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30/06/2021 | FRANCE | N°21PA02439

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 30 juin 2021, 21PA02439


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. S... F..., Mme O... D..., M. B... A..., M. M... J...,

M. U... H..., M. K... I..., M. P... L... et M. R... C... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 14 octobre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Ioc Print.

Par un jugement n° 2010410 du 12 mars 2021, le tri

bunal administratif de Melun a annulé la décision du 14 octobre 2020 par laquell...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. S... F..., Mme O... D..., M. B... A..., M. M... J...,

M. U... H..., M. K... I..., M. P... L... et M. R... C... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 14 octobre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Ioc Print.

Par un jugement n° 2010410 du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 14 octobre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Ioc Print et a rejeté le surplus de la requête.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 5 mai 2021 sous le n° 21PA02439, un mémoire en réplique, enregistré le 2 juin 2021, un nouveau mémoire, enregistré le 10 juin 2021, Me T... N..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, et la société Ioc Print, représentés par Me G..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2010410 du 12 mars 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. F..., Mme D..., M. A..., M. J..., M. H..., M. I..., M. L... et M. C... devant le tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge de chacun des requérants de première instance le versement de la somme de 250 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'une erreur de droit pour avoir fait peser sur la société Ioc Print et son administrateur judiciaire des obligations d'évaluation et de prévention des risques psycho-sociaux qui étaient sans objet, et sur l'autorité administrative une obligation de contrôle de l'existence et du caractère suffisant de ces mesures ;

- aucun des autres moyens soulevés en première instance n'est susceptible de fonder l'annulation de la décision du 14 octobre 2020 : la consultation du comité social et économique a été menée dans des conditions régulières ; contrairement à ce que soutenaient les requérants de première instance, le dispositif mis en place après échange avec le comité social et économique ne saurait être analysé comme un plan de départ volontaire, mais comme une alternative à l'application des critères de licenciement ; le critère des qualités professionnelles n'est pas illégal ; les catégories professionnelles définies dans le document unilatéral, élaborées conformément à la jurisprudence, ne sont pas illégales ; le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas insuffisant et est proportionné aux moyens de l'entreprise ; la procédure d'information du comité social et économique en ce qui concerne le budget total alloué au financement des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi et du budget par salarié n'a pas été méconnue.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mai 2021, et des nouveaux mémoires, enregistrés le 28 mai 2021, le 7 juin 2021 et le 11 juin 2021, M. S... F..., Mme O... D..., M. B... A..., M. M... J..., M. U... H..., M. K... I..., M. P... L... et M. R... C..., représentés par Me Q..., concluent au rejet de la requête et à ce que le versement à chacun des demandeurs de la somme de 1 200 euros soit mis à la charge de l'Etat (ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion) sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par Me N..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, ne sont pas fondés. En outre, ils reprennent leurs moyens de première instance tirés de ce qu'une procédure illégale de départ volontaire avant l'homologation a été mise en place, que le critère relatif aux qualités professionnelles était illégal dès lors que les absences injustifiées n'avaient pas à être prises en considération et que le second critère, fondé sur la possession d'un permis pour charriot élévateur, ne concernait que 25% des effectifs de l'entreprise, que la définition des catégories professionnelles était incohérente et ne reposait pas sur la définition légale et que le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi était insuffisant en ce que le document unilatéral ne prévoyait pas la mutualisation du budget entre salariés, le document unilatéral, de surcroît, n'ayant pas été porté à la connaissance du comité social et économique, entachant ainsi d'irrégularité la procédure de consultation.

II. Par une requête, enregistrée le 11 mai 2021 sous le n° 21PA02581, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2010410 du 12 mars 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. F..., Mme D..., M. A..., M. J..., M. H..., M. I..., M. L... et M. C... devant le tribunal administratif de Melun.

Elle soutient que :

- en annulant la décision d'homologation le tribunal administratif au motif que " l'existence d'un projet de cession dans le cadre de la procédure collective n'était pas de nature à dispenser l'employeur de ses obligations d'identification, d'évaluation et de prévention des risques résultant des dispositions citées au point 3 ", le tribunal administratif n'a pas correctement apprécié le périmètre de l'obligation considérée et a donc commis une erreur de droit ;

- en estimant qu'" il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la version homologuée par l'administration du travail, et il n'est pas même allégué qu'à la suite de ce rapport, des mesures d'identification des risques ou des mesures concrètes de prévention de ces risques auraient été mises en place ", le tribunal administratif, en ne prenant pas en considération les pièces associées au contrôle de l'obligation dans les limites qui sont les siennes au regard du contexte de la société, a commis une erreur d'appréciation ;

