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29/04/2021 | FRANCE | N°20PA04168

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 29 avril 2021, 20PA04168


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pierre Fabre Médicament a demandé au tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision implicite née le 27 juin 2018 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a rejeté sa demande d'abrogation ou, à défaut, de suspension, de la décision du 17 juin 2010 portant autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament Prodinan 160 mg, gélule ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'ANSM d

'abroger cette décision d'autorisation de mise sur le marché ou, à tout le moins, de la suspendre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pierre Fabre Médicament a demandé au tribunal administratif de Paris :

1°) d'annuler la décision implicite née le 27 juin 2018 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a rejeté sa demande d'abrogation ou, à défaut, de suspension, de la décision du 17 juin 2010 portant autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament Prodinan 160 mg, gélule ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'ANSM d'abroger cette décision d'autorisation de mise sur le marché ou, à tout le moins, de la suspendre le temps que le laboratoire Therabel Lucien Pharma établisse l'usage médical bien établi dont il se prévaut sur la base d'une bibliographie adéquate et conforme à la monographie européenne, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1815279/6-3 du 22 octobre 2020, le tribunal administratif de Paris a :

- annulé la décision implicite de rejet née le 27 juin 2018 par laquelle le directeur général de l'ANSM a rejeté la demande d'abrogation ou, à défaut, de suspension, de la décision en date du 17 juin 2010 portant autorisation de mise sur le marché du médicament Prodinan 160 mg, gélule ;

- enjoint au directeur général de l'ANSM d'abroger, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, l'autorisation de mise sur le marché du médicament Prodinan 160 mg, gélule du 17 juin 2010 délivrée au laboratoire Therabel Lucien Pharma, le temps que celui-ci établisse l'usage médical bien établi du palmier de Floride obtenu par un solvant d'extraction à base de dioxyde de carbone supercritique, sur la base de la procédure prévue à l'article R. 5121-25 du code la santé publique ;

- mis à la charge de l'ANSM le versement à la société Pierre Fabre Médicament d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Ce jugement a été rectifié par une ordonnance du 19 novembre 2020.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 décembre 2020 et 19 mars 2021, la société Therabel Lucien Pharma, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1815279/6-3 du 22 octobre 2020 du tribunal administratif de Paris, rectifié par l'ordonnance du 19 novembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Pierre Fabre Médicament devant le tribunal administratif de Paris ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :

- la notion " d'usage médical bien établi des substances actives du médicament " telle qu'elle résulte de l'article 10 bis de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain doit-elle être interprétée comme imposant une similarité des substances actives ou une identité des substances actives et, d'autre part, se définit-elle par rapport aux modalités d'extraction de la substance active ou indépendamment des modalités d'extraction de cette dernière '

4°) de mettre à la charge de la société Pierre Fabre Médicament le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de rejeter les conclusions présentées par la société Pierre Fabre Médicament sur le fondement de ces mêmes dispositions.

Elle soutient que :

- la décision n° 419269 rendue le 31 décembre 2019 par le Conseil d'État n'est pas transposable au litige, dès lors que l'affaire en cause concernait les conditions d'examen de la légalité d'une AMM, qui diffèrent de celles d'une décision refusant de suspendre ou d'abroger une AMM ;

- la légalité de l'AMM de la spécialité Prodinan est acquise, dès lors qu'elle lui a été octroyée le 17 juin 2010 et n'a fait l'objet d'aucun recours ; dans ces conditions, seule la caractérisation d'un risque pour la santé publique au sens de l'article L. 5121-9 du code de la santé publique pouvait justifier d'enjoindre à l'ANSM d'abroger l'AMM de la spécialité Prodinan ; or, un tel risque n'est pas démontré dès lors que, d'une part, l'AMM de la spécialité Prodinan, 160 mg, gélule a été octroyée sur la base de données exactes et, d'autre part, la parfaite sécurité de la spécialité Prodinan est établie ;

- dans sa décision du 31 décembre 2019, le Conseil d'État a fait une interprétation erronée de l'article 10 bis de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 sur la définition de la substance active d'un médicament à base de plantes ; cet article n'implique nullement que les substances en cause soient identiques mais exige seulement qu'elles soient d'un usage médical bien établi ;

- de plus, il ne ressort pas des dispositions applicables du code de la santé publique que les modalités d'extraction doivent définir une substance active ;

- subsidiairement, les conditions du renvoi d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne sont réunies ;

- les conclusions de l'étude versée au dossier par la société Pierre Fabre Médicament ne sont pas objectives car cette étude a été menée par des professionnels de santé et une institution qui ont des liens d'intérêts avec la société Pierre Fabre Médicament, de sorte que cette étude doit être écartée des débats ; en tout état de cause, elle ne remet pas en cause les conclusions de l'ANSM quant à la similarité entre les spécialités Prodinan et Permixon ;

- la société Pierre Fabre Médicament ayant initié le contentieux dans une démarche monopolistique, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Par un mémoire, enregistré le 21 janvier 2021, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), représentée par la SCP Boutet-Hourdeaux, demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1815279/6-3 du 22 octobre 2020 du tribunal administratif de Paris, rectifié par l'ordonnance du 19 novembre 2020.

