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28/01/2021 | FRANCE | N°19PA04268

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 28 janvier 2021, 19PA04268


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse C..., et la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) de Keating ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner solidairement le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes à verser à Mme C... la somme de 40 000 euros au titre de son préjudice financier et de 50 000 euros au titre de son préjudice moral en raison des fautes qu'ils ont commises et de condamner solidair

ement le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le consei...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse C..., et la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) de Keating ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner solidairement le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes à verser à Mme C... la somme de 40 000 euros au titre de son préjudice financier et de 50 000 euros au titre de son préjudice moral en raison des fautes qu'ils ont commises et de condamner solidairement le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes à verser à la SELARL de Keating la somme de 500 000 euros en réparation de son préjudice financier.

Par jugement n° 1818045/6-2 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 31 décembre 2019 et 7 octobre et 10 décembre 2020, Mme D... épouse C..., et la SELARL de Keating, représentés par Me E..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1818045/6-2 du 5 novembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner solidairement le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes à verser à Mme C... la somme de 40 000 euros au titre de son préjudice financier et de 50 000 euros au titre de son préjudice moral en raison des fautes qu'ils ont commises ;

3°) de condamner solidairement le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes à verser à la SELARL de Keating la somme de 500 000 euros en réparation de son préjudice financier ;

4°) de mettre à la charge solidaire du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes le versement à chaque requérant de la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement contesté qui a considéré que les requérantes n'avaient pas intérêt à agir contre la décision prise le 27 juillet 2017 par le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes à l'encontre d'un praticien est entaché d'une dénaturation de sa demande qui n'était pas faite dans le cadre du recours pour excès de pouvoir mais d'un recours indemnitaire ;

- les avis rendus par le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes les 15 décembre 2016 et 13 juillet 2017 n'ont pas été attaqués devant les premiers juges par la voie du recours pour excès de pouvoir mais dans le cadre d'un recours indemnitaire ;

- la décision du 27 juillet 2017 du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes et les avis rendus par le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes les 15 décembre 2016 et 13 juillet 2017 sont illégaux dès lors qu'ils sont constitutifs de détournement de pouvoir et ont été pris sur le fondement de faits matériellement inexacts et reposent sur une appréciation erronée des faits de l'espèce dès lors que la société Incisiv n'a pas eu d'activité " d'entremise " et ne s'est pas " substituée au chirurgien-dentiste pour s'assurer du consentement du patient ", qu'elle n'a pas de membres des professions médicales salariés de la société et mis à disposition par elle, que sa pratique ne porte pas atteinte au secret médical, que la pratique du secrétariat médical ne porte pas atteinte au secret médical et n'implique aucune immixtion de la société dans la relation de soins, que la grille tarifaire ne méconnaît pas les dispositions de l'article R. 4127-240 du code de la santé publique, qu'elle n'a pas entretenu de confusion sur son rôle et ses conditions de fonctionnement ;

- les pressions exercées auprès des chirurgiens-dentistes partenaires de la société Incisiv et le refus constant de dialogue constructif avec la société Incisiv, ainsi que la décision du 27 juillet 2017 du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes contre un praticien reposent sur des faits erronés et/ou une erreur manifeste dans l'interprétation des faits, méconnaissent le principe de liberté du commerce et de l'industrie et du droit à la protection de la santé en contraignant la société Incisiv à déposer le bilan ; ces agissements sont constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes et du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;

- la décision illégale prise le 27 juillet 2017 par le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes à l'encontre du docteur Starot, les avis rendus par le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes les 15 décembre 2016 et 13 juillet 2017 ainsi que les agissements de ces deux conseils ont causé un préjudice direct et certain, d'une part, à la société Incisiv dont les intérêts sont défendus par la SELARL de Keating qui résulte de la perte de chance d'obtenir des bénéfices et, d'autre part, à Mme D..., épouse C... un préjudice financier en raison de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de se faire rembourser, du fait de sa mise en liquidation judiciaire, son compte courant d'associé ainsi que la caution qu'elle a souscrite et qui lui est réclamée par le crédit coopératif dans une assignation du 27 avril 2018 et un préjudice moral du fait de l'atteinte portée à sa réputation du fait du placement en liquidation judiciaire de la société qu'elle dirigeait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2020, le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes, représentés par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demandent à la Cour :

1°) de rejeter la requête et confirmer le jugement n° 1818045/6-2 du 5 novembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de Mme D..., épouse C..., et de la SELARL de Keating au profit du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 octobre 2020 à midi.

