Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... E... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2012.
Par un jugement n° 1819343/1-1 du 12 février 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 7 avril, 15 septembre et 6 novembre 2020, M. et Mme E..., représentés par Me A... C..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris du 12 février 2020 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de surseoir à statuer.
Ils soutiennent que :
- la redevance versée à la société Sisig par la société Puressentiel Benelux (alors dénommée Aroma Thera) ne constitue pas la rémunération de services prétendument rendus par Mme E... mais la contrepartie du droit d'exploiter les marques et brevets Puressentiel appartenant à la société Sisig ;
- l'administration ne pouvait écarter le contrat de cession des marques et brevets Puressentiel intervenu le 5 juin 2008 ;
- Mme E... ne contrôlait pas la société Sisig, et n'exerçait pas l'activité occulte de gestion de portefeuille de marques et brevets ;
- Mme E... n'a jamais exercé à titre habituel une activité de gestion d'un portefeuille de marques et de brevets comme l'affirme l'administration mais a simplement respecté les obligations qui étaient les siennes en tant qu'administratrice déléguée de la société de droit belge Puressentiel Benelux titulaire de la licence d'exploitation des marques et brevets appartenant à la société de droit britannique Sisig ;
- les conditions d'application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts n'étaient pas réunies et le rehaussement au titre de l'année 2010 ne pouvait pas valablement être réintégré dans leur déclaration d'imputation d'une créance fiscale le 14 mai 2012 ;
- les redevances de marques ne rémunèrent pas une prestation de services ;
- ils ne peuvent faire l'objet, en l'absence de revenus à déclarer à ce titre, de majorations pour insuffisance de paiement ;
- l'administration n'établit pas l'existence d'un manquement délibéré ;
- la procédure pénale ne peut leur être opposée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 27 juillet, 25 août, 16 octobre et
18 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme E... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 9 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au
24 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. et Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme E... ont bénéficié, au titre de l'année 2012, de l'imputation d'une créance fiscale née du droit à restitution des impositions directes institué par les dispositions de l'article 1649-0 A du code général des impôts. Tirant les conséquences du rehaussement de la base d'imposition des requérants au titre de l'année 2010, pris en compte pour la détermination de ce droit à restitution, l'administration a, dans le cadre d'un contrôle sur pièces, rectifié le montant de cette créance et mis en recouvrement, pour un montant total de 222 374 euros, l'impôt sur le revenu correspondant, assorti de l'intérêt de retard et des majorations prévues à l'article 1729 du code général des impôts. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 12 février 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Pour procéder au rehaussement en litige, l'administration a recalculé le droit à restitution que les requérants tiraient des dispositions de l'article 1649-0 A du code général des impôts, à raison de la réintégration à leurs revenus de l'année 2010, année à prendre en compte pour la détermination de ce droit, des bénéfices non commerciaux réintégrés à leur base d'imposition, sur le fondement des dispositions de l'article 155 A du même code, à l'issue de l'examen de leur situation fiscale personnelle.
3. Aux termes du I de l'article 155 A du code général des impôts : " Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle, et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.
4. L'administration fiscale a relevé que les marques et brevets " Puressentiel " avaient été cédés le 5 juin 2008 à la société Sisig Ltd pour un prix anormalement bas, le prix de cession de 50 000 euros étant nettement inférieur aux redevances versées par la société Puressentiel Bénélux au titre des années suivantes, à savoir 187 245 euros en 2009, 690 826 euros 2010 et 796 158 euros en 2011, soit dans les 3 années suivant la cession. Par ailleurs, si la détention par les époux E... du capital de la société Sisig Ltd n'est pas établie par l'administration, elle a relevé que l'unique actionnaire de la société Sisig Ltd était une société située au Libéria, que la société Sisig Ltd était domiciliée à l'adresse d'un cabinet comptable au Royaume-Uni et représentée par des salariés de la société Suisse Safidev, spécialisée dans l'optimisation fiscale et qu'elle n'a, au cours des années en litige, déclaré aucun chiffre d'affaires. La gestion des marques était en outre confiée au cabinet LMC Marché de Candé. Enfin, l'administration a également utilisé des correspondances intervenues au cours des années 2009 à 2011 entre des salariés de la société Puressentiel Bénélux et les représentants de la société Sisig Ltd, recueillies dans le cadre d'une procédure de visite et de saisie domiciliaire diligentée en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Il en ressort que les décisions relatives à la protection des marques et brevets " Puressentiel " étaient prises par Mme E..., qui avait notamment des contacts directs avec le cabinet LMC Marché de Candé, et qui autorisait préalablement le règlement des factures libellées au nom de la société Sisig Ltd. Enfin, les requérants n'apportent aucun élément de nature à établir que la société Sisig Ltd aurait eu une autre activité que la détention des marques et des brevets " Puressentiel ". Il suit de là que l'administration établit que la société Sisig n'avait aucune activité réelle et que Mme E... était la personne réalisant les prestations de gestion du portefeuille de marques et de brevets
" Puressentiel " payées par la SA Puressentiel Bénélux à hauteur de 3 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé par elle et ses distributeurs en France et en Espagne.
