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07/10/2021 | FRANCE | N°21PA00154

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 07 octobre 2021, 21PA00154


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités bulgares responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2011699 du 23 décembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile en procédu

re normale dans un délai de quinze jours et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 00...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités bulgares responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2011699 du 23 décembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de quinze jours et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête n° 21PA00154 enregistrée le 11 janvier 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2011699 du 23 décembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2021, M. A..., représenté par Me Sangue, demande à la Cour de rejeter la requête d'appel du préfet de la Seine-Saint-Denis, d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale dans les plus brefs délais et de réexaminer sa situation administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de lui accorder l'aide juridictionnelle provisoire.

Il soutient que le moyen de la requête n'est pas fondé.

II - Par une requête n° 21PA00155, enregistrée le 11 janvier 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil n° 2011699 du 23 décembre 2020.

Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies.

La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Doré,

- les observations de Me Sangue, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan né le 5 mars 1995, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac ayant permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités bulgares et celles-ci ayant fait connaître leur accord, le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé, par un arrêté du 28 octobre 2020, de remettre M. A... aux autorités bulgares responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel du jugement n° 2011699 du 23 décembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par le préfet de la Seine-Saint-Denis étant formés contre un même jugement, présentant à juger des mêmes questions et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

3. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président. (...) ".

4. M. A..., déjà représenté par un avocat, ne justifie pas du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris et n'a pas joint à son appel une telle demande. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :

5. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ". Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017,

affaire n° C-578/16 PPU : " L'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que : même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article ".

6. M. A... fait valoir qu'il a subi diverses violences policières lorsqu'il était en Bulgarie, qu'il y a été retenu dans des conditions inhumaines et qu'il en a été profondément marqué. Toutefois, la production de certificats médicaux des 23 novembre 2020 et 14 décembre 2020, constatant d'une part des cicatrices cohérentes avec les coups qu'il prétend avoir reçus et des symptômes évocateurs d'un " probable stress post-traumatique depuis des violences policières en Bulgarie " ne suffit pas, dans les circonstances de l'espèce, à établir ni même à faire sérieusement présumer que M. A... a subi les violences alléguées. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existait à la date de l'arrêté contesté des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise effective aux autorités bulgares, M. A... risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ne pouvait, dès lors, annuler pour ce motif la décision de transfert de M. B... aux autorités bulgares.

7. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur les autres moyens invoqués à l'encontre de la décision attaquée :

8. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

9. Il ressort des pièces du dossier, notamment du résumé de l'entretien individuel dont il a bénéficié le 14 septembre 2020, que M. A... s'est vu remettre, à cette occasion, les informations relatives aux règlements communautaires, en langue pachtou, qu'il a déclaré comprendre. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 doit être écarté.

10. En second lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

11. Il ressort du compte rendu de l'entretien individuel du 14 septembre 2020 que M. A... a été, avec l'assistance d'un interprète en langue pachtou, personnellement reçu par un agent du

12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 28 octobre 2020. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil. Par voie de conséquence, les conclusions de M. A... à fin d'injonction doivent être rejetées, de même que celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la demande de sursis à exécution :

13. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2011699 du tribunal administratif de Montreuil, les conclusions de la requête n° 21PA00155 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2011699 du 23 décembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21PA00155 du préfet de la Seine-Saint-Denis.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A....

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

- M. E..., premier vice-président,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Doré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 octobre 2021.

Le rapporteur,

F. DORÉ

Le président,

J. E... La greffière,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

Nos 21PA00154, 21PA00155


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00154
Date de la décision : 07/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : SANGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-10-07;21pa00154 ?
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