Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 22 février 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 2 juin 2021, l'association Mouvement national de lutte pour l'environnement-93 et Nord Est parisien, l'association Collectif pour le Triangle de Gonesse, Mme V... BH..., Mme S... BL..., Mme Q... L..., M. K... R..., Mme AU... H..., Mme BG... AC..., Mme BO..., Mme AN... AW..., M. AY... AW..., Mme AN... BK..., M. Z... P..., Mme AB... BD..., Mme AZ... AE..., Mme AH... BJ..., M. V... AF..., M. AD... AX..., M. AA... AS..., Mme N... G..., Mme Martine AM..., Mme BN..., M. C... BD..., M. F... BE..., Mme V... X..., M. D... B..., Mme AR... O..., Mme BI... AK..., M. J... AT..., M. AP... AV..., M. T... AF..., Mme AJ... AI..., M. C...-E... AI..., M. E... AQ..., Mme Marie BP...-BB..., M. W... BB..., Mme BA... BF..., M. AA... AO... et M. AL... U..., représentés par Me I..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler l'arrêté n° 2020-2637 du 12 novembre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a autorisé l'aménagement de la zone d'aménagement concerté " Cluster des médias " par l'établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) sur les communes du Bourget, de Dugny et de La Courneuve dans le département de la Seine-Saint-Denis ;
2°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
S'agissant de la recevabilité de leur demande :
- ils ont intérêt à agir contre l'arrêté contesté, pour les deux associations à raison de leur objet statutaire voué à la protection de l'environnement et, pour les trente-six personnes physiques, comme riverains ou usagers réguliers de l'aire des Vents, dépendance du domaine public départemental, en particulier à des fins de promenades, de loisirs et de pratiques sportives ;
- la modification des statuts de l'une des associations requérantes, relative à son objet social, intervenue postérieurement à l'édiction de l'arrêté attaqué mais antérieurement à l'introduction de l'instance, est sans influence sur la recevabilité de la requête, l'intérêt à agir s'appréciant à la date d'introduction de la requête ;
- la requête n'est pas tardive ;
S'agissant de la légalité externe :
- la procédure de participation du public par voie électronique a été irrégulière dès lors qu'en méconnaissance des articles L. 123-19 et R. 123-46-1 du code de l'environnement, l'avis n'a été diffusé que dans un seul journal local, et non dans deux journaux locaux ; or, compte tenu de la faible efficacité des mesures de publicité, l'omission de l'une d'entre elles ne peut qu'entraîner un déficit d'information du public, comme le démontre la très faible participation de la population à la procédure au regard de l'ampleur de la population concernée ;
- l'étude d'impact est insuffisante concernant la description des impacts du projet sur les émissions de gaz à effet de serre, l'approvisionnement en énergie et les îlots de chaleur ;
- elle ne comporte pas de mesures suffisantes pour éviter, réduire ou compenses ces impacts ;
- l'évaluation des incidences Natura 2000 prévue par l'article L. 414-4 du code de l'environnement est insuffisante ; elle se limite au parc Georges Valbon, sans tenir compte des incidences du projet sur les liaisons écologiques avec les autres entités du site Natura 2000 des " sites de Seine-Saint-Denis " ; la protection de ces liaisons est nécessaire pour assurer le déplacement et donc la conservation des espèces protégées ; cette lacune a nui à la complète information du public et a exercé une influence sur la décision attaquée ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation, dès lors qu'en application des articles L. 211-3 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, la motivation d'une dérogation " espèces protégées " doit être suffisamment explicite pour permettre de saisir, à la seule lecture de la décision, les éléments permettant de justifier la dérogation, laquelle doit faire l'objet d'une motivation précise et adéquate ; l'objectif auquel répond la dérogation accordée n'est pas exposé précisément ; le programme immobilier du projet ne fait l'objet d'aucune motivation ; l'arrêté ne justifie pas l'absence de solution alternative satisfaisante ;
S'agissant de la légalité interne :
- l'arrêté attaqué méconnait l'article L. 371-2 du code de l'environnement ; les projets relevant du niveau national sont soumis à l'obligation de compatibilité avec les orientations nationales de la trame verte bleue et doivent faire l'objet de mesures d'évitement, de réduction et de compensation pour leurs atteintes aux continuités écologiques identifiées par les orientations nationales ; le décret du 30 mars 2018 ayant inscrit le projet litigieux sur la liste des opérations d'intérêt national au sens du code de l'urbanisme, il constitue un projet relevant du niveau national ; il est incompatible avec les orientations nationales de la trame verte et bleue puisqu'il va à l'encontre du premier objectif de ces orientations qui est de conserver et d'améliorer la qualité écologique des milieux ; il est en outre en contradiction flagrante avec les moyens définis par les orientations nationales pour atteindre cet objectif en Île-de-France, qui consistent à améliorer et renforcer en priorité la population des espèces dont la conservation constitue un enjeu national ;
