La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/03/2021 | FRANCE | N°19PA00902

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 30 mars 2021, 19PA00902


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État et le Centre national de la recherche scientifique à lui verser la somme de 156 440 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis du fait de la délivrance d'informations erronées relatives à ses droits à la retraite.

Par un jugement n° 1810963/5-3 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à verser à Mme D... la somme de 4 000

euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2018 et de la capital...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État et le Centre national de la recherche scientifique à lui verser la somme de 156 440 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis du fait de la délivrance d'informations erronées relatives à ses droits à la retraite.

Par un jugement n° 1810963/5-3 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à verser à Mme D... la somme de 4 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 20 avril 2019 puis à chaque échéance annuelle ultérieure, et a rejeté le surplus des conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 26 février 2019, 23 juillet 2019 et 7 février 2020, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 31 décembre 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes ;

2°) à titre principal, de condamner solidairement l'État et le Centre national de la recherche scientifique à lui verser la somme de 207 247 euros, assortie des intérêts à compter de la date de réception de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'État et de condamner le Centre national de la recherche scientifique à lui verser la somme de 207 247 euros chacun, assortie des intérêts à compter de la date de réception de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'État et du Centre national de la recherche scientifique la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement a irrégulièrement rejeté une partie de ses conclusions indemnitaires comme irrecevables ; dès lors qu'elle avait demandé réparation de préjudices résultant de la délivrance d'informations erronées, et non une revalorisation de sa pension, l'exception de recours parallèle ne pouvait lui être opposée ;

- la responsabilité du Centre national de la recherche scientifique est engagée du fait de la délivrance en 2004 de renseignements erronés et incomplets quant au rachat de ses services auxiliaires ;

- le service des retraites de l'État a commis une faute en lui délivrant, lors de simulations effectuées sur Internet en 2009 et 2014, des informations inexactes sur le nombre de trimestres à partir desquels seraient calculés ses droits à pension ;

- le relevé de situation individuelle du 8 octobre 2013, adressé par le service des retraites de l'État, était également erroné, ce qui l'a amenée à anticiper un montant de pension supérieur à celui auquel elle avait effectivement droit ;

- son préjudice financier doit être évalué à la somme de 187 287 euros, et son préjudice moral à la somme de 20 000 euros ; ils doivent être solidairement réparés par le Centre national de la recherche scientifique et par l'État.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juillet 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) à titre principal, de transmettre la requête au Conseil d'État ;

2°) à titre subsidiaire et par la voie de l'appel incident, de rejeter la requête et d'annuler le jugement du 31 décembre 2018 en tant qu'il a condamné l'État à verser la somme de 4 000 euros à Mme D... ainsi que la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- s'agissant d'un litige en matière de pension, la cour administrative d'appel n'a pas compétence pour connaitre de cette requête, qui doit être transmise au Conseil d'État ;

- les conclusions indemnitaires de la requête sont irrecevables dès lors que le montant réclamé en appel est supérieur à celui demandé en première instance ;

- les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 10 janvier 2020, le Centre national de la recherche scientifique s'associe aux conclusions du ministre de l'action et des comptes publics.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 24 février 2020.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 84-1185 du 27 décembre 1984 ;

- le décret n° 2009-1053 du 26 août 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les observations de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a été recrutée par le Centre national de la recherche scientifique le 22 octobre 1973 en qualité d'agent non titulaire à temps non complet. Elle a été titularisée dans le corps des fonctionnaires du Centre national de la recherche scientifique à compter du 28 décembre 1984. Le 7 septembre 2004, elle a demandé la validation de ses services auxiliaires dans le cadre du régime de retraites de l'État. Elle a ensuite fait valoir ses droits à la retraite au 1er avril 2015. Estimant que la pension qui lui a été versée à compter de cette date ne correspondait pas aux droits acquis du fait de la validation de ses services en qualité d'agent non titulaire, elle a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le directeur du service des retraites de l'État a refusé la révision de sa pension. Par un jugement du 28 novembre 2017 devenu définitif, le tribunal a rejeté sa demande. Mme D... a alors demandé au ministre de l'action et des comptes publics et au Centre national de la recherche scientifique, par courrier du 18 avril 2018, d'indemniser les préjudices qu'elle a subis du fait de la délivrance des informations erronées qui lui ont été fournies sur sa durée de cotisation. Cette demande a été rejetée le 15 juin 2018. Par un jugement du 31 décembre 2018 dont Mme D... relève appel, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à lui verser la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur la compétence de la cour administrative d'appel de Paris :

2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " (...) le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : / 7° Sur les litiges en matière de pensions ; / 8° Sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ".

3. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État et le Centre national de la recherche scientifique à l'indemniser des préjudices subis du fait de la délivrance d'informations erronées, et non de statuer sur l'étendue de ses droits à pension, litige qu'elle avait déjà vainement porté devant ce tribunal. Par suite, la demande de première instance ne relevait pas des cas dans lesquels, en application des dispositions précitées, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'action et des comptes publics, la cour administrative d'appel de Paris est compétente pour statuer sur la requête de Mme D....