Elle soutient que :

- le tribunal a méconnu son office en ce qu'il a substitué son appréciation à celle de l'administration ;

- il ne résulte pas des dispositions de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique et de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain qu'une substance active doit être définie au regard de son solvant d'extraction ; la différence de solvants d'extraction ne saurait impliquer ipso facto l'existence d'une nouvelle substance active alors que cette différence n'exerce aucune action propre sur l'organisme humain ; que le processus d'extraction fasse intervenir le CO2 supercritique ou l'hexane, la substance active qui en résulte reste identique, à savoir de l'extrait lipido-stéroïdique de fruit de Serenoa Repens ;

- aucune des hypothèses prévues par les dispositions des articles L. 5121-9 et R. 5121-47 du code de la santé publique n'étant vérifiées, l'ANSM n'avait pas à donner une suite favorable à la demande de la société Pierre Fabre Médicament.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2021, la société Pierre Fabre Médicament, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que les sommes de 5 000 euros et de 3 000 euros soient mises à la charge respectivement de la société Therabel Lucien Pharma et de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ;

- la directive 2004/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant, en ce qui concerne les médicaments traditionnels à base de plantes, la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ;

- le règlement n° 2008/1234/2008 de la Commission du 24 novembre 2008 concernant l'examen des modifications des termes d'une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humains et de médicaments vétérinaires ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

- les observations de Me C..., substituant Me A..., avocat de la société Therabel Lucien Pharma et de Me D..., avocat de la société Pierre Fabre Médicament.

Considérant ce qui suit :

1. La société Therabel Lucien Pharma relève appel du jugement du 22 octobre 2020, rectifié par une ordonnance du 19 novembre 2020, par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision implicite de rejet née le 27 juin 2018 du directeur général de l'ANSM rejetant la demande de la société Pierre Fabre Médicament tendant à l'abrogation ou, à défaut, à la suspension, de la décision en date du 17 juin 2010 portant autorisation de mise sur le marché du médicament Prodinan 160 mg, gélule, et, d'autre part, enjoint au directeur général de l'ANSM d'abroger, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, l'autorisation de mise sur le marché du médicament Prodinan 160 mg, gélule du 17 juin 2010 délivrée au laboratoire Therabel Lucien Pharma, le temps que celui-ci établisse l'usage médical bien établi du palmier de Floride obtenu par un solvant d'extraction à base de dioxyde de carbone supercritique, sur la base de la procédure prévue à l'article R. 5121-25 du code la santé publique.

Sur le cadre juridique de la délivrance et du retrait d'une autorisation de mise sur le marché :

2. D'une part, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, pris pour la transposition des articles 8, 10 et 10 bis de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dispose que : " Toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (...). / Le demandeur de l'autorisation peut être dispensé de produire certaines données et études dans des conditions fixées par voie réglementaire ". Parmi les documents qui doivent, en application de l'article R. 5121-25 du même code, être fournis à l'appui d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, figurent " (...) 2° Les résultats des essais précliniques et des essais cliniques (...) ". Toutefois, l'article R. 5121-26 du même code prévoit que : " Par dérogation au 2° de l'article R. 5121-25 (...) / 1° Lorsque le demandeur démontre, par référence à une documentation bibliographique appropriée, que la demande porte sur une spécialité dont la ou les substances actives sont d'un usage médical bien établi depuis au moins dix ans en France, dans la Communauté européenne ou dans l'Espace économique européen et présentent une efficacité reconnue ainsi qu'un niveau acceptable de sécurité, le dossier fourni à l'appui de la demande comporte la documentation bibliographique appropriée (...) ".