- contrairement à ce que soutenaient les requérants en première instance, le plan de sauvegarde de l'emploi n'a pas mis en œuvre de manière illégale un plan de départ volontaire, mais simplement une phase de volontariat intégrée au plan de sauvegarde de l'emploi, qui n'implique pas la rupture des contrats de travail des salariés qui feraient acte de candidature à ce volontariat ;

- contrairement à ce que soutenaient les requérants en première instance, le critère relatif aux qualités professionnelles, pour l'ordre des licenciements, n'est pas illégal ;

- contrairement à ce que soutenaient les requérants en première instance, la définition des catégories professionnelles n'est pas incohérente et n'est pas illégale ;

- contrairement à ce que soutenaient les requérants en première instance, la DIRECCTE s'est assurée de la régularité de la procédure d'information-consultation du comité social et économique ; le document unilatéral homologué a bien été porté à sa connaissance ;

- contrairement à ce que soutenaient les requérants en première instance, la DIRECCTE a contrôlé la proportionnalité des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens de l'entreprise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2021 et des nouveaux mémoires, enregistrés le 7 juin 2021 et le 11 juin 2021, M. S... F..., Mme O... D...,

M. B... A..., M. M... J..., M. U... H..., M. K... I..., M. P... L... et M. R... C..., représentés par Me Q..., concluent au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 1 200 euros soit mis à la charge de l'Etat (ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion) sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ne sont pas fondés. En outre, ils reprennent leurs moyens de première instance tirés de ce qu'une procédure illégale de départ volontaire avant l'homologation a été mise en place, que le critère relatif aux qualités professionnelles était illégal dès lors que les absences injustifiées n'avaient pas à être prises en considération et que le second critère, fondé sur la possession d'un permis pour charriot élévateur, ne concernait que 25% des effectifs de l'entreprise, que la définition des catégories professionnelles était incohérente et ne reposait pas sur la définition légale et que le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi était insuffisant en ce que le document unilatéral ne prévoyait pas la mutualisation du budget entre salariés, le document unilatéral, de surcroît, n'ayant pas été porté à la connaissance du comité social et économique, entachant ainsi d'irrégularité la procédure de consultation.

Par des mémoires enregistrés le 2 juin 2021 et le 10 juin 2021, Me T... N..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, et la société Ioc Print, représentés par Me G..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2010410 du 12 mars 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. F..., Mme D..., M. A..., M. J..., M. H..., M. I..., M. L... et M. C... devant le tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge de chacun des requérants de première instance le versement de la somme de 250 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'une erreur de droit pour avoir fait peser sur la société Ioc Print et son administrateur judiciaire des obligations d'évaluation et de prévention des risques psycho-sociaux qui étaient sans objet, et sur l'autorité administrative une obligation de contrôle de l'existence et du caractère suffisant de ces mesures ;

- aucun des autres moyens soulevés en première instance n'est susceptible de fonder l'annulation de la décision du 14 octobre 2020 : la consultation du comité social et économique a été menée dans des conditions régulières ; contrairement à ce que soutenaient les requérants de première instance, le dispositif mis en place après échange avec le comité social et économique ne saurait être analysé comme un plan de départ volontaire, mais comme une alternative à l'application des critères de licenciement ; le critère des qualités professionnelles n'est pas illégal ; les catégories professionnelles définies dans le document unilatéral, élaborées conformément à la jurisprudence, ne sont pas illégales ; le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas insuffisant et est proportionné aux moyens de l'entreprise ; la procédure d'information du comité social et économique en ce qui concerne le budget total alloué au financement des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi et du budget par salarié n'a pas été méconnue.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me Q..., avocat de M. F..., Mme D..., M. A...,

M. J..., M. H..., M. I..., M. L... et M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de Me N..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, et la société Ioc Print, enregistrée sous le n° 21PA02439, et de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, enregistrée sous le n° 21PA02581, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Il ressort des motifs mêmes du jugement attaqué qu'ils explicitent, de manière détaillée en droit et en fait, le raisonnement qui a conduit les premiers juges a annulé la décision du