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Ainsi qu'il a été dit au point 3, la demande de Mme D... est fondée sur les fautes commises par l'État et le Centre national de la recherche scientifique dans la délivrance d'informations relatives à ses droits à la retraite. Ses conclusions indemnitaires n'ont donc pas le même objet que les conclusions pécuniaires rejetées par le tribunal administratif de Paris le 15 juin 2018 qu'elle avait alors saisi du refus de révision du montant de sa pension. Mme D... est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a fait droit à l'exception de recours parallèle opposée par le ministre, et rejeté comme irrecevables une partie de ses conclusions, et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

5. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes de Mme D....

Sur les conclusions de Mme D... :

6. En premier lieu, Mme D... soutient que le courrier de 2004 par lequel le Centre national de la recherche scientifique l'a informée des nouvelles modalités de validation des services auxiliaires pour les retraites des agents de l'État, définies en application de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, dès lors qu'il pouvait s'en déduire que le rachat de ses services effectués à temps incomplet lui permettrait de justifier du même nombre de trimestres qu'un service à temps complet, l'a induite en erreur. Toutefois, ce courrier s'est borné à présenter le nouveau dispositif réglementaire, s'agissant notamment de la possibilité de demander la validation de tous les services auxiliaires effectués avant sa titularisation, sans limitation liée à la quotité de travail, et la mauvaise compréhension par l'intéressée des informations qu'il contenait n'est pas imputable au Centre national de la recherche scientifique. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que le Centre national de la recherche scientifique aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

7. En deuxième lieu, si les simulations de calcul de pension effectuées par Mme D... sur le site Internet du service des retraites de l'État, le 7 octobre 2009 puis le 12 mai 2014, ne correspondaient pas au nombre de trimestres en définitive retenu au moment de la liquidation de la pension, il résulte de l'instruction que ces simulations, purement indicatives et générées grâce aux informations saisies par l'intéressée, mentionnaient clairement que le service des retraites de l'État n'était pas engagé par le résultat.

8. En dernier lieu, par un courrier du 8 octobre 2013, le service des retraites de l'État a adressé à Mme D... un " relevé de situation individuelle " lui présentant la synthèse de ses " droits à la retraite ", duquel ressortait un nombre de trimestres validés erroné. S'il indiquait certes que les renseignements étaient délivrés " en l'état de la réglementation et des informations détenues ", ainsi que leur caractère indicatif et provisoire, ce document émanait d'un service chargé de l'information des agents par les dispositions de l'article D. 161-2-3 du code de la sécurité sociale, aux termes desquelles : " Le droit à l'information sur la retraite prévue à l'article L. 161-17 s'exerce auprès des organismes et services mentionnés à l'article R. 161-10. Il comporte notamment la délivrance au bénéficiaire : / 1° Sur demande du bénéficiaire ou à l'initiative de l'organisme ou du service, d'un relevé de sa situation individuelle au regard des droits à pension de retraite constitués auprès de chacun des régimes dont il relève ou a relevé et déterminés à la date précisée, pour chaque régime, dans le relevé ; (...) ". Par suite, eu égard à la confiance que Mme D... était fondée à accorder aux informations délivrées par ce service, leur caractère erroné est susceptible d'engager la responsabilité de l'État.

9. Il résulte de l'instruction que Mme D... a procédé au rachat de ses services auxiliaires plusieurs années avant la réception du courrier du 8 octobre 2013. Elle ne saurait par suite réclamer le remboursement de la somme de 6 168 euros versée à cette occasion. Par ailleurs, à la même date, la requérante, dont les services auxiliaires avaient été validés, ne pouvait plus prétendre à leur prise en compte par le régime général. Elle ne peut donc demander à être indemnisée de la différence entre la somme, à la supposer établie de manière certaine, qu'elle aurait perçue en l'absence de validation desdits services et la somme effectivement perçue à partir du 1er avril 2015. En revanche, l'erreur commise par le service des retraites de l'État s'agissant des informations fournies ne lui a pas permis de se préparer à une baisse de ses revenus en définitive plus importante que ce qu'elle envisageait, ni de solliciter une éventuelle prolongation d'activité au-delà de la limite d'âge, quand bien même cette possibilité resterait conditionnée par l'intérêt du service. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral qu'elle a subi de ce fait en condamnant l'État à lui verser la somme de 4 000 euros.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'État doit être condamné à verser à Mme D... la somme de 4 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 20 avril 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1810963/5-3 du 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : L'État versera à Mme D... la somme de 4 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 20 avril 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : L'État versera à Mme D... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., au ministre de l'action et des comptes publics et au Centre national de la recherche scientifique.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.

Le rapporteur,

G. B...Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIER

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00902


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00902
Date de la décision : 30/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique. Renseignements.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-30;19pa00902 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award