3. L'annexe de l'arrêté du 23 avril 2004 fixant les normes et protocoles applicables aux essais analytiques, toxicologiques et pharmacologiques ainsi qu'à la documentation clinique auxquels sont soumis les médicaments ou produits mentionnés à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, pris pour la transposition de l'annexe I à la directive 2001/83/CE, précise, dans ses principes généraux liminaires, que : " (4) Lorsqu'ils préparent le dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché, les demandeurs tiennent aussi compte des lignes directrices et des notes explicatives scientifiques relatives à la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments à usage humain adoptées par le Comité des spécialités pharmaceutiques relevant de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments et publiées par cette dernière, ainsi que des autres lignes directrices communautaires pharmaceutiques publiées par la Commission des Communautés européennes dans les différents volumes de La Réglementation des médicaments dans la Communauté européenne (...) ". Au sein de sa partie II relative aux exigences spécifiques pour certains dossiers d'autorisation de mise sur le marché, dans le 1 consacré aux médicaments dont la ou les substances actives ont un " usage médical bien établi ", cette annexe précise que : " Les règles spécifiques suivantes s'appliquent pour démontrer l'usage médical bien établi : / (...) d) Les résumés détaillés non cliniques ou cliniques doivent expliquer la pertinence de toutes données soumises qui concernent un produit différent de celui qui sera commercialisé. Ils doivent juger si le produit étudié peut être considéré comme similaire à celui faisant l'objet de la demande d'autorisation de mise sur le marché, en dépit des différences qui existent (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions du code de la santé publique et de l'arrêté du 23 avril 2004 que la demande d'autorisation de mise sur le marché d'un médicament dont la ou les substances actives sont d'un usage médical bien établi et présentent une efficacité reconnue ainsi qu'un niveau acceptable de sécurité relève de la procédure allégée décrite à l'article R. 5121-26 du code de la santé publique. Le demandeur est ainsi dispensé de la fourniture, à l'appui de la demande, des résultats d'essais précliniques et cliniques, dès lors qu'il produit la documentation bibliographique appropriée. Cette documentation, destinée à démontrer que les conditions d'usage médical, d'efficacité et de sécurité de la ou des substances actives sont remplies, peut concerner un produit différent de celui qui sera commercialisé, sous réserve que soit expliquée la pertinence des données soumises, eu égard à la similarité des produits.

5. Le cas échéant, un médicament dont l'autorisation de mise sur le marché a été délivrée sur le fondement de l'article R. 5121-26 du code de la santé publique peut être regardé comme une spécialité de référence au sens de l'article R. 5121-28 du même code, qui permet également que le dossier joint à la demande d'autorisation de mise sur le marché soit constitué dans des conditions qui dérogent à l'exigence, prévue au 2° de l'article R. 5121-25 de ce code, de fournir les résultats des essais précliniques et des essais cliniques. Une telle demande peut porter, en particulier, soit sur une spécialité générique, soit sur une spécialité comportant certaines différences, relatives notamment à la substance active, de sorte qu'elle ne répond pas à la définition de la spécialité générique, le dossier fourni à l'appui de la demande devant alors comporter les seuls résultats des essais précliniques et cliniques appropriés déterminés en fonction de ces différences.

6. En revanche, ces dispositions ne permettent pas qu'une autorisation de mise sur le marché soit délivrée sur le fondement de l'article R. 5121-26 du code de la santé publique, au bénéfice de la procédure allégée qu'il prévoit, au motif qu'une substance active serait similaire à une substance active ayant un usage médical bien établi.

7. D'autre part, l'article L. 5121-9 du code de la santé publique dispose que : " (...) L'autorisation prévue à l'article L. 5121-8 est suspendue, retirée ou modifiée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat, et notamment pour l'un des motifs suivants: 1° Le médicament est nocif ; 2° Le médicament ne permet pas d'obtenir de résultats thérapeutiques ; 3° Le rapport entre les bénéfices et les risques n'est pas favorable ; 4° La spécialité n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée ; 5° Le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché ne respecte pas les conditions prévues au même article L. 5121-8 ou les obligations qui lui sont imposées en application des articles L. 5121-8-1 et L. 5121-24. (...) ". Aux termes de l'article R. 5121- 47 du même code : " Le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut, par décision motivée indiquant les voies et délais de recours, modifier d'office, suspendre, pour une période ne pouvant pas excéder un an, ou retirer une autorisation de mise sur le marché. (...). L'autorisation de mise sur le marché est également suspendue ou retirée par le directeur général de l'agence : 1° Lorsqu'il apparaît que les renseignements fournis à l'occasion de la demande d'autorisation de mise sur le marché sont erronés ou n'ont pas été modifiés conformément aux articles R. 5121-37 et R. 5121-37-1, que les conditions prévues à la présente section ne sont pas ou ne sont plus remplies ou que les contrôles n'ont pas été effectués ; (...) ". Aux termes de l'article R. 5121-37-1 du même code : " Après la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché, le titulaire (...) communique à l'agence toute donnée nouvelle qui pourrait entraîner une modification du dossier d'autorisation de mise sur le marché, ainsi que toute interdiction ou restriction décidée par l'autorité compétente de tout pays dans lequel le médicament est mis sur le marché. Le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché veille à ce que les informations sur le médicament ou le produit soient mises à jour d'après les connaissances scientifiques actuelles, y compris les conclusions des évaluations et les recommandations rendues publiques par l'intermédiaire du portail Web européen sur les médicaments, institué par l'article 26 du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004. (...) ".

