformités constatées ; cette dernière n'a extrait que 3 078 m3 selon le tracé prévu et ne peut donc prétendre qu'à une somme maximale de 6 008 256 F CFP au titre de cette prestation ;
- la société GEMCO ne justifie aucunement qu'elle aurait été contrainte de supporter des surcoûts résultant du déplacement de la base technique du chantier et c'est à bon droit que, tant l'expert que le tribunal, ont rejeté sa demande d'indemnisation à ce titre ;
- le décompte présenté par la société GEMCO fait apparaître que les dépenses présentées comme supplémentaires sont en réalité des dépenses correspondant à l'exécution du chantier au-delà du délai contractuel qui lui est imputable ; l'expert a émis d'importantes réserves sur la sincérité du décompte proposé tant en ce qui concerne les coefficients multiplicateurs que les dépenses versées aux sous-traitants ;
- la société GEMCO a fait preuve d'impréparation du chantier en ce qui concerne l'implantation de sa base, les opérations de défrichage, les démarches auprès des propriétaires terriens, le recrutement de son personnel et la mobilisation de son matériel ; elle ne saurait imputer l'agression de son gérant à la Province Nord ; elle a dû faire appel à des sous-traitants sans l'avoir déclaré au maître d'ouvrage en méconnaissance de l'article 5.4 du CCAP ;
- la société GEMCO a fait preuve d'un manque de vigilance en s'abstenant d'interroger la Province Nord sur les données techniques du marché, en particulier en sollicitant l'original du levé bathymétrique ;
- la société GEMCO a fait preuve d'imprudence en ayant immobilisé son matériel après l'arrêt des travaux en juillet 2014 sans reprendre ceux-ci pour se conformer aux prescriptions du marché ;
- en tenant compte de l'ensemble des fautes de la société GEMCO, la réfaction de 50% de responsabilité opérée par le tribunal est insuffisante ;
- la société GEMCO ne démontre aucune atteinte à sa réputation ni aucun ralentissement de ses activités ;
- en ce qui concerne les pénalités de retard, aucune des difficultés invoquées par la société GEMCO n'est de nature à justifier le retard de plusieurs semaines pour installer le chantier alors que le délai contractuel était de 10 jours ; le délai d'exécution contractuel était de 7 semaines et expirait le 17 janvier 2014, conformément à l'offre de la société GEMCO, le délai de 8 semaines évoqué par le CCAP étant un plafond ; cette dernière est redevable des pénalités de retard pour les délais d'exécution et des pénalités de retard pour les volumes non extraits pour un montant de
63 520 000 F CFP jusqu'au 5 juin 2015, date du prononcé de la réception des travaux par le
tribunal ;
- la demande de la société GEMCO tendant à la condamnation de la Province Nord toutes taxes comprises n'est pas assortie de précisions suffisantes et est nouvelle en appel et, par suite, irrecevable.
II. Par une requête enregistrée sous le n°19PA2373, le 19 juillet 2019 et des mémoires en réplique enregistrés le 6 octobre 2020 et 16 novembre 2020, la Province Nord, représentée par Me Bras, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 16 mai 2019 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de rejeter la demande de la société GEMCO présentée devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et ses conclusions d'appel incident ;
3°) de condamner la société GEMCO à lui verser la somme de 221 240 000 F CFP au titre des pénalités de retard ;
4°) de prononcer la suppression des propos outrageants et diffamatoires contenus dans le mémoire en réplique de première instance de la société GEMCO ;
5°) de mettre à la charge de la société GEMCO la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens incluant les frais d'expertise ;
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le rapporteur public avait exercé les fonctions de médiateur dans le cadre de la même affaire, en méconnaissance du principe d'impartialité garanti par l'article L. 213-2 du code de justice administrative et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; les premiers juges ont statué ultra petita en fixant la date de réception des travaux au 5 juin 2015 alors que la société GEMCO sollicitait une réception à la date du jugement ;
- dès lors que la non-conformité des travaux aux prescriptions du marché a été établie par le bureau d'études Geomer et reconnue par l'expert judiciaire, c'est à bon droit que la Province Nord a refusé de prononcer la réception des travaux ; le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors qu'il a reconnu que c'était à bon droit que la Province Nord avait refusé la réception des travaux en raison de la mauvaise exécution constatée en juillet 2014 et a prononcé la réception des travaux au 5 juin 2015 en condamnant la Province Nord à régler la quasi-totalité du prix du marché ; la réfaction de 30% opérée par le tribunal sur le prix du marché est insuffisante au regard des malfaçons constatées ; la société GEMCO n'a extrait que 3 078 m3 selon le tracé prévu et ne peut donc prétendre qu'à une somme maximale de 6 008 256 F CFP au titre de cette prestation ;
- les fautes attribuées à la Province Nord par le tribunal, relatives à la caractérisation des sols, à la technique de calcul des profondeurs et à l'absence de contrôles contradictoires, ne sont pas établies ; les conditions d'engagement de la responsabilité du maître d'ouvrage ne sont pas réunies ; les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché sont imputables à la société GEMCO ;
