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31/03/2021 | FRANCE | N°19PA01924,19PA02215

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 31 mars 2021, 19PA01924,19PA02215


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 avril 2018 par laquelle le gouverneur de la Banque de France a pris à son encontre une sanction de révocation sans préavis ni indemnité, d'enjoindre à la Banque de France de la réintégrer au sein de ses effectifs, de reconstituer sa carrière en lui accordant le grade de chef adjoint de caisse à compter de l'année 2015 et enfin de condamner la Banque de France à lui verser la somme totale de 40 000 euros en réparatio

n des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1807708/5-2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 avril 2018 par laquelle le gouverneur de la Banque de France a pris à son encontre une sanction de révocation sans préavis ni indemnité, d'enjoindre à la Banque de France de la réintégrer au sein de ses effectifs, de reconstituer sa carrière en lui accordant le grade de chef adjoint de caisse à compter de l'année 2015 et enfin de condamner la Banque de France à lui verser la somme totale de 40 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1807708/5-2 du 29 mai 2019 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête et des mémoires enregistrés le 11 juin 2019, le 19 juin 2019, le 18 août 2020 et le 23 octobre 2020 sous le n° 19PA01924 Mme B..., représentée en dernier lieu par Me A..., demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1807708/5-2 du 29 mai 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision de révocation attaquée ;

3°) d'enjoindre à la Banque de France de la réintégrer dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner la Banque de France à lui verser une somme totale de 15 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de la Banque de France le versement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie ;

- son licenciement est entaché de nullité au sens des dispositions de l'article L. 1152-2 du code du travail dès lors qu'il a pour cause la dénonciation de ce harcèlement ;

- la procédure de licenciement est entachée d'irrégularité dès lors que le délai de prescription de l'article L. 1332-4 du code du travail n'a pas été respecté ;

- la décision de révocation attaquée n'est pas motivée en droit ;

- sa révocation irrégulière lui a causé un préjudice moral.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 septembre 2020 la Banque de France, représentée par la SCP Selice-Texidor-D..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision de révocation sont irrecevables, cette décision ne pouvant faire l'objet d'une annulation ;

- les conclusions indemnitaires de la requête sont irrecevables faute de demande préalable et faute d'avoir été présentées aux premiers juges ;

- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 septembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 23 octobre 2020 à 12h.

Un mémoire, présenté pour Mme B..., a été enregistré le 3 mars 2021.

II - Par une requête et des mémoires enregistrés le 10 juillet 2019, le 18 août 2020 et le 23 octobre 2020 sous le n° 19PA02215 Mme B..., représentée en dernier lieu par Me A..., demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1807708/5-2 du 29 mai 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision de révocation attaquée ;

3°) d'enjoindre à la Banque de France de la réintégrer dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner la Banque de France à lui verser une somme totale de 15 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de la Banque de France le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie ;

- son licenciement est entaché de nullité au sens des dispositions de l'article L. 1152-2 du code du travail dès lors qu'il a pour cause la dénonciation de ce harcèlement ;

- la procédure de licenciement est entachée d'irrégularité dès lors que le délai de prescription de l'article L. 1332-4 du code du travail n'a pas été respecté ;

- la décision de révocation attaquée n'est pas motivée en droit.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 septembre 2020 la Banque de France, représentée par la SCP Selice-Texidor-D..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 3 000 euros soit mis à la charge de Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision de révocation sont irrecevables, cette décision ne pouvant faire l'objet d'une annulation ;

- les conclusions indemnitaires de la requête sont irrecevables faute de demande préalable et faute d'avoir été présentées aux premiers juges ;

- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 septembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 23 octobre 2020 à 12h.

Un mémoire, présenté pour Mme B..., a été enregistré le 3 mars 2021.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 15 octobre 2020.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code du travail ;

- la loi n° 93-980 du 4 août 1993 relative au statut de la Banque de France ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,

- les observations de Me E... pour Mme B...,

- et les observations de Me D... pour la Banque de France.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., agent de la Banque de France depuis 1984 et agent de caisse de 1ère classe depuis 2003, exerçait en dernier lieu les fonctions d'assistante au sein de la direction des activités fiduciaires de la Banque de France. Par une décision du 18 avril 2018, le gouverneur de la Banque de France a pris à son encontre une sanction de révocation sans préavis ni indemnité. Par deux requêtes distinctes Mme B... fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, à ce qu'il soit enjoint à la Banque de France de la réintégrer en la promouvant au grade de chef adjoint de caisse et enfin à la condamnation de la Banque de France à lui verser la somme totale de 40 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 19PA01924 et 19PA02215 formées par Mme B... sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, par suite, de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. La Banque de France est, aux termes de l'article L. 142-1 du code monétaire et financier : " (...) une institution dont le capital appartient à l'Etat " et constitue une personne publique chargée par la loi de missions de service public qui n'a cependant pas le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres, au nombre desquelles figure l'application à son personnel des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée.

