La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/02/2021 | FRANCE | N°19PA01431

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 11 février 2021, 19PA01431


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... de la Vallée de Pimodan a demandé au Tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge de son obligation solidaire au paiement de la somme de 2 251 319,20 euros correspondant à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie avec son époux au titre des années 1990, 1991 et 1995.

Par un jugement n° 1609814 du 21 février 2019, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requ

te et des mémoires enregistrées le 25 avril 2019, le 6 septembre 2020, le 14 septembre 2020 et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... de la Vallée de Pimodan a demandé au Tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge de son obligation solidaire au paiement de la somme de 2 251 319,20 euros correspondant à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie avec son époux au titre des années 1990, 1991 et 1995.

Par un jugement n° 1609814 du 21 février 2019, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrées le 25 avril 2019, le 6 septembre 2020, le 14 septembre 2020 et le 9 janvier 2021, Mme D... de la Vallée de Pimodan, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1609814 du 21 février 2019 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de prononcer la décharge de son obligation solidaire au paiement de la somme de 2 251 319,20 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme D... de la Vallée de Pimodan soutient que :

- elle remplit la condition de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et sa situation financière et patrimoniale nette de charges prévue par l'article 1691 bis du code général des impôts et justifie de la rupture de la vie commune, ainsi que du respect de ses obligations déclaratives depuis la fin de la période d'imposition commune et de l'absence d'intention frauduleuse ;

- elle est fondée à se prévaloir des énonciations de la documentation administrative référencée BOI-CTX-DRS 20-20151014 n° 30 et n° 60 du 14 octobre 2015.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;

- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., pour Mme D... de la Vallée de Pimodan.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... de la Vallée de Pimodan, qui était alors mariée avec M. E..., a été assujettie avec son ancien époux à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 1990, 1991 et 1995. Par un courrier du 8 mars 2011, elle a sollicité, sur le fondement de l'article 1691 bis du code général des impôts, la décharge de son obligation solidaire au paiement de ces impositions pour un montant de 2 251 319,20 euros. Par une décision du 13 octobre 2013, le directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne a rejeté cette demande. Mme D... de la Vallée de Pimodan fait appel du jugement du 21 février 2019 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge de son obligation solidaire au paiement de la somme précitée.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 1691 bis du code général des impôts : " I. Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité sont tenus solidairement au paiement : 1° De l'impôt sur le revenu lorsqu'ils font l'objet d'une imposition commune (...) II. 1. Les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement prévues au I (...) lorsque, à la date de la demande : (...) d) L'un ou l'autre des époux ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité a abandonné le domicile conjugal ou la résidence commune. 2. La décharge de l'obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. Elle est alors prononcée selon les modalités suivantes : a) Pour l'impôt sur le revenu, la décharge est égale à la différence entre le montant de la cotisation d'impôt sur le revenu établie pour la période d'imposition commune et la fraction de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur et à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité. Pour l'application du présent a, les revenus des enfants mineurs du demandeur non issus de son mariage avec le conjoint ou de son union avec le partenaire de pacte civil de solidarité sont ajoutés aux revenus personnels du demandeur ; la moitié des revenus des enfants mineurs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité est ajoutée à la moitié des revenus communs. Les revenus des enfants majeurs qui ont demandé leur rattachement au foyer fiscal des époux ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité ainsi que ceux des enfants infirmes sont pris en compte dans les conditions définies à l'alinéa précédent. La moitié des revenus des personnes mentionnées au 2° de l'article 196 ainsi qu'à l'article 196 A bis est ajoutée à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité (...) d) Pour les intérêts de retard et les pénalités mentionnées aux articles 1727, 1728, 1729, 1732 et 1758 A consécutifs à la rectification d'un bénéfice ou revenu propre au conjoint ou au partenaire de pacte civil de solidarité du demandeur, la décharge de l'obligation de paiement est prononcée en totalité. Elle est prononcée, dans les autres situations, dans les proportions définies respectivement au a pour l'impôt sur le revenu (...) 3. Le bénéfice de la décharge de l'obligation de paiement est subordonné au respect des obligations déclaratives du demandeur (...) à compter de la date de la fin de la période d'imposition commune. La décharge de l'obligation de paiement ne peut pas être accordée lorsque le demandeur et son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité se sont frauduleusement soustraits, ou ont tenté de se soustraire frauduleusement, au paiement des impositions mentionnées aux 1° et 2° du I (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que Mme D... de la Vallée de Pimodan a déclaré, au titre de l'année 2010, une rémunération annuelle de 22 364 euros, et, au titre de l'année 2011, des salaires d'un montant de 10 882 euros et des bénéfices non commerciaux professionnels à raison d'une activité d'autoentrepreneur d'un montant de 22 998 euros, ses charges mensuelles s'élevant à la somme de 1 858 euros et son épargne disponible étant de faible montant.