14 octobre 2020 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France homologuant le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Ioc Print. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. La société Ioc Print, qui avait pour activité principale la conception, l'impression et la commercialisation de supports grand format et très grand format dans le cadre de campagnes de communication et de publicité et qui était une filiale à 98,81% de la société Ioc Holding, employait cent-vingt-et-un salariés répartis sur quatre sites, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), où se trouvait son siège social, Grigny (Essonne), Saint-Priest (Rhône) et Contes (Alpes-Maritimes). A la suite de difficultés économiques aggravées entre 2018 et 2019, elle a fait l'objet, par jugement du tribunal de commerce de Créteil du 8 avril 2020, d'une procédure d'ouverture de redressement judiciaire. Le processus de recherche de candidats acquéreurs a été initié, la date limite de dépôt des offres étant fixée au 10 août 2020. A cette date, deux offres ont été déposées auprès de l'administrateur judiciaire, dont celle de la société Koramic Holding ; à la suite d'un accord entre eux, l'un des deux éventuels acquéreurs a renoncé à son offre de reprise. Le 7 septembre 2020, l'administrateur judiciaire a notifié le projet de licenciement collectif pour motif économique, en lien avec le projet de cession de la société, à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France en application de l'article

L. 1233-60 du code du travail ; ce projet prévoyait la suppression de trente postes et pouvait, in fine, entraîner le licenciement de trente salariés au sein de l'entreprise. Par jugement du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Créteil a notamment pris acte de l'existence d'un lien capitalistique entre la société Ioc Print et la société Koramic Holding, qui détient 14% du capital de la société Ioc Holding, a autorisé la cession de la société Ioc Print à la société Koramic Holding, a ordonné le transfert au repreneur de 91 contrats de travail sur 121 et a autorisé l'administrateur judiciaire à procéder au licenciement pour motif économique des salariés non repris dans les catégories professionnelles concernées, conformément aux dispositions des articles L. 642-5 et

R. 642-3 du code de commerce. Par jugement du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Créteil a arrêté le plan de cession de la société Ioc Print au profit de la société Koramic Holding avec possibilité de substitution et a autorisé l'administrateur judiciaire à procéder au licenciement pour motif économique des salariés non repris dans les catégories professionnelles concernées. Ce jugement autorise la reprise de 91 salariés (sur 121) et le licenciement des salariés non repris. Une demande d'homologation du document unilatéral relatif au projet de licenciement collectif pour motif économique a été déposée le 5 octobre 2020. Par une première décision du 9 octobre 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise de la société Ioc Print. Par une seconde décision du 14 octobre 2020 en litige, cette même autorité a retiré la décision initiale du 9 octobre 2020 et homologué le document unilatéral relatif à ce plan de sauvegarde de l'emploi.

5. Par le jugement du 12 mars 2021 du tribunal administratif de Melun dont Me N..., ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, et la société Ioc Print d'une part, et la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion d'autre part, relèvent appel, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 14 octobre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Ioc Print et a rejeté le surplus de la requête.

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué concernant l'évaluation et la prévention des risques psycho-sociaux :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 1233-58 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 : " I. - En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en œuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4 (...) / II. - Pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés, (...) le document mentionné à l'article L. 1233-24-4, élaboré par l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, est homologué dans les conditions fixées aux articles L. 1233-57-1 à L. 1233-57-3, aux deuxième et troisième alinéas de l'article

L. 1233-57-4 et à l'article L. 1233-57-7 (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-57-2 du même code : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : / 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; / 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique ; / 3° La présence dans le plan de sauvegarde de l'emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61 et

L. 1233-63 ; / 4° La mise en œuvre effective, le cas échéant, des obligations prévues aux articles

L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20. ". L'article L. 1233-57-3 de ce code dispose enfin que : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16,

L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 (...) ".

7. D'autre part, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ". L'article L. 4121-2 du même code dispose que : " L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : / 1° Eviter les risques ; / 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; / 3° Combattre les risques à la source (...) ". L'article R. 4121-2 du même code prévoit que : " La mise à jour du document unique d'évaluation des risques est réalisée : / 1° Au moins chaque année ; / 2° Lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l'article L. 4612-8 ; / 3° Lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie. ".

8. En vertu des dispositions précitées des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail, le contrôle de la régularité de la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi incombe à l'autorité administrative, lors de sa décision de validation ou d'homologation.

9. Dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A cette fin, elle doit contrôler, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable de ceux mentionnés au point précédent.

10. Dans le cadre d'une cession d'entreprise, l'employeur n'est tenu, en application des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs que jusqu'à la date de cession de l'entreprise, s'agissant de l'éventuel transfert des salariés repris par la société cessionnaire, et/ou du licenciement des salariés de la société cédée qui n'ont pas été repris. Par voie de conséquence, le contrôle qui incombe à l'autorité administrative sur ces mesures, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi concernant la cession d'une entreprise, ne saurait s'étendre au-delà de la date de cette cession et de ces licenciements.

