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19/02/2021 | FRANCE | N°19PA03997

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 février 2021, 19PA03997


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Cabinet d'Ormane a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 septembre 2017 lui enjoignant de cesser, dans le délai d'un mois, la pratique commerciale trompeuse consistant à facturer des frais pour dommages et intérêts aux débiteurs au titre de l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil, sans remplir les conditions d'octroi de ces frais, et de cesser de solliciter et percevoir d'un consommateur des frais de recouvrement sans titre exécutoire.

Par un jugement n

1717508/2-3 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Cabinet d'Ormane a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 septembre 2017 lui enjoignant de cesser, dans le délai d'un mois, la pratique commerciale trompeuse consistant à facturer des frais pour dommages et intérêts aux débiteurs au titre de l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil, sans remplir les conditions d'octroi de ces frais, et de cesser de solliciter et percevoir d'un consommateur des frais de recouvrement sans titre exécutoire.

Par un jugement n° 1717508/2-3 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 10 décembre 2019, 24 septembre 2020 et 29 janvier 2021, la société Cabinet d'Ormane, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 12 septembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 12 septembre 2017 est entachée d'un vice de forme, dès lors qu'elle n'a pas été signée par son auteur, mais par une personne dont la signature est différente ;

- cette décision n'est pas suffisamment motivée s'agissant des griefs formulés par l'administration à l'égard de ses pratiques ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ; en effet, elle n'a pas été mise à même de justifier de ses pratiques et de présenter utilement ses observations ;

- l'administration a commis une erreur de droit, ajoutant une condition à la loi en estimant qu'elle devait justifier auprès des débiteurs de la nature et du montant du préjudice invoqué au titre de l'article L. 1231-6 alinéa 3 du code civil, alors que les dispositions applicables de l'article R. 124-4 du code des procédures civiles d'exécution encadrent strictement le formalisme des courriers qu'elle adresse à ces derniers ;

- l'absence de justification du préjudice n'empêche pas le débiteur de comprendre le caractère amiable de la réclamation ;

- il n'appartient qu'aux juridictions éventuellement saisies d'apprécier la mauvaise foi des débiteurs, laquelle doit être présumée du seul fait du retard de paiement.

Par un mémoire en intervention volontaire enregistré le 12 décembre 2019, le syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux (ANCR), représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 12 septembre 2017.

Il soutient que :

- il a intérêt à intervenir, au regard notamment de l'impact de la décision attaquée sur le modèle économique de la profession dont il défend les intérêts ;

- la décision du 12 septembre 2017 est entachée d'erreur de droit, ajoutant à la loi une condition de justification qu'elle ne prévoit pas ;

- tout retard entraîne nécessairement de nombreux préjudices, la mauvaise foi du débiteur devant être présumée ;

- l'administration ne peut se substituer au juge pour apprécier le bien-fondé d'une demande d'indemnisation réalisée dans un cadre amiable.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 13 août 2020 et 22 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- le code de la consommation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les observations de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant la société Cabinet d'Ormane et le syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux.

Une note en délibéré a été produite pour la société Cabinet d'Ormane le 3 février 2021.

Considérant ce qui suit :

1. La société Cabinet d'Ormane exerce une activité de recouvrement de créances, pour le compte de créanciers professionnels qui la sollicitent pour obtenir, par voie amiable, le paiement de sommes dues par leurs débiteurs. Son activité a fait l'objet, le 6 octobre 2016, d'un contrôle par deux agents des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Par une décision du 12 septembre 2017, le directeur départemental de la protection des populations de la préfecture de police lui a enjoint de cesser, dans le délai d'un mois, la pratique commerciale trompeuse consistant à facturer des frais pour dommages et intérêts aux débiteurs au titre de l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil, sans remplir les conditions d'octroi de ces frais et de cesser de solliciter et de percevoir d'un consommateur des frais de recouvrement sans titre exécutoire. Par un jugement du 10 octobre 2019, dont la société Cabinet d'Ormane relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 septembre 2017.

Sur l'intervention du syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux :

2. Les statuts du syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux indiquent que ce dernier a pour objet " la défense des intérêts de ses membres et la promotion de la profession " et " d'étudier, de définir et d'édicter toutes recommandations et règles professionnelles concernant les cabinets de recouvrements de créances, de renseignements commerciaux, de veiller à leur application, d'assurer la représentation des professions auprès de toutes institutions ". La décision du 12 septembre 2017 ayant pour objet la pratique commerciale d'une société de recouvrement de créances, ce syndicat a intérêt à intervenir dans la présente instance. Son intervention est donc recevable.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. (...) ". Il ressort des pièces du dossier que la décision du 12 septembre 2017 comporte la mention du prénom et du nom de son auteur et signataire, Mme A... B..., ainsi que sa qualité, contrôleur de la concurrence, consommation et répression des fraudes. La circonstance que la signature manuscrite de Mme B... sur cette décision ne soit pas strictement identique à celle qu'elle a apposée sur de précédents documents destinés à la société requérante ne saurait suffire, à elle seule, à remettre en cause l'identité du signataire. Le moyen tiré du défaut de signature manque donc en fait.