Un mémoire a été enregistré le 23 décembre 2020 pour le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui n'a pas été communiqué.

Un mémoire a été enregistré le 23 décembre 2020 pour Mme D..., épouse C..., et la SELARL de Keating, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,

- les observations de Me E..., avocat de Mme D..., épouse C... et de la SELARL de Keating,

- et les observations de Me F... de la SCP Lyon-Caen-Thiriez, avocat du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Considérant ce qui suit :

1. La société " Denbag Medical ", créée en 2013 par Mme C... puis renommée en 2014 " Incisiv ", avait pour activité la mise à disposition des chirurgiens-dentistes partenaires des moyens humains et du matériel médical et paramédical afin de leur permettre d'intervenir au domicile ou en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) auprès des personnes âgées ou handicapées dans l'impossibilité de se déplacer. A plusieurs reprises, et notamment au cours des années 2015 et 2016, elle s'est rapprochée du conseil de l'ordre des chirurgiens-dentistes afin de l'inviter à déléguer une équipe d'observateurs lors d'une de ses interventions en EHPAD ou de donner son appréciation sur un projet de convention de mise à disposition d'un plateau technique destinée à être signée avec ses partenaires chirurgiens-dentistes. Par différents courriers, et notamment par courrier électronique du 15 décembre 2016, le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes lui a répondu qu'il ne lui appartenait pas de donner son approbation sur un projet de convention, et s'agissant du modèle de contrat que la société se proposait de signer avec des chirurgiens-dentistes, a rappelé qu'une entreprise commerciale ne pouvait, en aucune manière, s'immiscer dans la relation de soin entre les praticiens et les patients et émis les plus grandes réserves quant à sa conformité avec non seulement la déontologie de la profession, mais également les règles d'exercice d'une profession de santé. Par courrier du 6 juillet 2017, la société Incisiv a de nouveau attiré l'attention du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes sur sa situation, exposant que son objectif est d'apporter au chirurgiens-dentistes les moyens matériels et humains leur permettant d'exercer hors les murs de leur cabinet dentaire, indiquant qu'elle déploie une mission humanitaire auprès de près de 8 000 personnes, plébiscitée par 300 EHPAD et que néanmoins elle rencontre d'importantes difficultés financières résultant, selon ce courrier, de ce que les dentistes ne sont pas assurés de pouvoir exercer leur activité dans le cadre qu'elle leur propose sans s'exposer à une sanction éventuelle de l'ordre des chirurgiens-dentistes et demandant ainsi à ce dernier de lui assurer qu'il n'entraverait pas " une action de santé publique ", et a précisé qu'à défaut de recevoir une telle assurance dans les meilleurs délais elle engagerait une action auprès des médias. Par courrier du 13 juillet 2017, le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a répondu à la société Incisiv qu'il ne pouvait qu'être favorable à la fourniture de prestations à ses membres leur facilitant leur activité professionnelle, notamment pour prodiguer occasionnellement des soins à l'extérieur de leur cabinet à des personnes ne pouvant se déplacer, mais qu'en revanche il ne pouvait se satisfaire d'une confusion entretenue par la société entre l'activité commerciale de location de matériel et la fourniture de soins dentaires, laquelle ne peut être réalisée que par un chirurgien-dentiste en toute indépendance, et précise que la société, en se présentant comme proposant elle-même au public une offre de soins dentaires à domicile et en EHPAD, contrevient notamment avec l'article L. 4111-1 du code de la santé publique et les règles d'exercice de la profession, concernant notamment le secret médical. Par ailleurs, le 27 juillet 2017, le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes a déféré un praticien partenaire de la société Incisiv devant la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des chirurgiens-dentistes d'Ile-de-France en raison du contrat qu'il aurait signé avec la société Incisiv et qui aurait pu, selon le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes, le conduire à enfreindre plusieurs règles du code de déontologie et de la santé publique. La société Incisiv a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 3 août 2018 du tribunal de commerce de Nanterre qui a désigné la SELARL de Keating comme liquidateur.