- en ce qui concerne la caractérisation des sols, la Province Nord a réalisé une étude de faisabilité en décembre 2013 comprenant un relevé bathymétrique et des études granulométriques dont les annexes du CCTP reproduisent les conclusions et a défini avec précision ses besoins ; elle a organisé une visite des lieux de 10 octobre 2013 préalablement à la signature du marché et a répondu aux questions des entreprises en particulier de la société CAP NORD SARL, sous-traitante de la société GEMCO ; les caractéristiques du milieu ont été modifiées par les dépressions June et Edna en janvier et février 2014, postérieurement à la réalisation de l'étude de faisabilité comme l'a indiqué l'expert judiciaire ; la Province Nord n'a pas entendu dissimuler le rapport de Ginger Sopreneur qui a été réalisé postérieurement à la conclusion du marché et dont les constatations sur la toxicité des matériaux ne concluent pas que les opérations de dragage auraient soumis le personnel de la société GEMCO à des risques, ni à la nécessité d'adapter le matériel de cette société ; le rapport établi par le cabinet d'expertise KMC ne saurait être retenu dès lors que les échantillons analysés ont été prélevés par la société GEMCO elle-même ;
- les difficultés rencontrées par la société GEMCO résultent des problèmes rencontrés pour se servir de sa machine ; la société GEMCO n'a pas respecté les délais contractuels du marché de l'article 5.1. du CCAP, dès lors qu'après 10 jours d'installation du chantier, les opérations de dragage auraient dû s'achever le 17 janvier 2014, soit le lendemain de la première dépression tropicale ; elle ne saurait invoquer ni l'implantation de sa base technique dans le lit de la rivière, ni les deux dépressions météorologiques pour expliquer le retard pris ; elle s'était même contractuellement engagée à réaliser les opérations de dragage dans un délai plus court que le délai plafond, soit 7 semaines au lieu de 8 ; elle est donc responsable des préjudices qu'elle allègue ; les factures produites par la société GEMCO ne permettent pas de distinguer les équipements acquis pour les besoins du marché et ceux éventuellement engagés pour procéder à l'adaptation prétendue des équipements ;
- en ce qui concerne la technique de calcul des profondeurs, contrairement à ce que soutient la société GEMCO, la Province Nord n'a pas manipulé l'expert sur la nature du référentiel retenu pour la réalisation des travaux et ces propos outranciers ne pourront qu'être supprimés ; le procès-verbal d'huissier produit par la société GEMCO n'établit aucune fraude ni manœuvre ; la société GEMCO qui se présente comme spécialisée dans le domaine maritime et dans les opérations de dragage n'a émis aucune réserve quant aux références altimétriques et n'a pas formulé de demande de communication du tableau des coordonnées GPS avant le 11 mars 2014 ; ni l'expert judiciaire, ni la société GEMCO ni le tribunal n'ont établi de lien de cause à effet entre la divergence des niveaux altimétriques et les difficultés rencontrées par la société GEMCO et les malfaçons constatées sur l'ouvrage livré ;
- si le contrôle des volumes tel que prévu à l'article 5.3 du CCAP n'a pu intervenir à raison du non-respect des délais d'exécution et des points granulométriques de contrôle prévus par le marché par la société GEMCO, la Province Nord a procédé à plusieurs contrôles de volumes des matériaux extraits et la société GEMCO n'a pas donné suite aux courriers l'informant des non-conformités constatées ; cette dernière n'a extrait que 3 078 m3 selon le tracé prévu et ne peut donc prétendre qu'à une somme maximale de 6 008 256 F CFP au titre de cette prestation ;
- la société GEMCO a pris prétexte de l'existence d'intempéries pour dissimuler son impréparation et son impossibilité de démarrer les travaux puisqu'elle ne disposait pas du matériel et du personnel nécessaire ; les intempéries invoquées par la société GEMCO sont survenues après la fin du délai contractuel du chantier ; contrairement à ce qu'elle soutient, la période retenue par la Province Nord était la plus propice pour procéder au dragage de la rivière ;
- en ce qui concerne les pénalités de retard, le montant des pénalités dues par la société GEMCO s'élève à la somme de 221 240 000 F CFP en application de l'article 5.3.1.3 du CCAP relatif aux pénalités de retard dans les délais et de retard pour les volumes extraits ; la Province Nord avait expressément informé la société GEMCO qu'elle lui appliquerait des pénalités en raison du retard pris dans l'exécution du marché et n'a donc pas renoncé à l'application de ces pénalités de retard ; contrairement à ce que soutenait la société GEMCO, les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre en application de l'article 20.1 de l'annexe numéro 1 à la délibération numéro 64/CP du 10 mai 1989 portant CCAG applicable aux marchés publics, sans que la collectivité publique soit tenue d'émettre des réserves ; la société GEMCO n'a pas extrait le volume prévu à l'article 2.5 du CCTP à savoir 18 955 m³ ; en outre, les matériaux extraits ne correspondaient pas dans leur intégralité à ceux du chenal définis par les pièces du marché ; l'expert judiciaire a relevé que la société GEMCO n'avait pas procédé au dragage de l'ensemble des points bathymétriques prévus mais n'a dragué que des points 38 à 58 ; il en résulte que c'est à tort que le tribunal administratif a exclu l'application des pénalités de retard réclamée par la Province Nord ; si la société GEMCO soutient que les pénalités de retard ne sauraient être supérieures à la somme de 2 588 000 F CFP correspondant à 147 jours de retard, cette somme est supérieure à celle allouée à ce titre par le tribunal administratif ; c'est à tort que le tribunal n'a retenu que 56 jours de retard au fin d'application des pénalités de retard ; si la société GEMCO a sollicité la modération des pénalités de retard, cette modération n'est admise par la jurisprudence qu'à titre exceptionnel et ne revêt aucun caractère automatique et elle suppose qu'il incombe à la partie qui la sollicite de démontrer le caractère manifestement excessif de ces pénalités, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
- en ce qui concerne l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, le tribunal a incontestablement entaché son jugement d'erreurs de fait et de droit dès lors que la société GEMCO a mis en cause en première instance la probité de la Province Nord en affirmant qu'elle aurait orchestré une supercherie pour tromper l'expert sur la nature du référentiel retenu pour la réalisation des travaux.
Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 13 janvier 2020 et un mémoire récapitulatif enregistré le 23 octobre 2020, la société GEMCO, représentée par Me Dal Farra, conclut au rejet de la requête, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses demandes, à ce que le décompte général et définitif du marché
n° 2013-227 conclu avec la Province Nord soit fixé à la somme de 163 101 400 F CFP HT, soit 171 256 470 F CFP TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015 et capitalisés à compter du 30 octobre 2016, à la condamnation de la Province Nord à lui verser cette dernière somme ainsi qu'une somme de 50 000 000 F CFP en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 mars 2018 et capitalisés à compter du 30 mars 2019, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 000 F CFP par jour de retard, à ce que la Cour prononce la réception judiciaire des travaux fixée au 10 juillet 2014, à la condamnation de la Province Nord à lui verser une somme de 1 000 000 F CFP au titre de frais exposés en première instance et une somme de 2 000 000 F CFP au titre de frais exposés en appel, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux dépens comprenant les frais et honoraires de d'expertise judiciaire.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas irrégulier dès lors que, d'une part, la désignation comme rapporteur public dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu au jugement après avoir été désigné médiateur par le Tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie dans cette même affaire, ne constitue pas une atteinte au principe d'impartialité et que d'autre, part, en prononçant la réception des travaux au 5 juin 2015, le tribunal administratif n'a pas statué ultra petita ;
- s'agissant de la réception des travaux, le tribunal administratif l'a prononcé à bon droit en dépit des non-conformités alléguées par la Province Nord dès lors qu'un géomètre expert a bien attesté l'extraction d'un volume de 19 835 m³ de matériaux par la société GEMCO ; les affirmations de la Province Nord sont infondées mais également inopposables dès lors qu'elle ne s'appuie sur aucun fondement contractuel, que les documents du marché était insuffisamment définis ou comprenaient des incohérences, que la position de l'administration s'appuie sur des contrôles non contradictoires en méconnaissance des obligations du maître d'ouvrage prévues par le CCAP ; en tout état de cause, ces prétendues non-conformités ne faisaient pas juridiquement obstacle au prononcé de la réception, d'autant plus que les travaux réalisés par la société GEMCO ont permis d'atteindre l'objectif du marché tendant à la réalisation d'une brèche et à faire cesser les inondations récurrentes rencontrées par les populations de Kouaoua ;
- s'agissant du prix du marché fixé par le jugement attaqué, la Province Nord ne saurait arguer que la réfaction de prix opérée par le tribunal aurait dû être supérieure en raison de prétendues malfaçons qui ne sont pas établies dès lors qu'elles résultent de constats non contradictoires entre les parties et, par suite, inopposables à la société GEMCO, qu'elles résultent d'un référentiel NGNC non prévu au marché et, subsidiairement, totalement contradictoire avec le zéro hydrographique, et qu'elles constituent le résultat des insuffisances et erreurs des documents de la consultation et des stipulations du marché, exclusivement imputables à la Province Nord ;
- s'agissant de l'engagement de la responsabilité de la Province Nord, le jugement attaqué n'encourt pas de critiques dès lors que la Province Nord a commis des fautes entraînant de nombreux surcoûts pour la société GEMCO tenant à la mauvaise caractérisation des sols ou à l'utilisation d'un référentiel autre que celui stipulé dans les documents contractuels, à l'absence de contrôle contradictoire des quantités extraites et au refus abusif de prononcer la réception des travaux ;
- s'agissant du montant des préjudices retenu par le tribunal, les critiques de la Province Nord à l'égard du jugement attaqué sont inopérants dans la mesure où les reproches qu'elle formule au regard des comptes de la société GEMCO ont été pris en compte à tort par le jugement du tribunal administratif dans le montant des préjudices retenus et, en tout état de cause, sont infondés et contredits par les pièces du dossier ;
- sur la prétendue insuffisance de l'exonération de la responsabilité de la Province Nord, les griefs formulés à l'encontre du jugement attaqué sont également infondés dès lors que les fautes admises par le tribunal administratif à l'encontre de la société GEMCO sont inexistants ou ne lui sont pas opposables ;
- la Province Nord a renoncé à prononcer l'application de pénalités de retard, quand bien même le tribunal n'aurait pas retenu une telle renonciation ; les calculs des pénalités de la Province Nord ne sont pas justifiés dès lors qu'ils ont été établis au regard d'un nombre de jours qui n'est pas explicité par la Province Nord, qui s'appuie sur des constats inopposables et invalidés par les pièces du dossier, qui ne tiennent pas compte de multiples fautes commises par l'administration et qui ont été établis sans tenir compte des événements extérieurs aux parties tels que, notamment, les deux dépressions tropicales, la pluviométrie ou encore l'agression à la hache du gérant de la société GEMCO ; c'est un bon droit que le tribunal a exclu des pénalités de retard pour quantités non extraites dès lors, notamment, que les calculs de volumes extraits sont inopposables et remis en cause par les pièces du dossier ; la période de dragage ne pouvait donner lieu à l'application de pénalités de retard du fait des fautes commises par l'administration et des dépressions tropicales ; le tribunal n'a pas procédé à une modulation des pénalités de retard et, en tout état de cause, à supposer qu'il l'ait fait, c'est à bon droit compte-tenu du caractère manifestement excessif du montant desdites pénalités au regard des caractéristiques particulières du marché litigieux et des pratiques observées pour des marchés comparables ;