- l'arrêté attaqué méconnait également l'article L. 371-3 du code de l'environnement, en ce qu'il ne prend pas en compte le schéma régional de cohérence écologique, approuvé le 21 octobre 2013, aucune décision administrative adoptée en matière environnementale ne devant s'écarter des orientations fondamentales qu'il définit, sauf si un motif tiré de l'intérêt de l'opération envisagée permet de le justifier ; or, ce schéma impose la préservation et la valorisation de l'aire des Vents, qu'il identifie comme un secteur d'intérêt écologique et comme une liaison d'intérêt écologique, auxquels le projet porte atteinte en prévoyant la réalisation d'un programme immobilier sur sa frange sud-ouest, ce qui menace les continuités écologiques, sans que ces atteintes soient évitées, réduites ou compensées ;
- l'arrêté attaqué méconnait les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement ;
- la réalisation du programme immobilier porterait atteinte à neuf espèces ou habitats protégés alors qu'il ne répond pas à une raison impérative d'intérêt public majeur ; la tenue des jeux olympiques et paralympiques de 2024 ne peut pas justifier la réalisation d'un programme immobilier, le village des médias n'étant pas une infrastructure imposée par le comité international olympique et n'étant qu'un projet de court-terme ; seule une partie des logements devant être réalisée en 2024 ; le programme immobilier n'est donc pas essentiel pour le déroulement des jeux ; la création d'une offre de logements diversifiée ne constitue pas plus une raison impérative d'intérêt public majeur, alors que le contrat de développement territorial prévoyait le développement d'activités de loisirs et de culture sur l'aire des Vents ; ce contrat n'a jamais été approuvé par les parties prenantes ; la réalisation de 1 300 logements et des équipements publics afférents (école et crèche) ne répond pas à un intérêt public suffisamment caractérisé au regard des besoins du territoire exprimés notamment dans le schéma directeur de la région Ile-de-France, le schéma régional de l'habitat et de l'hébergement et le plan métropolitain de l'habitat et de l'hébergement ; la réalisation d'un programme immobilier de seulement 1 300 nouveaux logements à Dugny, ne peut être considérée ni à l'échelle départementale ni à l'échelle intercommunale comme une mesure impérative pour atteindre l'objectif de création de logements imposé par le schéma directeur de la région d'Île-de-France, celui-ci prévoyant en outre de privilégier la densification à l'urbanisation de nouveaux secteurs ; il s'ensuit donc que le programme immobilier du Cluster des médias ne répond à aucun des objectifs énumérés au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ;
- l'absence de solution alternative satisfaisante n'est pas établie ; le préfet se borne à présenter une solution de substitution envisagée par SOLIDEO et ne procède donc à aucune recherche sérieuse sur l'existence d'alternatives au projet retenu, compte tenu des enjeux liés aux espèces protégées, toute autre solution qui concernerait la réalisation du programme immobilier sur une emprise différente ayant été écartée d'office pour des motifs d'ordre exclusivement socio-économique ; la question de la sauvegarde des espèces protégées est absente du raisonnement suivi, alors que le territoire de Dugny est doté de nombreuses potentialités foncières inexploitées permettant tout à la fois d'éviter de recourir à l'urbanisation de nouveaux secteurs et de construire a minima de plus de 1 650 nouveaux logements, dont une partie (au moins 327) à proximité directe de l'aire des Vents ; la localisation du programme immobilier sur l'aire des Vents n'est pas inhérente au projet lui-même ; le lieu d'implantation du centre des médias résulte du choix de Solidéo ; d'autres choix étaient possibles, seuls 700 logements étant nécessaires pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, l'autorité administrative compétente pour autoriser un projet devant faire l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 étant tenue de s'opposer au projet si l'évaluation réalisée est insuffisante ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 163-1 du code de l'environnement ; il résulte de ces dispositions que toute opération de défrichement doit faire l'objet d'une autorisation administrative, y compris si l'opération est menée par une personne publique, et que l'autorité administrative compétente doit subordonner l'autorisation à la réalisation de travaux de boisement visant à compenser les atteintes à la biodiversité ; en application de l'article L. 163-1 du code de l'environnement, les mesures de compensation doivent en priorité être mises en œuvre sur le site impacté ou, à défaut, à une proximité fonctionnelle de celui-ci ; or, en l'espèce, le boisement compensatoire est prévu dans le périmètre de la forêt de Pierrelaye, qui constitue un espace forestier en cours de création dans le Val d'Oise, entre les communes de Pierrelaye et de Bessancourt, à 20 km de distance du projet ; l'erreur manifeste d'appréciation est ainsi caractérisée.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mai 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