Sur le bien-fondé du refus implicite opposé par l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à la demande de la société Pierre Fabre Médicament tendant à l'abrogation de l'autorisation de mise sur le marché délivrée le 17 juin 2010 à la société Therabel Lucien Pharma :

8. Par une décision du 17 juin 2010, le directeur général de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, a octroyé au médicament Prodinan 160 mg, gélule, du laboratoire Therabel Lucien Pharma, l'autorisation de mise sur le marché prévue à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique. Ce médicament, commercialisé depuis le 23 mai 2012, est composé d'extrait de fruits du palmier de Floride (Serenoa repens) obtenu par un solvant d'extraction à base de dioxyde de carbone (CO2) supercritique.

9. Par un courrier en date du 23 avril 2018, la société Pierre Fabre Médicament a sollicité du directeur général de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé l'abrogation, ou à défaut la suspension, de la décision autorisant la mise sur le marché du médicament Prodinan 160 mg, gélule, obtenue à l'issue de la procédure allégée prévue par l'article R. 5121-26 du code de la santé publique sur la base d'une documentation bibliographique concernant les produits à base de fruits du palmier de Floride obtenu par un procédé d'extraction à base d'hexane au motif que la monographie européenne dédiée au Serenoa repens élaborée le 24 novembre 2015 exclut toute assimilation entre l'extrait hexanique de Serenoa repens et l'extrait à base de dioxyde de carbone supercritique et que, dès lors, la spécialité Prodinan 160 mg, gélule, (extrait CO2 supercritique) du laboratoire Therabel Lucien Pharma et la spécialité Permixon, 160 mg, gélule (extrait hexanique) du laboratoire Pierre Fabre Médicament sont des substances actives distinctes dont seule la seconde a été reconnue comme étant " d'un usage médical bien établi ".

10. Selon la société Pierre Fabre Médicament, la parution de cette monographie du

24 novembre 2015 démontrerait que le dossier qui avait été présenté par la société Therabel Lucien Pharma, pour obtenir l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Prodinan 160 mg, gélule, est erroné au sens de l'article R. 5121- 47 du code de la santé publique. La société Pierre Fabre Médicament en déduit qu'en application de l'article R. 5121-37-1 de ce code la parution de cette monographie devrait entraîner une modification du dossier d'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Prodinan 160 mg de sorte que les conditions de maintien de cette autorisation ne seraient plus remplies tant que la société Therabel Lucien Pharma n'aura pas complété le dossier en fournissant les éléments démontrant l'usage médical bien établi du palmier de Floride obtenu par un solvant d'extraction à base de dioxyde de carbone supercritique.

11. Le directeur général de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a implicitement rejeté cette demande d'abrogation ou de suspension qui lui était présentée par la société Pierre Fabre Médicament. Par le jugement en litige le tribunal administratif de Paris, estimant que la demande présentée par la société Pierre Fabre Médicament était justifiée, a, ainsi qu'il a été dit au point 1, enjoint au directeur général de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'abroger, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, l'autorisation de mise sur le marché du médicament Prodinan 160 mg, gélule du 17 juin 2010 délivrée au laboratoire Therabel Lucien Pharma, le temps que celui-ci établisse l'usage médical bien établi du palmier de Floride obtenu par un solvant d'extraction à base de dioxyde de carbone supercritique, sur la base de la procédure prévue à l'article R. 5121-25 du code la santé publique.

12. Il est vrai, il résulte des points 2 à 6 du présent arrêt que le directeur général de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, délivrer à la société Therabel Lucien Pharma l'autorisation de mise sur le marché du médicament Prodinan 160 mg, gélule, (extrait CO2 supercritique) sur le fondement de l'article R. 5121-26 du code de la santé publique, en prenant en considération une documentation bibliographique relative aux médicaments à base d'extrait hexanique du fruit de palmier de Floride, substance active reconnue comme étant d'un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans l'Union européenne. Il s'ensuit que la décision du 17 juin 2010 du directeur général de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, créatrice de droits pour la société Therabel Lucien Pharma, est illégale.

