Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... F... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 10 avril 2018 par laquelle la directrice services courrier-colis de Paris a pris à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de service d'un an.
Par un jugement n° 1806614/5-2 du 14 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 mai et 6 décembre 2019, M. F..., représenté par Me C... I..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1806614/5-2 du 14 mars 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 10 avril 2018 contestée devant ce tribunal ;
3°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la nécessité pour La Poste de procéder au réexamen de sa situation au vu de l'avis du médecin du travail ;
- il souffre d'une pathologie psychiatrique susceptible d'exonérer ou d'atténuer sa responsabilité au regard des faits qui lui sont reprochés ; La Poste a refusé, malgré plusieurs alertes en ce sens, de prendre en considération son état de santé et a poursuivi la procédure disciplinaire ; le médecin du travail ayant, le 17 avril 2018, donné un avis favorable à l'octroi d'un congé de longue maladie, La Poste aurait dû procéder à un réexamen de sa situation et saisir le comité médical ; la sanction prononcée à son encontre est discriminatoire ; à la date des faits qui lui sont reprochés, il se trouvait dans une phase maniaque relativement grave dès lors qu'il était en rupture de soins et que la reprise de son traitement à compter du mois de septembre 2017 s'est avérée inefficace ; le lien entre les faits qui lui sont reprochés et sa pathologie est donc bien établi ; les différents changements d'affectation géographique ont généré un sentiment d'angoisse et de crainte pour l'avenir ; l'absence de communication et d'accompagnement ont entraîné une dégradation des relations avec ses supérieurs hiérarchiques ; les faits qui lui sont reprochés sont intervenus dans le contexte d'un nouveau changement d'affectation, constitutif d'un facteur de risque psychosocial, aggravé, dès lors qu'il souffre de troubles bipolaires et que les situations de changements et de stress sont déconseillés sous peine de provoquer des réactions exagérées et disproportionnées ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis ;
- la sanction est disproportionnée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 6 novembre 2019 et 29 décembre 2020, La Poste, représentée par Me B... H..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. F... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par M. F... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 15 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au
30 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme J...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public,
- et les observations de Me C... I..., avocat de M. F..., présent, et de Me A... E..., substituant Me H..., avocat de La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., agent technique et de gestion au sein de la société La Poste, a été affecté, en dernier lieu, à la plate-forme de préparation et de distribution du courrier (PPDC) 11/20 de Paris à la suite, d'une part, d'une altercation avec un collègue, le 19 juillet 2017, d'autre part, du refus qu'il a manifesté, le 1er septembre 2017, d'exécuter les tâches qui lui avaient été confiées et de rencontrer le directeur de la plateforme, d'avoir fait à son retour de congé maladie, le 2 octobre 2017, des remarques insidieuses et injurieuses à l'encontre du directeur qui souhaitait s'entretenir avec lui dans le but de cadrer ses activités et, enfin, de ne pas s'être présenté à une convocation le
10 janvier 2018. Par une décision du 10 avril 2018, le directeur services courrier-colis de Paris a, au vu des faits ainsi reprochés à M. F..., prononcé à son encontre une sanction disciplinaire du troisième groupe, à savoir une exclusion temporaire de service d'une durée d'un an. Par un jugement n° 1806614/5-2 du 14 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de
M. F... tendant à l'annulation de cette décision du 10 avril 2018 ainsi que les conclusions présentées par La Poste sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. F... relève appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si M. F... soutient que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen qu'il avait invoqué tiré de ce que le comité médical n'avait pas été saisi, il ne ressort pas des observations qu'il a présentées en première instance qu'il ait soulevé un tel moyen. Il ne ressort pas davantage de ses observations devant le tribunal qu'il aurait soulevé le moyen tiré de la nécessité pour La Poste " de considérer préalablement à sa décision, ou de reconsidérer postérieurement à sa décision, les aspects médicaux du dossier ". En tout état de cause, si en première instance, M. F... avait soutenu que La Poste était dans l'obligation de procéder à un nouvel examen de sa situation à la suite de l'avis rendu par le médecin du travail, les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à ce moyen qui était inopérant. Il suit de là que le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité de nature à entraîner son annulation.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En premier lieu, M. F... soutient qu'il souffre d'une pathologie psychiatrique qui a des répercussions sur son comportement, de nature à exonérer ou atténuer sa responsabilité au regard des faits qui lui sont reprochés. Il fait ainsi valoir que La Poste, qui avait été alertée de son état de santé, n'aurait pas dû poursuivre la procédure disciplinaire à son encontre et qu'elle aurait dû se placer sur le terrain médical. A cet égard, le requérant soutient que La Poste n'a pas réexaminé sa situation à la suite de l'avis rendu par le médecin du travail le 17 avril 2018 dans la mesure où elle a immédiatement mis à exécution la sanction disciplinaire prononcée à son encontre et qu'elle n'a pas davantage saisi le comité médical.
