Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 1 847 390 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de fautes commises par les services fiscaux dans le cadre d'opérations d'établissement et de recouvrement d'impositions.
Par un jugement n° 1803018 du 12 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 août 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1803018 du 12 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 1 847 390 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A... soutient que :
- l'administration fiscale a commis une faute en mettant à la charge de la société La Locomotive des redressements anormalement élevés ;
- le lien de causalité avec les préjudices est établi ;
- il est fondé à obtenir la réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que :
- la créance est frappée de prescription quadriennale ;
- aucune faute n'a été commise ;
- le lien de causalité n'est pas établi ;
- les préjudices ne sont pas justifiés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... ;
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public ;
- et les observations de Me B..., pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. La société La Locomotive, qui avait pour objet l'exploitation d'une discothèque et le développement d'activités connexes et dont M. C... A... était associé, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle ont été mis en recouvrement le 11 mars 1999 et le 31 mai 1999 des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 1993, 1994 et 1995, une contribution de 10 % à cet impôt au titre de l'année 1995, un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1995 et une retenue à la source au titre des années 1993 à 1995, pour un montant total, en droits et pénalités, de 5 658 025 euros, hors frais de recouvrement. Ces impositions ont été contestées et, après avoir obtenu intégralement gain de cause devant la Cour par un arrêt du 29 juin 2010, constatant également un non-lieu s'agissant des intérêts de retard, annulé par le Conseil d'État le 19 septembre 2011, la société La Locomotive a obtenu la réduction de ces impositions, en droits et pénalités, et la décharge de la retenue à la source par un arrêt de la Cour du 13 décembre 2012, son pourvoi en cassation n'ayant pas été admis par une décision du 24 mars 2014. A l'issue de la procédure juridictionnelle, compte tenu par ailleurs d'un dégrèvement d'office prononcé au cours de la première instance devant la Cour, la société La Locomotive est ainsi restée redevable de l'impôt sur les sociétés, de la contribution additionnelle et de la taxe sur la valeur ajoutée précités à hauteur, en droits et majorations, de 2 304 601 euros.
2. La société La Locomotive a également fait l'objet d'un contrôle sur pièces au titre de l'année 1996 et d'une vérification de comptabilité au titre des années 1997 et 1998, à l'issue desquels ont été mis en recouvrement le 26 avril 2002 et le 31 mai 2002 des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution de 10 % à cet impôt au titre des exercices 1996, 1997 et 1998, un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1998 et une retenue à la source au titre de l'année 1998, pour un montant total, en droits et pénalités, de 1 260 937 euros, hors frais de recouvrement. Ces impositions ont été contestées et, après deux arrêts de la Cour du 29 juin 2010, prononçant également un non-lieu partiel, et du 13 décembre 2012 partiellement cassés par le Conseil d'État, une première fois par une décision du 19 septembre 2011, le surplus des conclusions de la requête étant définitivement rejeté, faisant suite à un jugement du tribunal administratif de Paris du 29 janvier 2008 prononçant la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée et d'une partie des majorations après non-lieu partiel, le Conseil d'État, par une décision du 24 mars 2014, a réduit les impositions précitées. A l'issue de la procédure juridictionnelle, la société La Locomotive est ainsi restée redevable de l'impôt sur les sociétés, de la contribution additionnelle et de la retenue à la source à hauteur, en droits et majorations, de 752 192 euros.
3. Par un courrier du 7 octobre 2017, M. A... a sollicité du ministre de l'action et des comptes publics l'indemnisation du préjudice matériel et du préjudice moral qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises par l'administration fiscale, qui auraient entraîné le redressement judiciaire, prononcé par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 avril 2008, puis la liquidation judiciaire de la société La Locomotive, prononcée par un jugement du même tribunal du 28 janvier 2010, à la suite d'un plan de cession arrêté le 22 octobre 2009. Il fait appel du jugement du 12 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 1 847 390 euros.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
5. M. A... soutient que l'administration fiscale a procédé à des rectifications d'un montant anormalement élevé et qu'en dépit des réductions prononcées à l'issue des procédures juridictionnelles mentionnées aux points 1 et 2, le recouvrement forcé des impositions mal fondées a entraîné le placement en redressement judiciaire de la société La Locomotive, sa cession et sa liquidation, ces réductions étant intervenues postérieurement à la liquidation. Il demande en réparation des préjudices qu'il estime ainsi avoir subis les sommes de 1 536 390 euros au titre de la perte de la société, de 261 000 euros au titre de la perte de revenus et de 50 000 euros au titre du préjudice moral.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 1 et 2 que, au titre de l'ensemble des périodes contrôlées et à l'issue des procédures juridictionnelles engagées, a été laissée à la charge de la société La Locomotive la somme totale de 3 056 793 euros en droits et majorations d'impositions légalement dues, alors que le montant initial total des impositions en droits et majorations mises à sa charge s'élevait à 6 918 962 euros, soit un différentiel de 3 862 169 euros.