11. Il ressort des pièces du dossier que la partie 10 du document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi homologué par la décision litigieuse du 14 octobre 2020 concernant les " incidences éventuelles sur les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité et les actions de prévention des risques psycho-sociaux " indique à titre liminaire que " les incidences éventuelles des offres sur les conditions de travail d'hygiène et de sécurité s'apprécieront à l'aune de l'organisation du travail que le candidat cessionnaire souhaite mettre en place et celle qu'il mettra en place après la reprise. / Les élus du CSE, dès lors que l'instance perdure, seront informés et consultés sur ce point lors de la mise en place effective de cette nouvelle organisation " et rappelle que " l'annonce d'un plan de réorganisation et de restructuration peut avoir une conséquence sur la santé physique et psychique pour les salariés notamment ceux qui seront non repris ", que son " impact est anxiogène pour les salariés qui se trouvent dans des moments de détresse, d'interrogation et de confusion sur la situation " qui peuvent " avoir de nombreuses interrogations auxquelles l'entreprise ne peut répondre " et qu'il " faut dans ce cas aider les salariés en répondant si possible à leurs questions [et] accueillir éventuellement et de manière individuelle, chaque salarié qui le souhaite pour l'accompagner dans sa prise de décision ", en précisant que " le médecin du travail et le service de santé au travail informés de la situation peuvent être sollicités par les salariés qui le souhaitent " et qu'ils " pourront faire remonter auprès de la direction des ressources humaines les situations à risque qu'ils auront identifiées ", une " présence accrue du médecin du travail [pouvant] par ailleurs être sollicitée en fonction des besoins des salariés ". La décision d'homologation contestée du 14 octobre 2020 reprend ces éléments en considérant " que le projet de cession de la société Ioc Print prévoit au niveau des incidences éventuelles sur les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité : une rencontre des élus du CSE des différents candidats repreneurs le 11/09 et qu'ils pourront leur poser des questions sur ce sujet, et que le CSE sera informé et consulté lors de la mise en place effective de cette nouvelle organisation, au niveau des risques psycho-sociaux, le médecin du travail et le service de santé au travail informés de la situation de l'entreprise pourront être sollicités par les salariés qui le souhaitent pour répondre à leurs questions et les accompagner dans leurs démarches en lien avec la direction des ressources humaines, conformément à l'article L. 4121-1 du code du travail ; ".

12. D'une part, en estimant que l'existence d'un projet de cession dans le cadre de la procédure collective n'était pas de nature à dispenser l'employeur de ses obligations d'identification, d'évaluation et de prévention des risques psycho-sociaux susceptibles d'être induits par l'opération, y compris, compte tenu du projet de cession de l'entreprise, au regard de l'organisation future de l'activité de la société cédée, notamment pour ce qui concerne la charge de travail des salariés dont l'effectif devait être réduit d'un quart en application du projet, et qu'il incombait ainsi au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France de contrôler ces obligations, les premiers juges ont commis une erreur de droit dès lors que, comme il a été dit au point 10, ces mesures, et leur contrôle, ne pouvaient s'étendre au-delà de la date de la cession de l'entreprise et/ou du licenciement des salariés non repris. D'autre part, les mesures énoncées dans la partie 10 du document unilatéral et rappelées au point 11, pour modestes qu'elles aient été, étaient néanmoins suffisantes pour assurer le respect des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail, notamment au regard du caractère anxiogène de l'annonce de la cession de l'entreprise et du plan de sauvegarde de l'emploi l'accompagnant et de ses conséquences en terme de risques psycho-sociaux, particulièrement pour les salariés qui ne devaient pas être repris lors de cette cession. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé, dans le jugement attaqué, qu'en homologuant le plan de sauvegarde de l'emploi litigieux, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France avait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation au regard de ces dispositions.

13. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F..., Mme D..., M. A...,

M. J..., M. H..., M. I..., M. L... et M. C... devant le tribunal administratif de Melun.

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens ;

14. Aux termes de l'article L. 1233-5 du code du travail : " Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. / Ces critères prennent notamment en compte : / 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; / 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. / L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. / Le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements peut être fixé par un accord collectif. / En l'absence d'un tel accord, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d'emplois dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l'entreprise concernés par les suppressions d'emplois. / Les conditions d'application de l'avant-dernier alinéa du présent article sont définies par décret. ". Il résulte de la lettre même de ces dispositions qu'en l'absence d'accord collectif en ayant disposé autrement, l'employeur qui procède à un licenciement collectif pour motif économique est tenu, pour déterminer l'ordre des licenciements, de se fonder sur des critères prenant en compte l'ensemble des critères d'appréciation mentionnés aux 1° à 4° ci-dessus. Par suite, en l'absence d'accord collectif ayant fixé les critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral de l'employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ne saurait légalement fixer des critères d'ordre des licenciements qui omettraient l'un de ces quatre critères d'appréciation ou neutraliseraient ses effets. Il n'en va autrement que s'il est établi de manière certaine, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, que, dans la situation particulière de l'entreprise et pour l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation en question ne pourra être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.

