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19/02/2021 | FRANCE | N°19PA01553

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 février 2021, 19PA01553


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 4 500 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité des décisions du 1er juin 2006 et du 22 octobre 2007 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice, a d'une part rejeté sa demande d'agrément en qualité de notaire à la résidence de Paris en remplacement de M. D... A..., et d'autre part nommé M. I... B... en remplac

ement de M. A....

Par un jugement n° 1706827/6-3 du 7 mars 2019, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 4 500 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité des décisions du 1er juin 2006 et du 22 octobre 2007 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice, a d'une part rejeté sa demande d'agrément en qualité de notaire à la résidence de Paris en remplacement de M. D... A..., et d'autre part nommé M. I... B... en remplacement de M. A....

Par un jugement n° 1706827/6-3 du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 9 mai 2019, 27 juin 2019 et 10 février 2020, M. C..., représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 7 mars 2019 ;

2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la minute du jugement n'est pas signée, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la responsabilité de l'État est engagée du fait de l'illégalité fautive de la décision du 1er juin 2006, annulée pour vice de procédure ; une même décision de refus d'agrément en qualité de notaire n'aurait pas pu être prise par le ministre si une procédure régulière avait été suivie, dès lors que la décision litigieuse était également entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ; le vice de procédure censuré a en outre exercé une influence sur le sens de la décision prise ;

- la responsabilité de l'État est également engagée du fait de l'illégalité fautive de la décision du 22 octobre 2007, annulée par le Conseil d'État le 28 septembre 2016, par voie de conséquence de l'annulation de la décision du 1er juin 2006 ;

- son préjudice, résultant du manque à gagner durant vingt ans, doit être évalué à la somme de 4 500 000 euros, sous réserve de la communication des résultats comptables réels de l'office.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 janvier 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 13 novembre 2020.

Vu :

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les observations de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant M. C....

Une note en délibéré a été produite pour M. C... le 4 février 2021.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., titulaire du diplôme d'aptitude aux fonctions de notaire, a sollicité le 14 juin 2005 la délivrance d'un agrément en qualité de notaire à la résidence de Paris, afin de prendre la succession de M. D... A..., démissionnaire. Sa demande a été rejetée par une décision du 1er juin 2006 du garde des sceaux, ministre de la justice. Par un arrêté du 22 octobre 2007, le ministre de la justice a nommé M. B..., notaire, en remplacement de M. A.... À la demande de M. C..., les deux décisions des 1er juin 2006 et 22 octobre 2007 ont été annulées, la première par un jugement du 23 juillet 2010 du tribunal administratif de Paris, confirmé par la cour de céans par un arrêt du 26 mars 2012, la seconde par une décision du Conseil d'État du 28 septembre 2016. Par courrier du 27 décembre 2016, M. C... a demandé au ministre de la justice d'indemniser les préjudices qu'il a subis du fait des illégalités fautives ainsi commises. Une décision implicite de rejet de cette demande est née du silence gardé par le ministre. Par un jugement du 7 mars 2019, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 4 500 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices liés à l'illégalité des décisions des 1er juin 2006 et 22 octobre 2007.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". La minute du jugement attaqué, produite en cours d'instruction par le greffe du tribunal administratif de Paris, comporte bien la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. L'illégalité d'une décision administrative constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration, pour autant qu'il en soit résulté pour celui qui demande réparation un préjudice direct et certain. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'un vice de procédure, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties et, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel le juge administratif a annulé cette décision, si la même décision aurait pu légalement être prise dans le cadre d'une procédure régulière.

En ce qui concerne la décision du 1er juin 2006 :

4. Aux termes de l'article 45 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire dans sa rédaction applicable au litige : " Le candidat à la succession d'un notaire sollicite l'agrément du garde des sceaux, ministre de la justice, dans les formes prévues aux articles suivants ". Par ailleurs, aux termes de l'article 47 du même décret : " Le procureur général recueille l'avis motivé de la chambre des notaires sur la moralité et sur les capacités professionnelles de l'intéressé ainsi que sur les possibilités financières au regard des engagements contractés (...) ". Enfin, aux termes de l'article 48 dudit décret : " Le procureur général transmet le dossier au garde des sceaux, ministre de la justice, avec son avis motivé. Le garde des sceaux, ministre de la justice, demande, le cas échéant, au bureau du conseil supérieur du notariat ou à tout autre organisme professionnel des renseignements sur les activités antérieures du candidat ".

5. La décision du 1er juin 2006 refusant l'agrément sollicité par M. C... a été annulée par un jugement du 23 juillet 2010 du tribunal administratif de Paris, confirmé par la cour de céans par un arrêt du 26 mars 2012, pour vice de procédure, la chambre interdépartementale des notaires de Paris ayant rendu un avis, en l'espèce négatif, sans avoir été d'abord saisie par le procureur de la République, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 47 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire. Le ministre de la justice soutient qu'il aurait pris la même décision si la chambre des notaires avait rendu son avis après avoir été saisie par le procureur général.