2. Dans ces circonstances, Mme C... et la SELARL de Keating en sa qualité de liquidateur de la société Incisiv ont formé auprès du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes et du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes des demandes indemnitaires préalables le 13 juin 2018 reçues le lendemain, qui ont été implicitement rejetées. Ils ont, ensuite, saisi le tribunal administratif de Paris pour demander la condamnation solidaire du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes à verser à Mme C... la somme de 90 000 euros et à la société de Keating, en qualité de liquidateur de la société Incisiv, la somme de 500 000 euros, en réparation des préjudices financiers et moraux que les requérantes estiment avoir subis du fait des décisions, selon elles illégales qui ont été prises et des agissements fautifs que ces derniers auraient commis. Le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande par jugement n° 1818045/6-2 du 5 novembre 2019, dont Mme C... et la SELARL de Keating relèvent appel.

Sur la régularité du jugement, s'agissant des demandes indemnitaires présentées à raison d'illégalités fautives reprochées au conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes et au conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes :

3. Mme C... et la SELARL de Keating soutiennent que le jugement contesté est entaché d'une dénaturation de sa demande qui n'était pas faite dans le cadre du recours pour excès de pouvoir mais d'un recours indemnitaire. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevable la demande présentée par Mme C... et la SELARL de Keating en tant qu'elle tendait à l'engagement de la responsabilité du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et de celle du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes à raison des illégalités fautives qui, selon les requérantes, auraient été commises, d'une part, par le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes dans ses réponses des 15 décembre 2016 et 13 juillet 2017 qui, selon les premiers juges ne sont pas des actes faisant grief et, d'autre part, par le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes dans sa décision du 27 juillet 2017 ayant déféré un praticien partenaire de la société Incisiv devant la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des chirurgiens-dentistes d'Ile-de-France dès lors que, selon les premiers juges, les requérantes ne disposent pas d'une qualité leur donnant intérêt pour contester la légalité de cette décision.

4. En premier lieu, il ressort de l'examen du jugement attaqué que les premiers juges, alors même qu'ils se sont fondés notamment sur le défaut d'intérêt à agir des requérantes pour contester la décision du 27 juillet 2017 du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes pour rejeter les conclusions indemnitaires présentées à ce titre, ont statué sur l'intégralité des conclusions indemnitaires qui lui étaient présentées par les requérantes. Il suit de là que le moyen tiré de l'omission à statuer les conclusions indemnitaires dont serait entaché le jugement attaqué, à le supposer soulevé, doit être écarté.

5. En second lieu, d'une part, si Mme C... et la SELARL de Keating ont entendu engager devant le tribunal administratif de Paris la responsabilité pour faute du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes à raison des réponses qu'il leur a faites les 15 décembre 2016 et 13 juillet 2017, elles n'ont invoqué dans leur demande aucun droit auquel ces réponses auraient en elles-mêmes porté une atteinte illégale. Or il ressort des pièces du dossier que ces courriers constituaient de simples réponses à une demande d'information de la société Incisiv sur la conformité d'un projet de convention avec les règles déontologiques applicables à l'ordre des chirurgiens-dentistes, rendue dans le cadre de la mission générale confiée à l'ordre par l'article L. 4121-2 du code de la santé publique. Ces réponses ne comportent ainsi pas de décisions faisant grief, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal. Et si Mme C... et la SELARL de Keating persistent à critiquer devant la Cour les termes de ces courriers, en alléguant qu'ils reposeraient sur le postulat erroné selon lequel le contrat de partenariat proposé par la société Incisiv serait non conforme à la déontologie des chirurgiens-dentistes, elles n'apportent aucune argumentation utile tendant à établir que ces courriers auraient comporté une décision leur faisant grief. Le premier juge a pu à bon droit considérer que les requérantes n'étaient pas recevables à demander réparation de préjudices qu'elles auraient subi en conséquence de l'illégalité fautive alléguée d'une décision contenue dans ces courriers, en l'absence de toute décision.