4. En deuxième lieu, la décision attaquée précise les éléments juridiques, les articles L. 121-2, L. 121-21 et L. 521-2 du code de la consommation, ainsi que l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil, sur le fondement desquels elle a été prise. Elle indique par ailleurs avec précision la pratique reprochée à la société Cabinet d'Ormane, à savoir la facturation de frais pour dommages et intérêts sans démonstration de l'existence d'un préjudice indépendant du retard et de la mauvaise foi des débiteurs, les sommes correspondantes n'étant pas reversées aux créanciers mais conservées par la société requérante. La décision est ainsi suffisamment motivée.

5. En troisième lieu, la société Cabinet d'Ormane a reçu communication, après le contrôle de son activité effectué le 6 octobre 2016, du rapport du 25 avril 2017 et d'une lettre du même jour l'informant de l'intention de l'administration de lui enjoindre de cesser ses pratiques commerciales trompeuses. Elle était alors invitée à faire valoir ses observations, ce qu'elle a fait par courrier du 17 mai 2017. La décision du 12 septembre 2017, qui par ailleurs répond auxdites observations, a donc été précédée d'une procédure contradictoire régulière en application des dispositions de l'article L. 121-1 du code de relations entre le public et l'administration, alors en outre que l'administration, qui reproche à l'intéressée une pratique générale et systématique, n'était pas tenue de mentionner des dossiers précis pour la mettre à même de produire ses observations.

6. En dernier lieu, aux termes de l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil : " (...) Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-8 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution : " Les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire restent à la charge du créancier, sauf s'ils concernent un acte dont l'accomplissement est prescrit par la loi au créancier. Toute stipulation contraire est réputée non écrite, sauf disposition législative contraire. ", et aux termes de l'article R. 124-4 du même code : " La personne chargée du recouvrement amiable adresse au débiteur une lettre qui contient les mentions suivantes : (...) 3° Le fondement et le montant de la somme due en principal, intérêts et autres accessoires, en distinguant les différents éléments de la dette, à l'exclusion des frais qui restent à la charge du créancier en application du troisième alinéa de l'article L. 111-8. ". Enfin, aux termes de l'article L. 121-2 du code de la consommation : " Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : / 1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent ; / 2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : / (...) c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ; / (...) f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ; (...) ", et aux termes de l'article L. 521-2 dudit code : " Les agents habilités peuvent, dans les mêmes conditions, enjoindre à tout professionnel de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite ou interdite. (...) ".

7. Contrairement à ce que soutiennent la société requérante et le syndicat intervenant, les dispositions précitées de l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil impliquent, pour permettre le versement de dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire, l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement, causé à un créancier par un débiteur de mauvaise foi. Par suite, en estimant que la facturation systématique et indifférenciée par la société Cabinet d'Ormane, sans aucune précision fournie au débiteur sur la nature du préjudice spécifique subi à ce titre et son évaluation, de sommes calculées forfaitairement au regard du montant de la créance, présentait le caractère de pratique commerciale trompeuse, l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'a pas ajouté de condition à la loi et n'a donc pas commis d'erreur de droit, les dispositions de l'article R. 124-4 du code des procédures civiles d'exécution ne faisant pas obstacle à l'indication de la nature du préjudice subi, pour permettre au débiteur d'en contester, le cas échéant, le bien-fondé. La circonstance que les débiteurs ne pourraient se méprendre sur le caractère amiable de ses réclamations à ce titre est au demeurant sans incidence sur les manquements reprochés à la société requérante, relatifs au contenu lacunaire de ses courriers, de nature à induire en erreur le consommateur sur le contenu et l'exigibilité des sommes dues. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, la mauvaise foi d'un débiteur, qui pour l'application des dispositions de l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil doit avoir causé au créancier un préjudice indépendant du retard de paiement, ne saurait être présumée du seul fait de ce retard. Enfin, l'administration, qui se borne à demander qu'il soit mis fin à une pratique de facturation systématique, sans porter d'appréciation sur la réalité, au cas par cas, d'éventuels préjudices causés par des débiteurs à leurs créanciers, ne saurait être regardée, du fait de l'édiction de l'injonction attaquée, comme exerçant des pouvoirs de nature juridictionnelle.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Cabinet d'Ormane et le syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 12 septembre 2017.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge l'État, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Cabinet d'Ormane et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention du syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux (ANCR) est admise.

Article 2 : La requête de la société Cabinet d'Ormane est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cabinet d'Ormane, au syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux (ANCR) et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 2 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.

Le rapporteur,

G. C...Le président,

M. D...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA03997


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03997
Date de la décision : 19/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-03 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Réglementation de la protection et de l'information des consommateurs.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : L et P ASSOCIATION D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-19;19pa03997 ?
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