- à titre incident, elle sollicite la réformation du jugement attaqué en tant seulement qu'il a jugé qu'une réfaction de 30 % sur le montant forfaitaire dû en application du marché devait être appliquée et qu'en conséquence le montant à verser par la Province Nord devait être limité à
25 900 000 F CFP hors-taxes, qu'il a réduit l'indemnisation des préjudices de la société GEMCO nés des surcoûts supportés à 39 000 000 F CFP HT, a jugé qu'un montant de 1 120 000 F CFP devait être déduit des sommes dues à la société GEMCO par la Province Nord au titre des pénalités, en conséquence a réduit de 99 321 400 F CFP hors-taxes le montant de la condamnation de la Province Nord demandé par la société GEMCO et, ce faisant, a limité cette condamnation à la somme de 63 780 000 F CFP HT en règlement du solde du marché, a jugé que la condamnation de la Province Nord en règlement du solde du marché ne porterait que sur le montant hors-taxes de ce solde, a jugé que les intérêts moratoires porteraient sur le montant hors-taxes du solde du marché, a refusé de condamner la Province Nord à payer la somme de 50 000 000 F CFP de dommages et intérêts à la société GEMCO au titre de l'atteinte à sa réputation et au ralentissement de ses autres activités et a limité à 250 000 F CFP le montant de l'indemnisation au titre des frais irrépétibles de première instance.
III. Par une requête enregistrée le 2 septembre 2019 sous le n°19PA2866 et un mémoire en réplique enregistré le 6 novembre 2019, la Province Nord représentée par Me Bras, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement n°1800217 du 16 mai 2019 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de demander à la SARL GEMCO de produire ses comptes et bilans au titre des années 2016, 2017 et 2018 ;
3°) de condamner la société GEMCO à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque de l'exposer à la perte définitive de la somme de 63 780 000 FCFP à laquelle elle a été condamnée dès lors que la situation financière précaire de la société GEMCO, qui ne dispose que d'un capital social de 1 000 000 F CFP et d'un faible chiffre d'affaires, ne garantit aucunement qu'elle puisse rembourser cette somme en cas d'annulation du jugement par la Cour ; ce risque correspond à celui visé aux dispositions de l'article R. 811-16 du code de justice administrative ;
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner pour la Province Nord des conséquences difficilement réparables dès lors qu'en raison de sa situation financière précaire, la société GEMCO risque de ne pas pouvoir restituer, en cas d'annulation du jugement attaqué, la somme de 63 780 000 F CFP qui correspond au double du montant initial du marché et à une condamnation très lourde pour la collectivité ; ce risque correspond à celui visé aux dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;
- les moyens de sa requête sont sérieux ; le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le rapporteur public avait exercé les fonctions de médiateur dans le cadre de la même affaire, en méconnaissance du principe d'impartialité garanti par l'article L. 213-2 du code de justice administrative et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; les premiers juges ont statué ultra petita en fixant la date de réception des travaux au 5 juin 2015 alors que la société GEMCO sollicitait une réception à la date du jugement ; le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors qu'il a reconnu que c'était à bon droit que la Province Nord avait refusé la réception des travaux en raison de la mauvaise exécution constatée en juillet 2014 et a prononcé la réception des travaux au 5 juin 2015 en condamnant la Province Nord à régler la quasi-totalité du prix du marché ; la réfaction de 30% opérée par le tribunal sur le prix du marché est insuffisante au regard des malfaçons ; les fautes attribuées à la Province Nord par le tribunal, relatives à la caractérisation des sols, à la technique de calcul des profondeurs et à l'absence de contrôles contradictoires, ne sont pas établies ; les conditions d'engagement de la responsabilité du maître d'ouvrage ne sont pas réunies ; les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché sont imputables à la société GEMCO ; les préjudices invoqués par la société GEMCO ne sont pas établis ni justifiés ; l'exonération de 50% de la responsabilité de la Province Nord du fait de la faute de la victime n'est pas suffisant en l'absence de faute du maître d'ouvrage ; le lien de causalité entre les préjudices invoqués et les prétendues fautes de la Province Nord n'est pas démontré ; la totalité des pénalités de retard réclamées par la Province Nord sont dues du fait du retard dans les volumes non extraits ; c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande de suppressions des passages injurieux des écritures de la société GEMCO.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 septembre 2019 la société GEMCO, représentée par Me Dal Farra, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la Province Nord de lui payer les sommes mises à sa charge par le jugement du 16 mai 2019 dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir et à la mise à la charge de la Province Nord de la somme de
850 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la Province Nord ne démontre pas l'existence d'un risque actuel d'insolvabilité de la société GEMCO dont la situation financière est pérenne ;
- la Province Nord ne fait état d'aucune conséquence difficilement réparable ;
- aucun des moyens soulevés par la Province Nord n'est sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi organique n° 99-209 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 ;
- la délibération n° 64/CP du 10 mai 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- les observations de Me Blanchard, représentant la société GEMCO,
- et les observations de Me Benkrid, représentant la Province Nord.
