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09/06/2021 | FRANCE | N°20PA00074

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 09 juin 2021, 20PA00074


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Nogent-sur-Marne à lui verser la somme de 12 500 euros assortie des intérêts aux taux légal à compter de sa demande préalable et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité partielle de la délibération du conseil municipal du 12 mai 2014 ainsi que des trois arrêtés du maire du 30 juin 2014.

Par un jugement n° 1705930/5 du 7 novembre 2019, le Tribunal

administratif de Melun a condamné la commune de Nogent-sur-Marne à verser à M. D... l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Nogent-sur-Marne à lui verser la somme de 12 500 euros assortie des intérêts aux taux légal à compter de sa demande préalable et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité partielle de la délibération du conseil municipal du 12 mai 2014 ainsi que des trois arrêtés du maire du 30 juin 2014.

Par un jugement n° 1705930/5 du 7 novembre 2019, le Tribunal administratif de Melun a condamné la commune de Nogent-sur-Marne à verser à M. D... la somme de 7 247,60 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité partielle de la délibération du conseil municipal du 12 mai 2014 ainsi que des trois arrêtés du maire du 30 juin 2014, assortie des intérêts à compter du 24 mars 2017 et de la capitalisation des intérêts à compter du 3 octobre 2019, mis à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne la somme de 1 500 euros à verser à M. D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 9 janvier, 26 juillet et 17 octobre 2020,

M. D..., représentée par Me A... E..., demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement n° 1705930/5 du 7 novembre 2019 en tant que le Tribunal administratif de Melun a limité ses prétentions indemnitaires à la somme de 7 247,60 euros ;

2°) de condamner la commune de Nogent-sur-Marne à lui verser la somme de 17 405,47 euros, assortie des intérêts au taux légal, capitalisés à compter de la date de réception de la demande indemnitaire préalable, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qui concerne l'indemnisation allouée au titre de la réparation du préjudice moral à défaut de préciser les éléments retenus par le tribunal, alors qu'il était saisi d'une argumentation particulièrement précise et circonstanciée sur les souffrances, notamment morales qu'il avait endurées pendant une longue période ;

- le tribunal a méconnu le principe de la réparation intégrale des préjudices subis en lui allouant une somme limitée à 7 247,60 euros, en ne tenant pas compte de la gravité des vexations dont il a fait l'objet pendant plus de deux ans ni de la dégradation corrélative de son état de santé ; le tribunal n'a pas intégralement réparé le préjudice moral qu'il a subi alors qu'il a fait l'objet d'un isolement et d'un déclassement professionnel et qu'il en est résulté une dégradation de son état de santé ; il a été victime d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral ; le préjudice moral subi peut être évalué à la somme de 10 000 euros ;

- il justifie de ce qu'une note d'honoraire d'un montant de 96 euros se rattache au contentieux qui l'opposait à la commune.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 16 mars et 16 septembre 2020, la commune de Nogent-sur-Marne, représentée par Me G... F..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens invoqués par M. D... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 20 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 20 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H...,

- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,

- et les observations de Me E..., avocat de M. D... et de Me C..., substituant Me F..., avocat de la commune de Nogent-sur-Marne.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... relève appel du jugement n° 1705930/5 du 7 novembre 2019 en tant que le Tribunal administratif de Melun a limité à la somme de 7 247,60 euros l'indemnité due par la commune de Nogent-sur-Marne en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité partielle de la délibération du conseil municipal du 12 mai 2014 ainsi que des trois arrêtés du maire du 30 juin 2014.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Nogent-sur-Marne :

2. Il résulte de l'instruction que la requête de M. D..., alors même que le mémoire complémentaire qu'il avait annoncé n'a été enregistré que le 26 juillet 2020, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel, comporte l'énoncé de moyens et de conclusions dirigées contre le jugement du Tribunal administratif de Melun du 7 novembre 2019. Il suit de là, contrairement à ce que soutient la commune de Nogent-sur-Marne, que la requête d'appel répond aux exigences de motivation prévues par les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Nogent-sur-Marne ne peut qu'être écartée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. Il résulte de l'instruction que M. D..., qui sollicitait la réparation du préjudice moral subi à hauteur d'une somme de 10 000 euros, soutenait devant le tribunal que la commune de Nogent-sur-Marne avait cherché à l'évincer de ses fonctions puis avait organisé son isolement, son déclassement professionnel ainsi qu'une dégradation de ses conditions de travail, portant ainsi atteinte à ses droits, à sa dignité et à sa santé, en méconnaissance de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983. Eu égard à l'argumentation ainsi développée, les premiers juges ne pouvaient se borner à indiquer qu'" il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. D... en lui allouant la somme de 2 000 euros " sans préciser les griefs formés par l'intéressé qu'ils estimaient justifiés et sur lesquels ils fondaient leur appréciation. Il suit de là que M. D... est fondé à soutenir que jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation en ce qui concerne l'évaluation du préjudice moral.

5. Il y a lieu pour la Cour de statuer par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal au titre dudit préjudice, et par la voie de l'effet dévolutif sur le surplus de ses demandes.

6. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / (...) ".

7. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

9. M. D... soutient qu'il a subi de graves vexations pendant deux ans, à savoir un isolement et un déclassement professionnel, caractéristiques de faits de harcèlement moral ainsi que d'une dégradation de son état de santé.