4. D'une part, à l'appui de son argumentation, M. F... a produit le rapport de l'assistante sociale du 14 février 2018, qui évoque notamment une pathologie psychique découverte à la suite d'un grave accident en 1993 sans autre précision, le courrier du secrétaire départemental du syndicat CGT des Postaux de Paris du 1er mars 2018 à l'attention du président du conseil de discipline, qui précise que M. F... souffre d'une pathologie pouvant entraîner des troubles émotionnels et parfois comportementaux et que cette situation est connue de tous en raison de son ancienneté, ainsi que la décision du 22 mai 2018 portant reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé. Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisants pour établir que M. F... souffrait, au moment des faits qui lui sont reprochés, d'une pathologie de nature à le priver de tout discernement et, par suite à faire obstacle à ce qu'il soit responsable de ses actes. D'ailleurs, le requérant avait été déclaré apte en 2016 et 2017 par le médecin du travail. S'il ressort des pièces du dossier que M. F... a été placé en arrêt de travail, à la suite de l'altercation avec son collègue survenue le 19 juillet 2017, pour la période courant du 20 au 26 juillet 2017 avec l'indication de troubles
anxio-dépressif, cet arrêt de travail n'est pas davantage suffisant pour établir que l'état pathologique de M. F... aurait provoqué de sa part, au moment des faits qui lui sont reprochés, une absence totale de discernement de nature à faire obstacle à toute sanction disciplinaire. Il en va de même du rapport rédigé le 24 novembre 2019 par le docteur Menard, soit près de deux ans après lesdits faits, qui précise qu'il souffre d'un trouble bipolaire de type I et que l'épisode le plus sévère a eu lieu en 2017, notamment en juillet, puis au début du mois d'octobre, ainsi que le certificat médical du docteur Haberberg, psychiatre, qui suit M. F... depuis septembre 2017 et qui indique que lorsqu'il le rencontre pour la première fois à cette date, il est irritable, impatient et révolté dans les altercations qui peuvent l'opposer à des tiers. Il ne ressort en effet pas de ces éléments que la pathologie, dont M. F... souffre, était de nature à le priver de tout discernement et à le faire regarder comme irresponsable.
5. D'autre part, contrairement à ce que soutient M. F..., alors même qu'il se trouvait lors de l'ouverture et au cours de la procédure disciplinaire dans un état mental qui aurait pu lui ouvrir droit à un congé de maladie, cette circonstance n'imposait pas à La Poste de faire procéder à son examen médical avant d'engager ou de poursuivre la procédure disciplinaire.
6. En deuxième lieu, M. F... soutient que le fait de l'avoir sanctionné en raison de son état de santé constitue une mesure discriminatoire au vu de l'article 6 de la loi du 11 juillet 1983. Toutefois, la circonstance qu'il ait été hospitalisé plusieurs mois après les faits qui lui sont reprochés, soit le 14 décembre 2018 et le 14 janvier 2019, en raison d'une décompensation maniaque, n'est pas suffisante pour démontrer qu'il aurait été sanctionné en raison de son état de santé alors que cette hospitalisation est nettement postérieure auxdits faits et que la sanction prononcée repose sur des faits précis et circonstanciés. En outre, ni le certificat médical du docteur Haberberg, qui le suit depuis le mois de septembre 2017, ni la reconnaissance du statut de travailleur handicapé ne sont davantage suffisants. Si M. F... soutient qu'il a dû faire face à une instabilité professionnelle, de nature à avoir des conséquences sur son état de santé, il ressort des pièces du dossier que La Poste a pris les mesures nécessaires pour l'accompagner dans ses nouvelles fonctions et a pu l'intégrer dans un binôme alors qu'il était affecté au Carré Pro du bureau de poste situé rue Sainte Marguerite à Paris. Il résulte de cette situation, ainsi que de celle décrite au point 4. du présent projet que M. F... n'est pas fondé à soutenir que La Poste aurait, en prenant la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire de service d'une durée d'un an en litige, pris une mesure discriminatoire à son encontre.