13. Cependant, d'une part, si l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a commis une erreur de droit, en retenant un critère de similarité au lieu d'un critère d'identité des substances actives lors de la mise en oeuvre de la procédure d'autorisation de mise sur le marché du Prodinan 160 mg, gélule, pour autant il ne ressort pas des pièces du dossier que les renseignements mentionnés dans le dossier d'autorisation de la société Therabel Lucien Pharma tirés de ce que la substance active à base d'extrait du fruit de palmier de Floride obtenu par le dioxyde de carbone supercritique est similaire à la substance active à base d'extrait hexanique du fruit de palmier de Floride, reconnue comme étant d'un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans l'Union européenne auraient été erronés.

14. En particulier, la société Pierre Fabre Médicament n'établit pas, ni même n'allègue, que ce dossier aurait fondé la demande d'autorisation du Prodinan 160 mg, gélule en alléguant d'une prétendue identité entre les substances actives de la spécialité Prodinan 160 mg, gélule, (extrait CO2 supercritique) et la spécialité Permixon, 160 mg, gélule (extrait hexanique). Et si la société Pierre Fabre Médicament conteste le caractère similaire de ces substances actives en se référant notamment à l'article Comparison of the Phytochemical Composition of Serenoa repens Extracts by a Multiplexed Metabolomic Approach publié dans la revue Molécules en 2019, cette étude, en constatant notamment que " les extraits CO2-SC, hexanique et éthanolique ne sont pas chimiquement équivalents et probablement pas pharmacologiquement équivalents " et en tirant les conclusions selon lesquelles " des indices suggèrent des différences significatives dans la composition des médicaments à base de plante en fonction du type de procédure d'extraction effectuée. Ces différences peuvent éventuellement avoir un impact sur les résultats cliniques. ", ne permet pas de remettre en cause le caractère similaire de la substance active à base d'extrait du fruit de palmier de Floride obtenu par le dioxyde de carbone supercritique avec celle à base d'extrait hexanique du fruit de palmier de Floride, qui a été retenu par l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sur la base d'un rapport d'expertise du

19 octobre 2009 et confirmé par le rapport de Mme B... d'avril 2019.

15. Il suit de là que les conditions fixées au 1° de l'article R. 5121- 47 du code de la santé publique, qui permettent au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de suspendre ou de retirer une autorisation de mise sur le marché, ne sont pas satisfaites. Pour les mêmes motifs, et contrairement à ce que fait valoir la société Pierre Fabre Médicament, la société Therabel Lucien Pharma n'était pas tenue, en application de l'article R. 5121-37-1 de ce code, de modifier le dossier d'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Prodinan 160 mg.

16. D'autre part, la société Pierre Fabre Médicament n'apporte aucune argumentation étayée ni aucun élément qui tendrait à établir que les autres conditions fixées par les dispositions des articles L. 5121-9 et R. 5121-47 du code de la santé publique, citées au point 7, qui permettent à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de suspendre ou de retirer une autorisation de mise sur le marché préalablement délivrée, seraient satisfaites.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Therabel Lucien Pharma et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sont fondées à soutenir que la demande par laquelle la société Pierre Fabre Médicament a demandé à l'agence d'abroger l'autorisation de mise sur le marché délivrée le 17 juin 2010 à la société Therabel Lucien Pharma n'était pas fondée et à demander, pour ce motif, l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé le refus implicite de l'agence de faire droit à cette demande, et le rejet de la demande présentée par la société Pierre Fabre Médicament à ce tribunal.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Therabel Lucien Pharma et de l'Etat, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la société Pierre Fabre Médicament demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Pierre Fabre Médicament une somme de 2 000 euros à verser à la société Therabel Lucien Pharma sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1815279/6-3 du 22 octobre 2020 du tribunal administratif de Paris, rectifié par l'ordonnance du 19 novembre 2020, est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Pierre Fabre Médicament devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : La société Pierre Fabre Médicament versera à la société Therabel Lucien Pharma la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Therabel Lucien Pharma, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la société Pierre Fabre Médicament.

Délibéré après l'audience du 15 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme E..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2021.

La présidente de la 8ème chambre,

H. VINOT La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

9

N° 20PA04168


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA04168
Date de la décision : 29/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-04-01-01 Santé publique. Pharmacie. Produits pharmaceutiques. Autorisations de mise sur le marché.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : LMT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-04-29;20pa04168 ?
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