4. La rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur est soumise à la procédure de licenciement prévue par les articles L. 1232-1 et suivants du code du travail, applicables aux agents de la Banque de France, et n'ouvre droit pour le salarié, dès lors qu'aucun texte n'interdit ni ne restreint la faculté de l'employeur de le licencier, qu'à des réparations de nature indemnitaire. Il en résulte que le juge ne peut annuler un licenciement quand dans les cas où des dispositions le prévoient expressément.

5. A cet égard, aux termes de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, relatif aux nullités du licenciement, figurent parmi les causes d'une telle nullité " (...)2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ; (...) ". L'article L. 1152-2 du même code dispose que : " Aucun salarié (...) ne peut être sanctionné, licencié (...) pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. " et l'article L. 1152-2 de ce même code précise que " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

6. Il résulte de l'instruction que la décision de licenciement en litige a pour fondement deux courriers électroniques envoyés par Mme B... les 13 et 22 novembre 2017 à l'ensemble de la direction de la Banque de France, y compris son gouverneur, dans lesquels elle portait contre sa hiérarchie de graves accusations, dans des termes très virulents et injurieux.

7. Pour soutenir qu'elle a été l'objet d'un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, Mme B... fait valoir que celle-ci aurait entravé de manière répétée sa promotion au grade de chef adjoint de caisse, que son évaluation professionnelle pour l'année 2014 lui attribuerait des faits non établis et comporterait des propos calomnieux, qu'elle aurait été victime d'une mise à l'écart et de pratiques discriminatoires et enfin qu'une mutation lui aurait été imposée en août 2015. A l'appui de ces allégations, Mme B... produit des documents émanant du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui, à plusieurs reprises, a attiré l'attention sur sa situation au sein de l'établissement, relevant notamment des anomalies dans les pratiques managériales de la cheffe de service.

8. Il résulte toutefois de l'instruction qu'après que Mme B... a fait part de ses griefs à sa hiérarchie, en juin 2015, une enquête a été conduite par la personne ressource de la Banque de France, qui a conclu à l'absence de harcèlement moral. Par une lettre du 12 novembre 2015, le directeur des ressources humaines de la Banque de France a suggéré à Mme B..., compte tenu des difficultés rencontrées dans l'emploi qu'elle occupait, un changement de service et lui a proposé un accompagnement par le service de santé au travail, la réalisation d'un bilan de compétences et un accès aux acteurs du service médico-social. Mme B... n'ayant toutefois pas accepté ces propositions et persistant à se plaindre d'une situation de harcèlement, la Banque de France a également diligenté une enquête, réalisée en 2017 par son inspection générale, au cours de laquelle Mme B... a été entendue en entretien du 9 mai 2017. Cette enquête a également conclu à l'absence de harcèlement moral. Par ailleurs, si le CHSCT a relevé un management inadéquat de la souffrance au travail exprimée par Mme B..., il a également relevé que le grief d'agressivité avec ses collègues, adressé à Mme B... dans son évaluation pour l'année 2014 était fondé. Dans ces conditions, le seul fait d'avoir relevé dans une évaluation professionnelle que Mme B... avait un comportement agressif avec ses collègues, et de ne pas l'avoir promue, tout en prenant en considération son signalement d'une situation de souffrance au travail, ne permet pas de tenir pour établi, ni même de présumer que Mme B... aurait fait l'objet d'un harcèlement moral. Dans ces circonstances, Mme B... ne peut être regardée comme ayant été licenciée pour avoir dénoncé ou relaté des faits de harcèlement sur son lieu de travail. Il s'en suit que, comme l'ont relevé les premiers juges, en l'absence de harcèlement moral de nature à entacher de nullité la révocation, assimilée à un licenciement, de Mme B..., ses conclusions à fin d'annulation de la sanction de révocation sont irrecevables et doivent être, sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens tirés de l'illégalité externe de cette décision, rejetées ainsi que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction de réintégration.

Sur les conclusions indemnitaires :

9. Si Mme B... demande en appel comme en première instance la condamnation de la Banque de France à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral que lui aurait causé sa révocation, il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que cette demande, dont le fait générateur est constitué par cette décision de révocation et non par le harcèlement qu'elle invoque, n'a pas fait l'objet d'une décision préalable de la Banque de France, la demande préalable adressée par Mme B... le 2 janvier 2018 ne portant que sur l'indemnisation du préjudice résultant du harcèlement moral invoqué. Mme B... n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que ces conclusions ont été rejetées comme irrecevables faute d'avoir fait l'objet d'une décision préalable.

Sur les frais de justice :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Banque de France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... le versement de la somme que la Banque de France demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de Mme B... sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de la Banque de France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié Mme F... B... et à la Banque de France.

Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., président,

- M. Segretain, premier conseiller,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2021.

Le président-rapporteur,

P. C...L'assesseur le plus ancien,

A. SEGRETAIN

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Nos 19PA01924, 19PA02215


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01924,19PA02215
Date de la décision : 31/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : Mme HAMON
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SCP ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-31;19pa01924.19pa02215 ?
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