La ministre fait valoir que :
S'agissant de la recevabilité de la demande :
- l'association " Collectif pour le triangle du Gonesse " ne dispose pas d'un intérêt à agir dès lors que ses statuts, en leurs articles 2 et 3, limitent son action au territoire du triangle de Gonesse et que son objet social ne vise aucun élément relatif à la défense d'un intérêt visé à l'article L. 211-1 du code de l'environnement ;
- les trente-six personnes physiques requérantes, qui se bornent à invoquer leur qualité de riverains directs ou d'usagers de l'aire des Vents n'apportent aucun élément de nature à démontrer d'éventuels inconvénients et dangers résultant de l'arrêté attaqué sur leur situation personnelle ou sur les intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement ;
S'agissant de la légalité de l'arrêté attaqué :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par des mémoires en défense enregistrés les 11 mai et 9 juin 2021, l'établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO), représenté par Me BM..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'établissement public SOLIDEO fait valoir que :
S'agissant de la recevabilité de la demande :
- un tiers intéressé au sens de l'article R. 181-50 du code de l'environnement n'est recevable à contester une autorisation environnementale délivrée au titre du 1° de l'article L. 181-1 que s'il justifie d'une atteinte portée à sa situation personnelle en rapport direct avec les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, pour chacune des parties de l'autorisation qu'il conteste ;
- les associations requérantes ne justifient pas d'un champ d'action géographique et matériel en rapport avec l'objet des autorisations contestées ;
- l'association " Collectif pour le triangle du Gonesse " ne dispose pas d'un intérêt à agir en l'espèce, dès lors que ses statuts limitent son action au territoire du triangle de Gonesse et que son objet social est défini en des termes trop larges pour permettre de justifier d'un intérêt direct à agir contre l'autorisation environnementale en litige ;
- les statuts de l'association Mouvement national de lutte pour l'environnement-93 et Nord Est ayant été modifiés le 16 janvier 2021, soit postérieurement à l'édiction de l'arrêté attaqué et antérieurement au dépôt de la requête, l'objet social en résultant ne peut fonder l'intérêt à agir invoqué, alors en outre que la rédaction antérieure desdits statuts ne mentionnait aucun élément relatif à la défense d'un intérêt visé à l'article L. 211-1 du code de l'environnement ;
- une personne physique doit justifier d'un intérêt personnel étroitement lié à l'acte contesté ; en l'espèce, les requérants ne justifient pas de leur prétendue qualité de riverains directs ou d'usagers de l'aire des Vents, non plus que d'éventuels inconvénients et dangers résultant de l'arrêté attaqué sur leur situation personnelle ou sur les intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement, alors que la majeure partie du parc restera ouverte au public ;
S'agissant de la légalité de l'arrêté attaqué :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;
- la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 du Parlement européen et du Conseil sur l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et les administrations ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, notamment son article 53 ;
- la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;
- le décret n° 2017-1764 du 27 décembre 2017 relatif à l'établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques ;
- le décret n° 2018-223 du 30 mars 2018 relatif à la réalisation du village olympique et paralympique, du village des médias et des sites olympiques pour le tir, le volley-ball et le badminton, en Seine-Saint-Denis ;
- le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 attribuant à la cour administrative d'appel de Paris le contentieux des opérations d'urbanisme, d'aménagement et de maîtrise foncière afférentes aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;
- le décret n° 2019-1400 du 17 décembre 2019 adaptant les orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ;
- le décret n° 2013-1241 du 27 décembre 2013 approuvant le schéma directeur de la région Île-de-France ;
- le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu, lors de l'audience publique du 23 juin 2021 :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique ;
- Me I..., avocat des requérants ;
- M. Y..., représentant de la ministre de la transition écologique ;
- Me BC... et Me BM..., avocats de la Société de livraison des ouvrages olympiques.
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