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06/07/2021 | FRANCE | N°21PA01311

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 06 juillet 2021, 21PA01311


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 16 décembre 2020 par lequel le préfet de police a décidé qu'il serait transféré aux autorités suédoises.

Par un jugement n° 2022278/8 du 22 janvier 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés sous le n° 21PA01311 les

15 mars et 16 mai 20

21, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 16 décembre 2020 par lequel le préfet de police a décidé qu'il serait transféré aux autorités suédoises.

Par un jugement n° 2022278/8 du 22 janvier 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés sous le n° 21PA01311 les

15 mars et 16 mai 2021, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 2022278/8 du 22 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris ;

3°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 16 décembre 2020 du préfet de police ;

4°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de cet examen ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me A..., conseil de M. B..., sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il remplit les conditions pour obtenir l'aide juridictionnelle provisoire dès lors qu'il ne dispose pas des ressources suffisantes pour assumer les frais liés à l'instance ;

- le tribunal a omis de répondre aux moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ainsi que de l'article 8 de cette même convention ;

- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que la brochure B ne lui a pas été remise et qu'il a ainsi été privé d'une garantie essentielle ;

- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'il bénéficie d'un suivi médical et psychologique qui ne doit pas être interrompu ; par ailleurs, son transfert en Suède entraînera son renvoi dans son pays d'origine, l'Erythrée, où il craint d'être à nouveau emprisonné et persécuté puisque sa demande d'asile a été définitivement rejetée par les autorités suédoises et qu'il a fait l'objet d'une interdiction de séjour sur le territoire suédois ; en outre, les autorités suédoises n'ont pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile dès lors qu'elles considèrent qu'il est soudanais, qu'il risque d'être renvoyé dans un pays dont il n'a pas la nationalité et qu'elles n'ont pas examiné le risque de persécution qu'il encourt en cas de retour en Erythrée ; la présence de son cousin en France justifie la mise en œuvre de la clause discrétionnaire de l'article 17 de ce règlement ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 juin 2021 à 12 h.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 7 avril 2021.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 21PA01312, les 15 mars et 16 mai 2021, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2022278/8 du 22 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris ;

3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de cet examen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me A..., conseil de M. B..., sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 juin 2021 à 12 h.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 25 mai 2021.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les observations de Me A..., avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 12 décembre 1974 à Keren, ressortissant érythréen, a présenté le

3 novembre 2020 une demande de protection internationale au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris. La consultation du fichier Eurodac a mis en évidence que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités suédoises les 9 juin 2014 et 18 février 2016. Par un arrêté du

16 décembre 2020, le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités suédoises. M. B... relève appel du jugement du 22 janvier 2021 en tant que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et demande, en outre, à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

2. Les requêtes susvisées n° 21PA01311 et n° 21PA01312, présentées par M. B... tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement du 22 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

3. Par des décisions des 7 avril 2021 et 25 mai 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans le cadre des instances n° 21PA01311 et n° 21PA01312. Par suite, il n'y a pas lieu d'admettre provisoirement M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

- En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article R. 776-26 du code de justice administrative, applicable aux recours en annulation contre les décisions de transfert mentionnées à l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l'étranger n'est pas placé en rétention ou assigné à résidence en vertu de l'article R. 777-3-5 du même code : " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a présenté devant le tribunal administratif de Paris un mémoire complémentaire le 15 janvier 2021 dans lequel il soulevait les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 à l'appui des conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert du

16 décembre 2020. Toutefois, et alors que l'instruction n'était pas close, le tribunal a omis de répondre à ces moyens qui n'étaient pas inopérants. Par suite, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit être annulé.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Paris.

- En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 16 décembre 2020 :

7. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-01003 du 23 novembre 2020, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris, le préfet de police a donné à Mme F... C..., attachée principale d'administration de l'Etat au sein du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police et signataire de l'arrêté contesté, délégation à effet de signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'auraient pas été absentes ou empêchées lors de la signature de l'acte contesté. Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées et telle qu'elle figure à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre contre signature, le

3 novembre 2020, la brochure intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A), outre le guide du demandeur d'asile et la brochure Eurodac. Le requérant soutient que la brochure intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B), ne lui a pas été remise dès lors que l'encadré apposé sur la dernière page de la brochure attestant de la remise en main propre de ce document et dans une langue que l'étranger comprend mentionne la remise de la brochure Eurodac. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cet encadré est bien apposé sur la dernière page de la brochure B, qu'il mentionne la date du 3 novembre 2020, les nom et prénom de l'intéressé et que la brochure est traduite en tigrigna. Cet encadré est signé par l'intéressé et il mentionne également que la brochure remise en main propre comprend 16 pages alors que l'encadré apposé sur la brochure Eurodac mentionne 3 pages. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la brochure B ne lui aurait pas été remise. L'ensemble de ces documents sont rédigés en tigrigna, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) . / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".

12. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue, pour le demandeur d'asile, une garantie. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un tel entretien le 3 novembre 2020 dans les locaux de la préfecture de police, que cet entretien a été réalisé en tigrigna, langue comprise par l'intéressé comme il a déjà été dit, qui a ainsi eu la possibilité de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. L'intéressé ne fait état devant la Cour d'aucun élément laissant supposer que l'ensemble des éléments d'information qu'il a communiqué lors de cet entretien n'aurait pas été mentionné dans le résumé de cet entretien et que celui-ci ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013. Si le résumé de l'entretien individuel ne mentionne pas le nom et la qualité de l'agent qui a conduit l'entretien, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été reçu par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale en charge de l'asile à la préfecture de police. Dès lors que l'entretien de M. B... a été mené par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien et de signature par cet agent est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie dès lors qu'elle n'a pas privé M. B... de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles et, en l'espèce, n'a pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise. Enfin, il ressort des mentions du document intitulé " résumé de l'entretien individuel " signé par M. B... qui n'a émis aucune réserve que celui-ci lui a été remis en mains propres à l'issue de cet entretien, soit le 3 novembre 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

13. En quatrième lieu, si le requérant soutient que le préfet de police a méconnu les dispositions de l'article 9 du règlement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 selon lesquelles " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ", il ressort des termes de l'attestation du 15 janvier 2021 du cousin de M. B... qu'il possède la nationalité française. Il n'entre donc pas dans le champ d'application des dispositions précitées. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que M. B... et son cousin n'ont pas exprimé le souhait écrit, avant la décision de transfert en litige, que la demande d'asile de M. B... soit examinée en France pour ce motif, comme le prévoient expressément les dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (...) ". En vertu de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ".

15. Le préfet de police établit, par les pièces qu'il produit, qu'à la suite de la demande d'asile introduite par M. B... le 3 novembre 2020, les autorités suédoises ont été saisies le

5 novembre 2020 d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions du d) du

1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, et ont fait expressément droit à cette demande le

13 novembre 2020, soit dans le délai prévu à l'article 25 de ce règlement. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police n'établit pas avoir saisi dans le délai de deux mois les autorités suédoises ni obtenu une réponse positive de leur part sur la demande de reprise en charge doit être écarté.

16. En sixième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 26 juin 2013, établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride : " (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...). / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) / 3. Tout État membre conserve le droit d'envoyer un demandeur vers un pays tiers sûr, sous réserve des règles et garanties fixées dans la directive 2013/32/UE ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". De même, aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

17. M. B... soutient qu'il souffre de troubles psychiatriques et que son transfert aux autorités suédoises entraînera une rupture des soins médicaux et par suite une détérioration significative de son état de santé. Au soutien de ces affirmations, il verse au dossier des certificats médicaux d'un psychologue clinicien et d'un médecin généraliste des 14 janvier et 4 mai 2021 mentionnant que son état de santé nécessite une psychothérapie ainsi qu'un accompagnement psychiatrique et qu'il n'est pas en mesure de supporter un arrêt du traitement. Ces éléments sont corroborés par deux attestations de travailleurs sociaux ayant pris en charge l'intéressé. Toutefois, ces éléments ne sont pas de nature à établir que M. B... serait exposé à un risque de traitements inhumains ou dégradants en cas de remise aux autorités suédoises, ni qu'il justifierait de motifs humanitaires alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs même pas allégué, qu'il ne pourrait pas bénéficier en Suède d'une prise en charge médicale appropriée à son état de santé.

18. Le requérant soutient en outre que ses demandes d'asile ayant été définitivement rejetées par les autorités suédoises et faisant l'objet d'une interdiction du territoire suédois, son transfert en Suède entraînera son renvoi dans son pays d'origine, l'Erythrée où il sera emprisonné et subira des persécutions puisque, alors qu'il était militaire, il a été emprisonné pour un motif politique pendant trois ans dans des conditions inhumaines avant de pouvoir s'évader et de rejoindre le Soudan. Il soutient également que les autorités suédoises n'ont pas examiné ses demandes d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile dès lors qu'elles ont considéré à tort qu'il était soudanais et qu'elles n'ont pas examiné sa situation au regard des risques qu'il encourt en Erythrée. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de transférer M. B... vers la Suède et non vers l'Erythrée ou le Soudan. La Suède, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De ce fait, le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est présumé conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les éléments versés au dossier ne suffisent pas à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile ou que sa demande d'asile, qui a été enregistrée ainsi que l'atteste l'accord de reprise en charge des autorités suédoises, ne serait pas traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que c'est au regard des déclarations de M. B... que les autorités suédoises ont estimé qu'il était de nationalité soudanaise. Ainsi, les moyens tirés de la méconnaissance du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté. Pour les mêmes motifs, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de police, en prononçant son transfert aux autorités suédoises, aurait méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Enfin, M. B..., qui comme il a déjà été dit n'établit pas ne pas pouvoir bénéficier de soins médicaux en Suède et qui se prévaut de la seule présence en France d'un cousin, ne justifie pas de circonstances humanitaires de nature à établir que le préfet de police aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement n° 604/2013.

19. En septième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ".

20. Il ressort des pièces du dossier, comme il a déjà été dit, que M. B... est entré irrégulièrement en France et a sollicité l'asile le 3 novembre 2020. Lors de l'entretien individuel, l'intéressé a déclaré être marié et n'avoir aucun enfant mineur ni aucun membre de sa famille en France. Dans ces conditions, et alors même qu'un cousin de M. B... résiderait en France, la décision de transfert contestée n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du

16 décembre 2020 du préfet de police présentées par M. B... doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement :

22. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 21PA01311 de M. B... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 22 janvier 2021, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 21PA01312 par laquelle M. B... sollicitait de la Cour le sursis à exécution de ce jugement.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire de M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21PA01312 de M. B....

Article 3 : L'article 2 du jugement n° 2022278/8 du 22 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 4 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête n° 21PA01311 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme D..., première conseillère,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2021.

La rapporteure,

V. E... La présidente,

H. VINOT

La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 21PA01311, 21PA01312


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01311
Date de la décision : 06/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : GALL

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-07-06;21pa01311 ?
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