6. En premier lieu, M. C... invoque, pour soutenir que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'aurait pas pris la même décision de refus d'agrément au terme d'une procédure régulière, une erreur de fait de la décision du 1er juin 2006, en ce qu'elle mentionne que l'étude de M. A... comptait alors dix-sept collaborateurs. Toutefois, à supposer qu'une telle erreur ait pu à elle seule remettre en cause l'appréciation du ministre, également fondée sur la fragilité de l'office à reprendre, le requérant n'établit pas, par les pièces non probantes qu'il produit, que ladite étude employait alors onze personnes, dont quatre étaient autonomes.

7. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. C..., les dispositions des articles 45 à 48, alors en vigueur, du décret précité du 5 juillet 1973 imposaient bien au garde des sceaux, ministre de la justice, de porter une appréciation sur sa moralité et sur ses capacités professionnelles ainsi que sur ses possibilités financières au regard des engagements contractés pour la reprise de l'office de M. A.... Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision du 1er juin 2006 était entachée d'une erreur de droit en ce que la détention du diplôme d'aptitude aux fonctions de notaire et la réalisation des stages prévus par la réglementation lui ouvraient automatiquement droit à la délivrance de l'agrément sollicité.

8. En troisième lieu, la décision de refus d'agrément était motivée par l'insuffisante expérience de M. C... au regard de la taille et de la fragilité de l'office de M. A..., insuffisance représentant un risque significatif de survenance de sinistre préjudiciable à la profession de notaire. Le ministre, après avoir visé les avis défavorables du procureur général et de la chambre des notaires, avait notamment relevé la faible durée de l'expérience professionnelle de l'intéressé, et l'insuffisante technicité des actes auxquels il avait procédé dans ce cadre, alors par ailleurs que l'office à reprendre, d'une taille conséquente, avait connu de graves difficultés conduisant à sa mise sous curatelle en mars 2004, ce qui impliquait qu'il fût repris par un notaire ayant un profil plus adéquat. M. C..., qui reconnaît que les attestations rédigées par ses anciens employeurs lui déniaient les capacités requises pour la reprise d'une charge, n'apporte au dossier aucun élément permettant de remettre en cause l'appréciation portée par le ministre, s'agissant notamment du contenu et de la qualité de son expérience professionnelle entre 2001 et 2006. Il n'établit pas davantage que les mauvais avis émis à son égard résulteraient d'une particulière animosité nourrie envers lui par ses anciens employeurs, par le procureur général et par la chambres des notaires. Il n'est donc pas fondé à soutenir que le refus d'agrément du 1er juin 2006 serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le vice de procédure entachant la décision du 1er juin 2006 procéderait d'une volonté délibérée de la chambre interdépartementale des notaires de Paris d'impressionner le garde des sceaux en lui imposant un double avis négatif susceptible de fausser son appréciation à l'égard de M. C.... Enfin, les circonstances dans lesquelles l'office de M. A... a été ultérieurement attribué sont sans incidence sur le sens de la décision de refus d'agrément litigieuse.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision du 1er juin 2006 n'aurait pas pu légalement être prise par le garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre d'une procédure régulière. Par suite, faute de lien de causalité direct et certain, l'illégalité fautive de cette décision n'est pas susceptible de lui ouvrir droit à réparation du préjudice invoqué.

En ce qui concerne la décision du 22 octobre 2007 :

11. La décision du 22 octobre 2007, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a nommé M. B... en remplacement de M. A..., a été annulée par le Conseil d'État par une décision du 28 septembre 2016, par voie de conséquence de l'annulation de la décision de refus d'agrément du 1er juin 2006, alors qu'aucun autre moyen n'était de nature à justifier son annulation. Il en résulte que, comme il a été exposé aux points précédents du présent arrêt, dès lors qu'une décision de refus d'agrément de M. C... aurait pu légalement être prise au terme d'une procédure régulière, la décision de nomination de M. B... aurait également pu être légalement prise ensuite. Par suite, l'illégalité fautive de la décision du 22 octobre 2007 n'est pas susceptible d'ouvrir droit à réparation du préjudice invoqué.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge l'État, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 2 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. G..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme F..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.

Le rapporteur,

G. F...Le président,

M. G...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA01553


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01553
Date de la décision : 19/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

55-03-05-03 Professions, charges et offices. Conditions d'exercice des professions. Professions s'exerçant dans le cadre d'une charge ou d'un office. Notaires.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN-THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-19;19pa01553 ?
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