7. En troisième lieu, M. F... soutient que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis.
8. Il ressort des pièces du dossier et notamment de trois témoignages concordants que, le 19 juillet 2017, alors qu'il était sur son lieu de travail, M. F... a souhaité effectuer une opération de retrait sur son compte personnel. Face au refus de son collègue, justifié par l'absence de présentation par l'intéressé des pièces justificatives nécessaires, M. F... s'est vivement emporté à son encontre et a ouvertement dénigré le service rendu aux usagers par La Poste, rendant nécessaire l'intervention d'une tierce personne pour lui faire quitter la salle. M. F... a d'ailleurs reconnu avoir entendu manifester son incompréhension et sa colère ainsi que cela ressort du rapport précité de l'assistante sociale du 14 février 2018. Il ne peut, d'ailleurs, être regardé comme contestant efficacement la réalité de ces faits en se bornant à soutenir que les témoignages produits ne sont pas formellement conformes et que ces témoignages sont imprécis à défaut d'indiquer la teneur des propos qu'il a eus à l'encontre de son collègue et de nature à révéler son agressivité. Si M. F... fait valoir qu'au moment des faits qui lui sont reprochés, il était en pause, La Poste précise qu'aucune pause n'était prévue à 17 h 30 et qu'en tout état de cause, un fonctionnaire peut être sanctionné pour des faits qui se sont déroulés en dehors du temps de service. Ainsi, la circonstance, à la supposer établie que M. F... était en pause, n'est pas de nature à retirer auxdits faits leur caractère fautif. A la suite de cette altercation, M. F... a été affecté au PPDC 11/20. Il ressort des déclarations de son responsable que le 1er septembre 2017, M. F... a contesté sa nouvelle affectation sur un ton agressif et a refusé de l'accompagner chez le directeur. En alléguant que le témoignage de son responsable est imprécis quant à la teneur des propos qu'il a tenus, M. F... ne peut être regardé comme contestant sérieusement les faits qui lui sont reprochés. Enfin, le directeur d'établissement fait état, dans le rapport circonstancié du 20 novembre 2017, de ce que, le 3 octobre 2017, M. F... a eu des propos déplacés à son encontre. Si les propos tenus ne peuvent être regardés comme injurieux, le requérant ne conteste pas sérieusement qu'il ait tenu des propos déplacés et insidieux à l'encontre de son supérieur hiérarchique ni n'apporte, ainsi que l'a relevé le tribunal, aucun élément de nature à remettre en cause les faits tels qu'ils ressortent des témoignages susmentionnés. En revanche, si La Poste fait grief à M. F... de ne pas s'être présenté à une convocation le 10 janvier 2018, cette circonstance n'est pas de nature à conférer à ce manquement un caractère fautif dès lors, et ce n'est pas contesté, qu'il se trouvait placé en congé maladie à cette date.
9. L'ensemble des faits matériellement établis constituent des manquements graves et répétés à l'obligation d'obéissance hiérarchique qui s'impose à tout fonctionnaire, de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire. Il suit de là que M. F... n'est fondé ni à contester la matérialité des faits reprochés décrits ci-dessus qui sont établis, ni à soutenir que la qualification de ceux-ci par l'auteur de la décision contestée serait inexacte.
10. En quatrième et dernier lieu, eu égard, d'une part, à la gravité et au caractère répété des faits commis dans l'exercice de ses fonctions par M. F... et d'autre part, à l'atteinte portée à l'image du service public, la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée d'un an n'apparaît pas disproportionnée alors que M. F... a déjà été sanctionné à deux reprises en 2003 (blâme) et 2004 (déplacement d'office) pour des faits similaires et nonobstant les circonstances qu'il était apprécié de ses collègues.
11. Il résulte de ce tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu en conséquence de rejeter sa requête, en toutes ces conclusions. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société La Poste tendant à ce que soit mis à la charge de M. F... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par La Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et à La Poste.
Délibéré après l'audience du 20 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme J..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2021.
Le rapporteur,
S. J...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01593