4. En ce qui concerne sa situation patrimoniale, il résulte de l'instruction que Mme D... de la Vallée de Pimodan est héritière de son père, décédé en 1985, la succession ayant fait l'objet d'un projet de partage établi par un notaire en 1997, qui indique que la masse successorale se compose notamment de biens immobiliers situés à Paris, au 86 rue du Cherche Midi et au 187 boulevard Saint-Germain, évalués respectivement à 297 275 euros et 243 919 euros, de biens situés en Belgique évalués à 686 000 euros et en Allemagne évalués à 53 357 euros, d'objets d'art de grande valeur d'un montant de 792 734 euros et de liquidités évaluées à 304 898 euros, ce projet n'ayant pas été publié et précisant que d'autres biens non cités restent en indivision entre les héritiers. Toutefois, Mme D... de la Vallée de Pimodan fait valoir que ce projet de partage n'a pas été finalisé en raison de conflits familiaux et qu'aucun bien ne doit lui être dévolu, dès lors que les biens devant lui revenir ont déjà été vendus à son insu par son ancien époux. A cet égard, elle produit notamment une attestation établie par un notaire le 14 juin 2017, qui fait état de l'absence de régularisation du partage successoral depuis 1985 et mentionne un accord des indivisaires sur un autre projet de partage, rendant la requérante attributaire uniquement de biens meubles selon une liste limitative jointe, appréhendés en 1985, les autres biens dépendants de la succession devant être partagés entre les autres indivisaires. Ces faits ont notamment été confirmés par un projet de liquidation et de partage de la succession établi par un notaire en 2020, qui mentionne l'actif exhaustif de la succession, attribue à Mme D... de la Vallée de Pimodan une liste de biens meubles pour un montant de 1 488 067 euros et précise que ces biens sont en possession de l'attributaire comme ayant été appréhendés dès le décès du père par son ancien époux et dont le produit de la vente a été dilapidé par ce dernier. Ces documents sont suffisants pour établir que, à la date de sa demande en 2011, la requérante ne pouvait prétendre, compte tenu de la valeur de l'actif successoral, qu'à l'attribution d'un patrimoine d'une valeur de 1 488 067 euros. Ces mêmes documents sont également suffisants pour établir que ce patrimoine, même si l'ancien époux n'a pas fait l'objet de plaintes pénales, a été appréhendé par ce dernier à la suite du décès du père de la requérante, antérieurement à la date de la demande. Dans ces conditions, Mme D... de la Vallée de Pimodan justifie que, à la date de sa demande, le patrimoine issu de la succession devant lui revenir ne lui permettait pas d'acquitter de quelque manière la dette fiscale en cause.

5. Par ailleurs, si le ministre fait valoir que la requérante ne justifie pas de ses droits dans la succession de sa mère, décédée en 2003, celle-ci a produit une attestation notariale établie le 23 janvier 2007 mentionnant qu'elle est seulement bénéficiaire de 1,5 % de l'actif de la succession constituée d'un bien immobilier, cédé en 2017 et dont elle a perçu de la vente la somme de 7 500 euros le 2 février 2018. Elle justifie ainsi que, à la date de sa demande, le patrimoine issu de la succession de sa mère devant lui revenir ne lui permettait pas d'acquitter la dette fiscale.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que Mme D... de la Vallée de Pimodan est fondée à soutenir qu'il existait, à la date de sa demande en décharge, une disproportion marquée entre sa situation financière et patrimoniale, nette de charges, et le montant de sa dette fiscale à l'impôt sur le revenu. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la résidence commune des époux a cessé à compter du 1er janvier 1998, ainsi que l'a au demeurant relevé le jugement du divorce prononcé par le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Valence du 19 juillet 2018, qui indique que la date des effets du divorce dans les rapports patrimoniaux des époux a été fixé au 1er janvier 1998, date de cessation de toute cohabitation et collaboration entre eux. Enfin, Mme D... de la Vallée de Pimodan a produit l'ensemble de ses avis d'imposition des années 1998 à 2010, adressés à son seul nom et sur lesquels figurent ses seuls revenus propres. Elle a ainsi rempli ses obligations déclaratives en matière d'impôt sur le revenu à compter de la fin de la période d'imposition commune, débutant en 1998, et il ne résulte pas de l'instruction qu'elle se serait frauduleusement soustraite ou aurait tenté de se soustraire frauduleusement au paiement des impositions, l'intéressée ayant d'ailleurs été relaxée des poursuites pour des faits de fraude fiscale par un jugement du Tribunal de grande instance de Melun du 4 juin 1998.

7. Dans ces conditions, Mme D... de la Vallée de Pimodan remplissait à la date de sa demande l'ensemble des conditions pour obtenir une décharge de l'obligation de paiement des impositions en litige, relatives aux années 1990, 1991 et 1995. Elle est dès lors fondée à obtenir une décharge calculée selon les modalités fixées au a) et au d) du 2 du II de l'article 1691 bis du code général des impôts, les énonciations de la documentation administrative publiée au BOI-CTX-DRS 20-20151014 n° 30 et n° 60 du 14 octobre 2015 ne faisant pas de la loi fiscale une interprétation différente.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... de la Vallée de Pimodan est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Ce jugement doit, dès lors, être annulé, et la décharge, calculée selon les modalités fixées au point 7, doit lui être accordée.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État, qui est la partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D... de la Vallée de Pimodan, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1609814 du 21 février 2019 du Tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : Mme D... de la Vallée de Pimodan est déchargée de son obligation au paiement de la somme de 2 251 319,20 euros correspondant aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie avec son époux au titre des années 1990, 1991 et 1995, selon les modalités fixées au a) et au d) du 2 du II de l'article 1691 bis du code général des impôts.

Article 3 : L'État versera la somme de 1 500 euros à Mme D... de la Vallée de Pimodan, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... de la Vallée de Pimodan et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Marion, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 février 2021.

Le rapporteur,

F. C...Le président,

S.-L. FORMERY

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA01431


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01431
Date de la décision : 11/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-05-02-01 Contributions et taxes. Généralités. Recouvrement. Paiement de l'impôt. Solidarité entre époux.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : CABINET OBADIA

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-11;19pa01431 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award