Considérant ce qui suit :
1. La Province Nord de Nouvelle-Calédonie a conclu le 6 novembre 2013 avec la société GEMCO un marché de gré à gré consistant en des travaux de dragage et d'évacuation de la rivière Kouaoua et de création d'un chenal pour un prix forfaitaire de 37 000 000 F CFP HT, soit 38 850 000 F CFP TTC. Les travaux, qui devaient débuter le 20 novembre 2013 et s'achever le 18 janvier 2014, ont connu un important retard et se sont arrêtés le 6 juillet 2014. La société GEMCO a demandé à la Province Nord de les réceptionner, ce qu'elle a refusé de faire. Elle a sollicité du juge des référés du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie la désignation d'un expert qui a rendu son rapport du 12 décembre 2016. Par une requête enregistrée le 27 juillet 2018, elle a demandé au tribunal administratif qu'il soit procédé à la réception judiciaire des travaux, au paiement du solde du marché et à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subi dans l'exécution du marché. Par un jugement du 16 mai 2019 dont la société GEMCO et la Province Nord relèvent toutes deux appel, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a prononcé la réception définitive des travaux à la date du 5 juin 2015, a condamné la Province Nord à verser à la société GEMCO une somme de 63 780 000 F CFP HT en règlement du solde du marché, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015 et a rejeté le surplus des conclusions de cette dernière, ainsi que les conclusions reconventionnelles de la Province Nord.
2. Les trois requêtes susvisées sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur les requêtes n° 19PA02362 et n°19PA02373 :
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 213-2 du code de justice administrative : " Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d'une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l'accord des parties. (...) ".
4. La Province Nord soutient que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le rapporteur public auprès de la formation de jugement avait exercé les fonctions de médiateur dans le cadre de la même affaire, en méconnaissance du principe d'impartialité garanti par l'article
L. 213-2 du code de justice administrative et par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ressort, en effet, des pièces du dossier que le magistrat du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, désigné par ordonnance du 22 novembre 2018 comme médiateur dans le litige opposant la société GEMCO à la Province Nord, a exercé par la suite les fonctions de rapporteur public auprès de la formation qui a rendu le jugement attaqué. Or, le rapporteur public, qui a pour mission d'exposer les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, participe à la fonction de juger dévolue à la juridiction dont il est membre. Par suite, la circonstance que le rapporteur public du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ait participé à la médiation organisée préalablement au jugement de l'affaire, et nonobstant son absence de participation au délibéré qui a suivi l'audience, suffit à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité de la formation de jugement et à faire obstacle à ce qu'elle soit regardée comme " un tribunal indépendant et impartial " au sens de l'article 6. 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, il y a lieu d'annuler celui-ci et de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation sur la demande présentée par la société GEMCO.
Sur la responsabilité de la Province Nord :
6. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'exécution du marché de dragage de la rivière Kouaoua prévue pour durer 7 semaines, après 10 jours d'installation du chantier et s'achever le 17 janvier 2014, a connu un retard de près de 6 mois, et qu'à l'issue des travaux, le 6 juillet 2014, la Province Nord a refusé d'en prononcer la réception. La société GEMCO soutient qu'elle a été confrontée à d'importantes difficultés dans l'exécution de ses prestations liées à différentes erreurs commises par la Province Nord, qui a fixé le site d'installation de la base technique en zone inondable et lui a dissimulé un conflit avec un propriétaire terrien pour l'accès au site, et qui a insuffisamment défini ses besoins tant dans l'estimation du volume total de matériaux à extraire que dans la caractérisation de ces matériaux. Elle sollicite au titre de ces difficultés une somme forfaitaire de 82 000 000 F CFP.
8. Toutefois, la société GEMCO n'établit pas que les problèmes liés à l'implantation de sa base technique et au défrichage de la zone, à la nécessité d'organiser une réunion d'information à destination de la population locale et de régler un différend avec un propriétaire terrien, n'auraient pu être anticipés avant le début du chantier, dès lors que la Province Nord avait organisé le
10 octobre 2013 une visite des lieux à destination des candidats à l'attribution du marché et que, conformément au règlement de la consultation, elle disposait de la possibilité de poser toute question au responsable du marché sur les éventuelles imprécisions ou incohérences des prescriptions techniques contenues dans le dossier de consultation. Par suite, les difficultés qu'elle invoque, si elles ont pu avoir une incidence sur la phase de préparation du chantier et, par suite, sur le délai d'exécution global du marché, ne trouvent pas leur source dans une faute de la Province Nord.