15. Il ressort des pièces du dossier que le document unilatéral homologué par la décision litigieuse, s'agissant du critère des qualités professionnelles, a relevé que s'il avait été initialement envisagé de prendre en considération les entretiens annuels d'évaluation, il a été ensuite constaté que ces derniers avaient été réalisés, pour une grande partie d'entre eux, en 2018, pour quelqu'un d'entre eux en 2019 et, pour une ou deux personnes, en 2020, que les comptes rendus d'entretien ne comportaient aucun élément permettant d'apprécier, par des éléments normés, la compétence professionnelle des salariés et ainsi ne permettaient pas d'établir une pondération susceptible d'être prise en compte au titre des qualités professionnelles, et que le contexte d'urgence, eu égard au processus en cours de cession de l'entreprise, faisait matériellement obstacle à ce que soient réalisés des entretiens professionnels et une évaluation des salariés, de surcroît répartis sur quatre sites et pour beaucoup en activité partielle et/ou en congés payés pendant cette période. Eu égard à ces circonstances, le document unilatéral a pris en considération, au titre du critère des qualités professionnelles, d'une part le " présentéisme ", en tenant compte des absences injustifiées des salariés au cours des douze derniers mois précédents la date du 15 mars 2020, ce critère étant affecté de zéro point à deux points (lorsqu'aucun jour d'absence injustifiée n'était constaté) et, d'autre part, les compléments de formation, en attribuant trois points aux salariés titulaires du permis CACES, " quelque que soit le permis et le nombre de permis CACES " (il s'agit du certificat d'aptitude à la conduite en sécurité, notamment de plateformes élévatrices mobiles et de chariots automoteurs). Si le document unilatéral ajoute, au terme de l'énumération de ces critères relevant des qualités professionnelles, que " d'autres compléments de formation pourront être pris en compte après échange avec les élus du comité social et économique lors de la réunion du comité social et économique ", il ne ressort pas des pièces du dossier que tel ait été effectivement le cas. S'il était loisible, en l'absence de système annuel d'évaluation ou d'entretien professionnel et dans l'impossibilité, du fait de l'urgence, de procéder à de nouvelles évaluations professionnelles des salariés, de retenir, au titre du critère relatif à la qualité professionnelle, la détention par les salariés d'un complément de formation, pourvu que celui-ci ne soit pas dépourvu de tout lien avec le critère de la qualification professionnelle, le document unilatéral ne pouvait, sans procéder à une discrimination illégale entre les salariés, retenir au titre de ce complément de formation la détention par les salariés d'un permis CACES, de surcroît en affectant à cette possession le chiffre élevé de trois points, dès lors que celle-ci ne pouvait par définition concerner qu'un nombre minoritaire de salariés qui étaient impliqués dans des activités de manutention, à l'exclusion des salariés affectés à d'autres fonctions, même participant directement au processus de production de l'entreprise. Par suite, la décision d'homologation contestée du 14 octobre 2020 a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 1233-5 du code du travail et doit donc être annulée.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Me N..., ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, la société Ioc Print, et la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 14 octobre 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Ioc Print.

Sur les frais liés à l'instance :

17. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par Me N..., ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, et la société Ioc Print doivent être rejetées.

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion) le paiement de la somme de 2 000 euros à M. F..., à Mme D..., à M. A..., à M. J..., à M. H..., à M. I..., à M. L... et à M. C..., pris solidairement, au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requête de Me N..., ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Ioc Print, de la société Ioc Print, et de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion sont rejetées.

Article 2 : L'Etat (ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion) versera à M. F..., à Mme D..., à M. A..., à M. J..., à M. H..., à M. I..., à M. L... et à M. C..., pris solidairement, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me T... N..., à M. S... F..., à Mme O... D..., à M. B... A..., à M. M... J..., à M. U... H..., à

M. K... I..., à M. P... L..., à M. R... C... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan E..., président,

- Mme Marie-Dominique Jayer, premier conseiller,

- Mme Gaëlle Mornet, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 juin 2021.

Le président-rapporteur,

I. E...L'assesseur le plus ancien,

M.D. JAYER

Le greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA02439

N° 21PA02581


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02439
Date de la décision : 30/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : GM ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-30;21pa02439 ?
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