10. Il résulte de l'instruction que M. D..., attaché principal, a été recruté par la commune de Nogent sur Marne à compter du 1er janvier 2013, pour exercer les fonctions de responsable des affaires scolaires au sein de la Maison de la famille. Le 2 mai 2013, l'adjointe au chef de service de la Maison de la famille l'a informé qu'un parent d'élève lui avait signalé que son enfant avait été victime de violences à caractère sexuel de la part de certains de ses camarades et qu'au vu de la gravité de ces violences et de leur caractère répété, l'intéressé avait décidé de ne plus confier son enfant au centre de loisirs et découvertes. M. D... a, par courriel du même jour, immédiatement informé sa hiérarchie directe ainsi que le responsable administratif de la Maison de la famille, la personne responsable périscolaire à l'origine de cette information étant en copie de son courriel. En réponse, le maire de la commune de Nogent-sur-Marne lui a reproché d'avoir mis en copie ces deux responsables du secteur enfance et l'a sévèrement critiqué aux motifs qu'il n'avait pas fait preuve d'une attitude raisonnée à l'égard de cet incident et qu'il avait exprimé son avis sur les faits portés à sa connaissance et sur les mesures éventuelles qui pouvaient être prises. Par une délibération du 12 mai 2014, le conseil municipal a décidé de modifier le tableau des effectifs de la commune de Nogent-sur-Marne et de supprimer l'emploi de chef du service des affaires scolaires occupé par

M. D.... En conséquence de cette délibération, par trois arrêtés du 30 juin 2014, le maire a placé M. D... en surnombre et a supprimé sa prime de fonctions et de résultats ainsi que la nouvelle bonification indiciaire qui lui avait été attribuée. Par un jugement n°s 1406540, 1407971, 1407974, 1407975 du 2 novembre 2016, le Tribunal administratif de Melun a annulé ces décisions au motif que le maire aurait dû rechercher à reclasser M. D... dès la date de mise en oeuvre de la restructuration de la Maison de la Famille, soit le 9 septembre 2013, cette restructuration s'étant traduite par la création de quatre pôles sous l'animation directe de la directrice générale adjointe des services, la responsabilité de l'un ou l'autre de ces pôles n'ayant jamais été proposée à M. D.... En supprimant le poste occupé par M. D..., la délibération du 12 mai 2014 a été à l'origine d'un déclassement professionnel que la commune de Nogent-sur-Marne ne peut justifier alors que ce poste avait été créé à peine dix-huit mois auparavant. En revanche, il résulte des éléments produits au dossier, notamment eu égard à la teneur du courrier du maire en date du 2 mai 2013 et de l'avis défavorable à la suppression dudit poste émis par la commission administrative paritaire, que ce déclassement professionnel résulte de la volonté délibérée du maire de voir M. D... quitter au plus vite les effectifs de la commune y compris en ne lui proposant que des postes ne comportant aucune fonction d'encadrement, avec un régime indemnitaire sensiblement inférieur à celui qui s'appliquait à sa situation. Dans ces conditions, M. D... est fondé à soutenir qu'en raison de sa mise à l'isolement, de l'atteinte à sa dignité qui en a résulté et de la dégradation de ses conditions de travail ainsi que son état de santé que cette situation a engendré, il a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral en méconnaissance des dispositions de l'article 6 quinquiès de la loi du 3 juillet 1983, de nature à justifier la réparation du préjudice moral qu'il a subi, ledit préjudice devant être fixé à la somme de 7 000 euros.

11. M. D... soutient, par ailleurs, qu'il a subi un préjudice matériel à concurrence de la somme de quatre-vingt-seize euros correspondant à une note d'honoraires du 23 avril 2014. A l'appui de son argumentation, il produit en appel, la copie d'un courriel d'un cabinet d'avocat en date du 24 avril 2014 portant la mention " Re : contentieux Nogent-sur-Marne ". Toutefois, la production de ce courriel, antérieur aux délibérations et arrêtés annulés par le jugement précité du 2 novembre 2016, qui a d'ailleurs donné lieu à indemnisation des frais d'instance, ne permet pas d'établir un lien direct entre le préjudice allégué et les fautes commises par la commune de Nogent-sur-Marne.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la somme mise à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne par l'article 1er du jugement n° 1705930/5 du 7 novembre 2019 du Tribunal administratif de Melun, fixée par ledit tribunal à 7 247,60 euros dont 2 000 euros au titre du préjudice moral, doit être portée à 12 247,60 euros dont 7 000 euros au titre du préjudice moral

M. D.... Cette indemnité sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2017, date de réception de la demande préalable de M. D... et de la capitalisation des intérêts à compter du 3 octobre 2019 puis à chaque échéance annuelle. Il y a lieu, par voie de conséquence, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire au présent arrêt, de mettre à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne, dans les circonstances de l'espèce, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de rejeter le surplus des conclusions de la requête d'appel ainsi que les conclusions présentées par la commune de Nogent-sur-Marne en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité mise à la charge de la commune de Nogent-sur-Marne en réparation des préjudices subis par M. D... est fixée à la somme de 12 247,60 euros.

Article 2 : Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2017 et de la capitalisation des intérêts à compter du 3 octobre 2019 puis à chaque échéance annuelle.

Article 3 : Le jugement n° 1705930/5 du 7 novembre 2019 du Tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune de Nogent-sur-Marne versera à M. D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. D... et les conclusions présentées par la commune de Nogent-sur-Marne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et à la commune de Nogent-sur-Marne.

Délibéré après l'audience du 26 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- Mme H..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2021.

Le rapporteur,

S. H...Le président,

I. BROTONSLe greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 20PA00074


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00074
Date de la décision : 09/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : PERRET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-09;20pa00074 ?
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