9. Il résulte en revanche de l'instruction que l'article 2.1.1 du CCTP du marché se borne à indiquer que l'opération de dragage de la rivière Kouaoua consiste à extraire " un mélange d'eau et de matériaux " et à fournir une granulométrie qualifiée par l'expert de " peu représentative de la nature des sédiments à extraire ", et que si la Province Nord a confié à la société GINGER SOPROMA la mission de rédiger un rapport sur la qualité physico-chimique et la toxicité potentielle des sédiments de l'estuaire, cette étude qui met en évidence une forte concentration en chrome et en nickel des sédiments, n'a été finalisée que le 26 décembre 2013, postérieurement à la signature du marché et n'a pas été portée à la connaissance de la société GEMCO alors que la composition des sédiments a été à l'origine d'obstruction du matériel d'extraction et a conduit l'entreprise à adapter ses moyens matériels et humains afin de poursuivre l'exécution du chantier, ainsi qu'il résulte notamment du document intitulé " état d'avancement du chantier " du 9 juin 2014 établi par la société GEMCO. Il résulte également de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, qu'en ce qui concerne le profil du chenal à réaliser, les pièces du marché sont également entachées d'imprécision dès lors que l'article 2.3 du CCTP se borne à se référer pour le calcul des profondeurs à suivre à " la marée basse ", sans préciser si le niveau de cette marée, par essence fluctuant, devait être déterminé par rapport au niveau des plus basses mers astronomiques ou par rapport au nivellement général de la Nouvelle-Calédonie (NGNC), entraînant des différences de l'ordre de 0,80 à 1 mètre et générant une incertitude pour le titulaire du marché. Toutefois, si cette autre imprécision dans la définition de ses besoins par la Province Nord a pu affecter la conformité de l'ouvrage aux prescriptions techniques du marché, il ne résulte pas de l'instruction, en particulier des procès-verbaux de chantier, qu'elle aurait eu des répercussions sur les délais ou les modalités d'exécution de ces travaux. Si la société GEMCO met également en cause le choix de la période des travaux retenue par le maître d'ouvrage en faisant valoir que le chantier a été affecté par les cyclones June et Edna en janvier et février 2014 dont il est constant que le passage a modifié le lit de la rivière et la nature des fonds de la zone de dragage, d'une part, le marché a été passé selon la procédure d'urgence en raison des risques d'inondations que la société GEMCO ne pouvait ignorer, d'autre part, l'expert judiciaire ne relève aucune annotation relative aux phénomènes climatiques naturels, en particulier pluviométriques, sur les procès-verbaux du chantier mais souligne qu'à la date de la première dépression tropicale, le 16 janvier 2014, les opérations de dragage auraient dû être en phase d'achèvement.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société GEMCO est seulement fondée à demander l'indemnisation des surcoûts d'adaptation des équipements de dragage aux particularités des sédiments à extraire, supportés à raison de la faute de la Province Nord dans l'estimation de ses besoins. Toutefois, comme le fait valoir cette dernière, les factures produites par la société GEMCO à l'appui de sa demande ne permettent pas de distinguer les équipements acquis pour les besoins du marché et ceux engagés pour procéder à l'adaptation desdits équipements à la nature réelle des sédiments ni même de s'assurer qu'elles ne correspondent pas à des frais consécutifs aux deux dépressions tropicales et elle ne fournit aucun détail sur les effectifs supplémentaires qu'elle aurait été contrainte d'engager. En outre, l'estimation de l'expert sur le montant du décompte final " entre 110 et 115 MF ", qui inclut le montant forfaitaire du marché, ne repose sur aucun calcul détaillé des surcoûts réels exposés par la société GEMCO. Par suite, il y a lieu sur la base des factures de matériels produites par la société GEMCO comprenant la mention d'un paiement de sa part, de lui allouer à ce titre la somme globale de 4 000 000 F CFP.
11. En deuxième lieu, si la société GEMCO soutient que la Province Nord a manqué à ses obligations dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché dès lors que les procès-verbaux de contrôle des volumes extraits ne revêtent pas le caractère contradictoire prévu par l'article 5.3 CCAP, cette faute n'est, en tout état de cause, pas en elle-même à l'origine des surcoûts dont elle demande le remboursement.
12. En troisième lieu, la société GEMCO soutient que la Province Nord a également commis une faute en refusant de prononcer la réception des travaux qui est la cause d'une immobilisation de son matériel et de frais inhérents à la garde du chantier entre les mois d'août 2014 et mars 2015, pour un montant total de 44 101 400 F CFP HT. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction qu'à la date à laquelle s'est achevé le chantier, le 6 juillet 2014, la société GEMCO aurait effectivement extrait le volume de 18 955 m3 de matériaux prévus à l'article 1er du CCTP du marché, ni réalisé les 1 200 mètres de chenal conformément à l'article 2-3 du CCTP alors que le levé bathymétrique et le calcul des cubatures sur décanteur établis le 28 juillet 2014 par la société GEOMER à la demande de la Province Nord faisaient état d'un volume total de matériaux extraits de 13 299 m3 dont 10 515 m3 ne provenant pas de la zone à draguer et nonobstant la circonstance alléguée par la société GEMCO qu'un calcul réalisé à sa demande par la société NC3D le 13 mars 2015 estimait à 19 835 m3 le volume des matériaux extraits dès lors que cette évaluation n'est nullement confirmée par les travaux de l'expert judiciaire. Par suite, la société GEMCO doit être regardée comme n'ayant pas achevé les travaux auxquels elle s'était contractuellement engagée et c'est à bon droit que la Province Nord a refusé d'en prononcer la réception et d'établir le décompte général et définitif du marché. En tout état de cause, elle a fait montre d'imprudence en décidant l'immobilisation de son matériel sur le chantier pendant 7 mois après l'arrêt des travaux, alors qu'aucune consigne expresse ne lui avait été donnée en ce sens par le maître de l'ouvrage. En l'absence de faute du maître d'ouvrage, sa demande d'indemnisation à ce titre ne peut qu'être rejetée.
