Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 7 août 2018 par lequel le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " passeport talent " ou à titre subsidiaire la mention " profession libérale ", l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination, ainsi que d'enjoindre à celui-ci de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " passeport talent ", à titre subsidiaire de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " profession libérale ", et à titre infiniment subsidiaire de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 1807548 du 31 décembre 2019, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 février 2020, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1807548 du 31 décembre 2019 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 7 août 2018 du préfet du Val-de-Marne ;
3°) d'enjoindre au préfet de Val-de-Marne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " passeport talent " ou à titre subsidiaire un titre portant la mention " profession libérale " ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de réexaminer sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté a été signé par une signataire incompétent ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle justifie de sa qualité d'auteur d'oeuvres artistiques et des ressources nécessaires ;
- il est entaché d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article R. 313-16-1 du même code en ce que le fait de disposer d'un niveau de revenu au moins égal au salaire minimum de croissance n'est pas une condition prévue par cet article pour l'étranger créant sa propre entreprise ;
- l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-10 du même code en ce qu'elle justifie de la viabilité économique de son activité économique.
La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas produit en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante chinoise née le 21 janvier 1989, entrée en France le 26 septembre 2013 et titulaire d'un titre de séjour portant la mention " étudiant ", régulièrement renouvelé jusqu'au 16 septembre 2017, a demandé un titre de séjour portant la mention " passeport talent ", sur le fondement du 9° de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 7 août 2018, le préfet du Val-de-Marne a opposé un refus à sa demande de titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent ", d'une durée maximale de quatre ans, est délivrée, dès sa première admission au séjour : (...) / 9° A l'étranger qui exerce la profession d'artiste-interprète, définie à l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, ou qui est auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique mentionnée à l'article L. 112-2 du même code ". Aux termes de l'article R. 313-68 du même code : " Pour l'application du 9° de l'article L. 313-20, l'étranger artiste ou auteur d'oeuvre littéraire ou artistique, qui exerce une activité non salariée, présente en outre à l'appui de sa demande : 1° Tous documents justifiant de sa qualité d'artiste ou d'auteur d'oeuvre littéraire ou artistique au sens du code de la propriété intellectuelle ainsi que de son projet en France ; 2° Tous justificatifs de ressources, issues principalement de son activité, pour la période de séjour envisagée, pour un montant au moins équivalent à 70 % du salaire minimum brut de croissance pour un emploi à temps plein par mois, permettant de justifier de ses moyens d'existence ". L'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que : " Sont considérés notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code : 7° Les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ; / 8° Les oeuvres graphiques et typographiques ; (...) / 10° Les oeuvres des arts appliqués ; (...) / 14° Les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l'habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d'ameublement ".
3. Pour refuser de délivrer un titre de séjour portant la mention " passeport talent " à Mme A... sur le fondement des dispositions précitées pour exercer en tant qu'artiste spécialisée dans les arts graphiques et plastiques, ainsi que dans l'habillement, le préfet du Val-de-Marne s'est fondé sur le seul motif que la requérante ne démontre pas sa qualité d'artiste ou d'auteur d'oeuvre littéraire ou artistique au sens des dispositions précitées.
4. Il ressort cependant des pièces du dossier que Mme A..., titulaire d'une licence de l'université des Beaux-Arts de Luxun (Chine), a obtenu avec mention en 2015 un bachelor " Designer Créateur de textile et mode " de l'École supérieure d'art François Conte. Elle a par la suite effectué des stages au sein des sociétés SF Fashion et Chantal Tomass, spécialisées dans la création de dessins et imprimés textiles, pour le compte desquelles elle a créé plusieurs de ces modèles dont neuf ont fait l'objet d'une commercialisation. Elle est affiliée depuis le 17 juillet 2017 à la sécurité sociale des artistes en tant qu'artiste graphiste, et a réalisé en cette qualité plusieurs oeuvres d'art graphiques pour le compte d'entreprises et de particuliers entre juillet 2017 et août 2018, réalisations dont elle justifie de la réalité et du paiement effectif pour un total de plus de 8 000 euros. En outre, Mme A... produit un contrat de collaboration conclu avec la SARL Vetex, sise à Savigny-sur-Orge, dans le cadre duquel la requérante s'est vue confier des missions de définition de couleurs, de choix de tissus imprimés et décoratifs constitués de motifs originaux et de choix d'accessoires de mode, pour les collections consécutives de prêt à porter féminin Automne/Hiver 2018/2019, Printemps/Été 2019 et Automne/Hiver 2020. Ce contrat, qui prévoit une rémunération de près de 10 000 euros et qui a donné lieu à un paiement effectif des sommes en question, porte donc sur des missions relatives aux créations saisonnières de l'habillement. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, Mme A... est fondée à soutenir que le préfet a commis une erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées du 9° de l'article de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et à demander pour ce motif l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, l'annulation des autres décisions contenues dans l'arrêté attaqué.
5. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Val-de-Marne du 7 août 2018.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
6. Compte tenu du motif d'annulation retenu au point 4, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de réexaminer la demande de titre de séjour de Mme A... portant la mention " passeport talent " prévu au 3° de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme A... au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1807548 du 31 décembre 2019 du Tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 7 août 2018 du préfet du Val-de-Marne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Val-de-Marne de réexaminer la demande de titre de séjour de Mme A... portant la mention " passeport talent " prévu au 3° de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au préfet du Val-de-Marne et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme B..., président assesseur,
- M. Aggiouri, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2021.
Le rapporteur,
P. B...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00543