7. Il résulte du jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 avril 2008 statuant sur la déclaration de cessation des paiements déposée par la société La Locomotive le 8 avril 2008, que le passif de cette société s'élevait alors à la somme de 959 608 euros, dont 770 196 euros exigibles, n'incluant ainsi pas le montant des impositions mises en recouvrement au titre des périodes contrôlées, et l'actif à la somme de 661 564 euros, dont 70 000 euros disponibles. Le tribunal a ainsi ouvert une procédure de redressement judiciaire en jugeant que la société était manifestement dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la cessation de paiement de la société La Locomotive résulterait d'une quelconque manière de la partie des impositions reconnue indue au terme des procédures juridictionnelles précitées, pas plus que d'actes de recouvrement forcé relatifs à ces impositions indues, au demeurant non précisément identifiés par M. A....
8. Par ailleurs, il résulte du jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 octobre 2009 arrêtant le plan de cession de la société La Locomotive que le premier semestre 2009 a révélé une perte de 331 000 euros pour un chiffre d'affaire de 1 300 000 euros et que la trésorerie est épuisée, que le passif social et fiscal créé depuis juillet 2009 s'élève à 84 420 euros, que la société s'avère dans l'incapacité d'équilibrer son compte d'exploitation et ne pourrait faire face au remboursement de son passif, même dans l'hypothèse où celui-ci serait inférieur à celui contesté résultant des mises en recouvrement et que le plan de continuation proposé par les dirigeants est irréaliste, dès lors qu'il occulte tout passif fiscal. Le tribunal a conclu que, compte tenu de la dégradation de la situation, notamment de la trésorerie de la société, du caractère aléatoire du remboursement et des résultats d'exploitation, de l'absence de budget prévisionnel crédible, de l'existence d'un passif de la période d'observation non couvert, des mauvais résultats de la période d'observation et de l'insuffisance des fonds propres, le projet de plan de redressement par voie de continuation n'a plus aucune chance d'être réalisé. Rappelant la cession de la société et l'impossibilité d'un redressement, le tribunal de commerce de Paris a par la suite prononcé la liquidation judiciaire de la société La Locomotive par un jugement du 28 janvier 2010. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il ne résulte pas de l'instruction que l'excédent d'impositions mis indûment en recouvrement ou des actes de recouvrement forcé relatifs à ces impositions indues, au demeurant pas plus précisément identifiés que précédemment, seraient au moins partiellement à l'origine du rejet du plan de continuation présenté par les dirigeants de la société La Locomotive, de la cession de cette société et de sa liquidation judiciaire, M. A... n'apportant aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles le passif de la société aurait pu être absorbé, évitant ainsi la cessation de paiement et la liquidation judiciaire, en ne retenant que les impositions légalement fondées à l'issue des procédures juridictionnelles.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que, en l'absence d'éléments de nature à faire apparaître une contribution de la partie des impositions finalement indues, que ce soit dans leur établissement ou leur recouvrement, à la cessation de paiement et à la liquidation judiciaire de la société La Locomotive, le lien de causalité entre la faute qu'aurait commise l'administration fiscale à l'égard de la société en surévaluant le rehaussement de ses bases d'impositions au titre des années 1993 à 1998 et la procédure collective menée à l'encontre de la société La Locomotive n'est pas établi. M. A... n'est par suite pas fondé à demander l'indemnisation du préjudice matériel dont il se prévaut, lié à la perte de la société et à la perte de rémunération. Par ailleurs, il ne résulte pas plus de l'instruction que la faute qu'aurait commise l'administration fiscale aurait contribué, du fait spécifique du seul excédent d'impositions indues, à l'existence d'une réduction du train de vie de M. A... et à des pressions financières et morales génératrices de troubles dans les conditions d'existence.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation de ce jugement et d'indemnisation doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais qu'il a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques (service juridique de la fiscalité).
Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. E..., président assesseur,
- Mme Marion, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2021.
Le rapporteur,
F. E...Le président,
S.-L. FORMERY
La greffière,
C. DABERTLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02698