13. Enfin, la société GEMCO soutient que les difficultés qu'elle a rencontrées dans l'exécution du marché ont porté atteinte à la réputation de l'entreprise et causé un ralentissement de ses autres activités et demande, en réparation de ces préjudices, une somme totale de 50 000 000 F CFP. Toutefois, d'une part, les extraits d'articles publiés dans la presse locale qu'elle produit et qui évoquent le retard pris par le chantier de dragage de la rivière Kouaoua, ne citent pas le nom de la société. D'autre part, elle n'établit ni le ralentissement allégué de ses autres activités, ni l'existence d'un préjudice relatif à une mobilisation supplémentaire de moyens humains et matériels de l'entreprise en lien avec une faute contractuelle de la Province Nord, distinct de celui qui est indemnisé au point 10 du présent arrêt. Cette demande ne peut qu'être également rejetée.
Sur l'application et le montant des pénalités de retard :
14. L'article 5.3 du CCAP du marché prévoit d'une part des " pénalités de retard dans le délai " et d'autre part des " pénalités de retard pour les volumes non extraits " fixées toutes deux à 20 000 F CFP par jour de retard.
15. La Province Nord soutient qu'aucune des difficultés invoquées par la société GEMCO n'est de nature à justifier le retard de plusieurs semaines pour installer le chantier, alors que le délai contractuel était de 10 jours, ni le retard de plusieurs mois d'exécution des travaux alors que le délai d'exécution contractuel était de 7 semaines et expirait le 17 janvier 2014, conformément à l'offre de la société GEMCO qui a été choisie en raison de cet engagement, le délai d'exécution étant le critère prépondérant pour l'obtention du marché. Elle fait valoir que cette dernière est redevable des pénalités de retard pour les délais d'exécution et des pénalités de retard pour les volumes non extraits pour un montant total de 221 240 000 F CFP jusqu'au 5 juin 2015.
16. Il résulte de l'instruction que le chantier n'a commencé que le 10 décembre 2013 et ne s'est achevé que le 6 juillet 2014 et que l'expert souligne que durant cette période " aucun jour d'intempérie n'a été notifié " par l'entreprise au maître d'ouvrage. La société GEMCO soutient qu'en lui accordant des reports successifs de délai, la Province Nord doit être regardée comme ayant renoncé à l'application des pénalités de retard. Il résulte toutefois également de l'instruction, en particulier des procès-verbaux du 27 décembre 2013 et du 8 janvier 2014, ainsi que du courrier du 15 mai 2014 du président de l'Assemblée adressé au gérant de la société GEMCO, que la Province Nord a informé à plusieurs reprises le titulaire du marché de son intention de faire application des dispositions de l'article 5.3 du CCAP du marché. Il résulte également de ce qui a été dit au point 11 du présent arrêt, que l'absence de caractère contradictoire des contrôles des volumes extraits, en méconnaissance des dispositions de l'article 5.3 CCAP, s'oppose à l'application des " pénalités de retard pour les volumes non extraits ". Il y a lieu, en revanche, de retenir au titre des " pénalités de retard dans le délai " 55 jours de retard pour la période de préparation du chantier pour la période de préparation du chantier, du 20 novembre 2013, date théorique de début des travaux, au 14 janvier 2014, date à laquelle les premiers tests du matériel de dragage ont été opérés, et 170 jours de retard pour la période d'exécution des travaux qui devaient s'achever le 17 janvier 2014 mais n'ont pris fin que le 6 juillet 2014. Il en résulte que les 225 jours de retard devront donner lieu à l'application d'une pénalité de 4 500 000 F CFP.
17. Si la société GEMCO soutient que les pénalités de retard ne sauraient être supérieures à la somme 2 588 000 F CFP et sollicite leur modulation, elle n'établit pas, notamment par la production d'éléments relatifs aux pratiques observées pour des marchés comparables, que des pénalités d'un montant supérieur à cette somme présenteraient un caractère manifestement excessif.
Sur le solde du marché :
18. Compte-tenu de ce qui précède, doivent être inscrit au crédit de la société GEMCO la somme de 37 000 000 F CFP HT, soit 38 850 000 F CFP TTC correspondant au montant forfaitaire du marché, auquel devra s'appliquer une réfaction de 30% correspondant à une part des prestations contractuelles non réalisées tant en termes de volumes de matériaux non extraits que de respect du profil de l'ouvrage à réaliser, soit 27 195 000 F CFP TTC, ainsi que la somme de 4 000 000 F CFP correspondant à l'indemnisation des surcoûts exposés par la société GEMCO et retenus au point 10 du présent arrêt, soit la somme totale de 31 195 000 F CFP TTC. Au débit de la société GEMCO doit être inscrite la somme de 4 500 000 F CFP TTC au titre des pénalités de retard. La Province Nord sera par conséquent condamnée à verser la somme de 26 695 000 F CFP TTC à la société GEMCO, sans que la Province Nord puisse utilement soutenir que la demande de la société GEMCO tendant à sa condamnation toutes taxes comprises serait nouvelle en appel et par suite irrecevable, dès lors que le montant des taxes réclamé ne constitue pas une demande distincte de celle auxquelles ces taxes s'appliquent et que le montant toutes taxes comprises n'excède pas le quantum de la demande initiale.