5. M. et Mme E... font valoir que les redevances payées par la société Puressentiel Bénélux à la société Sisig, propriétaire des marques et brevets " Puressentiel ", constituent la rémunération du droit d'exploiter commercialement ces marques et brevets et non la contrepartie de prestations de service relatives à la gestion de ces marques et brevets. Toutefois, compte tenu des éléments relevés par l'administration et exposés précédemment, dont il ressort que la société Sisig a été interposée entre la société Puressentiel Bénélux et
Mme E..., les sommes versées par la société Puressentiel Bénélux doivent être regardées comme rémunérant une prestation de services réalisée par Mme E... au sens des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts, en dépit de la cession du 5 juin 2008. En effet, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'administration établit, notamment par la production de correspondances saisies, que les décisions relatives au dépôt et à la protection des marques et des brevets ont été prises par Mme E.... Dès lors, les redevances en cause correspondent, pour l'essentiel, à des prestations réalisées par Mme E..., prestations qui ne sauraient être regardées comme rattachables aux fonctions d'administratrice déléguée de la société de droit belge Puressentiel Bénélux dans le cadre de l'exploitation commerciale, par cette dernière, des marques et brevets en cause conformément au contrat de cession de licence du 6 juin 2008 qui prévoyait que les parties collaboreraient et se concerteraient en matière de dépôt, de surveillance et de protection des marques et des brevets " Puressentiel ". Il résulte également de ce qui a été dit précédemment que la société Sisig ne peut être considérée comme exerçant elle-même, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services. Les conditions d'application des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts étaient par suite réunies et le rehaussement au titre de l'année 2010 pouvait être réintégré dans la déclaration d'imputation d'une créance fiscale déposée par les requérants le 14 mai 2012.
6. L'administration, qui n'a écarté aucun acte comme ne lui étant pas opposable et notamment pas l'acte de cession du 5 juin 2008, s'est placée exclusivement sur le fondement des dispositions de l'article 155 A du code général des impôts, lesquelles sont destinées à faire échec à certaines pratiques visant à soustraire à l'impôt sur le revenu français des rémunérations imposables en France. Le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait écarter le contrat de cession des marques et brevets Puressentiel conclu le 5 juin 2008 ne peut par suite qu'être écarté.
Sur les pénalités :
7. Selon les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ". Compte tenu des constatations de fait rappelées au point 4., l'administration a pu, à bon droit, tenir pour établi que les requérants avaient délibérément minoré leurs revenus de l'année 2010 en vue de majorer la créance qu'ils détenaient sur l'Etat et appliquer en conséquence les pénalités prévues par les dispositions susvisées.
8. En vertu de l'article 1783 sexies du code général des impôts alors en vigueur : " Lorsque le montant total des imputations pratiquées en application du 9 de l'article 1649-0 A excède de plus d'un vingtième le montant du droit à restitution auquel elles se rapportent, le contribuable est redevable d'une majoration égale à 10 % de l'insuffisance de versement constatée ". L'insuffisance de déclaration au titre de l'année 2010 ayant entraîné une majoration de plus du vingtième du montant de droit à restitution, l'administration a pu, à bon droit, assortir de la majoration prévue par les dispositions précitées le montant des droits rappelés.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer, que
M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. D..., premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.
Le rapporteur,
F. D...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01169