Sur les intérêts et sur la capitalisation des intérêts :
19. Aux termes d'une part de l'article 71 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 portant réglementation des marchés publics, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " L'administration contractante est tenue de procéder au mandatement des acomptes et du solde dans un délai qui ne peut dépasser 45 jours. / Le délai de mandatement court à partir des termes périodiques ou du terme final fixés par le marché ou lorsque le marché n'a pas fixé de tels termes à partir de la réception de la demande du titulaire ou de la transmission par celui-ci de la demande de son sous-traitant. Cette demande doit être adressée à la personne responsable du marché ou à toute personne désignée par le marché par lettre recommandée avec avis de réception postal ou lui être remise contre récépissé dûment daté et inscrit sur un registre tenu à cet effet. / (...) / Le défaut de mandatement dans le délai prévu à l'alinéa premier ci-dessus fait courir de plein droit, sans formalité, de manière automatique, au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant, des intérêts moratoires. Le bénéficiaire ne peut renoncer à ce droit. Toute clause contraire dans un marché public est réputée non-écrite. ". Aux termes d'autre part de l'article 72 de cette même délibération : " I - Les intérêts moratoires sont calculés sur le montant des droits a` acomptes, ou a` paiement par solde a` un taux égal au taux de l'intérêt légal en matière commerciale en vigueur sur le territoire majore´ de deux points. / (...) ".
20. Il résulte de l'instruction que la société GEMCO a transmis à la Province Nord un projet de décompte final qui a été reçu le 30 septembre 2015. Le point de départ des intérêts moratoires, calculés conformément aux dispositions précitées de l'article 72 de la délibération susmentionnée, doit ici être fixé au 30 octobre 2015, date limite impartie à la Province Nord pour procéder à la notification à la société GEMCO du décompte général, en application des articles 13.42 à 13.44 du CCAG applicables aux marchés publics de travaux susvisé, auquel renvoie l'article 9 du CCAP du marché relatif aux intérêts moratoires. Ces intérêts seront capitalisés à compter du
19 juillet 2019, date de sa première demande de capitalisation.
Sur la réception judiciaire des travaux :
21. Aux termes de l'article 1792-6 du code civil : " La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. (...) ".
22. Ainsi qu'il a été dit au point 12 du présent arrêt, c'est à bon droit que la Province Nord a refusé de prononcer la réception des travaux qui ne pouvaient être regardés comme achevés conformément aux prescriptions du marché, nonobstant la circonstance alléguée par la société GEMCO que les travaux qu'elle a réalisés auraient permis d'atteindre l'objectif du marché tendant à la réalisation d'une brèche et auraient fait la preuve de leur efficacité pour faire cesser les inondations récurrentes rencontrées par les populations de Kouaoua. Les conclusions la société GEMCO tendant à la réception judiciaire doivent en conséquence être rejetées.
Sur les conclusions tendant à la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
23. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs peuvent, dans les causes dont ils sont saisis, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.
24. La Province Nord sollicite la suppression du passage commençant par " Malheureusement, après deux réunions " et se terminant par " poursuite contentieuse de cette affaire " à la page 8 du mémoire déposé par la société GEMCO devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie le 20 mars 2019 et le passage commençant par " le constat est édifiant " et se terminant par " escroquerie au jugement " à la page 14 du même mémoire. Toutefois, ces propos n'excèdent les limites de la controverse qui peut être admise de la part des parties dans le cadre d'une procédure contentieuse, et ne présentent de caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire. Les conclusions tendant à leur suppression doivent en conséquence être rejetées.
Sur les frais de l'expertise :
25. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. ".
26. Il y a lieu de mettre les frais et honoraires de l'expertise taxés et liquidés par ordonnance du 14 décembre 2016 à la somme de 1 111 912 F CFP et mis à la charge provisoire de la société GEMCO, pour moitié à la charge définitive de cette dernière et pour l'autre moitié à la charge de la Province Nord.
Sur les conclusions à fin de sursis de la requête n°19PA02866 :
27. Le présent arrêt statuant sur le fond de l'affaire, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les trois instances :
28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société GEMCO, qui n'est pas la partie perdante, la somme que la Province Nord demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière la somme que demande la société GEMCO au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à statuer de la requête n°19PA02866 de la Province Nord.
Article 2 : Le jugement n°1800217 du 16 mai 2019 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.
Article 3 : La Province Nord versera à la société GEMCO la somme de 26 695 000 F CFP TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2015 capitalisés à compter du 19 juillet 2019, en règlement du marché de dragage et d'évacuation de la rivière Kouaoua.
Article 4 : Les frais d'expertise sont mis pour moitié à la charge de la société GEMCO et pour l'autre moitié à la charge de la Province Nord.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société GEMCO et à la Province Nord.
Délibéré après l'audience publique du 28 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2021.
La rapporteure,
M. A...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02362, 19PA02373, 19PA02866