6. D'autre part, il ressort de la jurisprudence issue notamment de la décision du Conseil d'Etat du 23 juillet 1993, n° 94206, que la décision par laquelle le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes décide de traduire un chirurgien-dentiste en chambre de discipline n'est pas détachable de la procédure juridictionnelle suivie devant cette chambre, de sorte que la chambre de discipline est seule compétente pour se prononcer sur la légalité d'une telle décision. Dès lors que le tribunal administratif de Paris ne pouvait pas se prononcer sur la légalité de la décision du 27 juillet 2017 par laquelle le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes a déféré un praticien partenaire de la société Incisiv devant la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des chirurgiens-dentistes d'Ile-de-France, c'est à bon droit qu'il a rejeté, comme étant irrecevables, les conclusions indemnitaires présentées par les requérantes en réparation de l'illégalité alléguée de cette décision.

7. Il suit de là que Mme C... et la SELARL de Keating ne sont pas fondées à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité en tant qu'il a rejeté, comme étant irrecevables, leurs demandes indemnitaires présentées à raison d'illégalités fautives reprochées au conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes et au conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Sur le bien-fondé du jugement, s'agissant des demandes indemnitaires présentées à raison de pressions et agissements fautifs reprochés au conseil départemental de Paris au conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes :

8. Mme C... et la SELARL de Keating soutiennent que des pressions et agissements fautifs auraient été exercés par le conseil départemental de Paris et le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes sur les partenaires de la société Incisiv afin de les contraindre à cesser leur collaboration avec cette société. Elles ajoutent que ces pressions et agissements ont causé un préjudice direct et certain, d'une part, à la société Incisiv, constitué par la perte de chance d'obtenir des bénéfices et, d'autre part, à Mme C..., constitué d'un préjudice financier en raison de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de se faire rembourser, du fait de sa mise en liquidation judiciaire, son compte courant d'associé ainsi que la caution qu'elle a souscrite et qui lui est réclamée par le crédit coopératif dans une assignation du 27 avril 2018 et d'un préjudice moral du fait de l'atteinte portée à sa réputation du fait du placement en liquidation judiciaire de la société qu'elle dirigeait.

9. A l'appui de leur demande, les requérantes se prévalent de ce que la société Incisiv a favorisé la réalisation de soins dentaires par une centaine de partenaires chirurgiens-dentistes, dont sept intervenant régulièrement, sur toute l'Ile-de-France et également dans la région lyonnaise, au domicile des patients ainsi que dans plus de 350 EHPAD. Toutefois, contrairement à ce qu'elles soutiennent, la circonstance que trois chirurgiens-dentistes, partenaires de la société Incisiv, aient décidé de mettre fin à leurs relations contractuelles avec cette société après que le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ait décidé d'engager des poursuites disciplinaires contre deux praticiens, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'ils n'avaient pas respecté les règles déontologiques s'imposant à l'exercice de leur profession, donnant ainsi lieu à des signalements effectués par les familles de certains patients résidant en établissement pour personnes âgées à raison de factures particulièrement élevées de soins dentaires, ne peut, en tout état de cause, pas être regardée comme étant la cause directe, d'une part, pour la société Incisiv de la perte de chance d'obtenir des bénéfices que la société aurait pu légitimement espérer ni, d'autre part, pour Mme C..., de la situation financière résultant pour elle de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de se faire rembourser, du fait de la mise en liquidation judiciaire de la société Incisiv, son compte courant d'associé ainsi que la caution qu'elle a souscrite, ou du préjudice moral lié à l'atteinte portée à sa réputation du fait du placement en liquidation judiciaire de la société qu'elle dirigeait.

10. En outre, la circonstance que l'autorité de la concurrence a condamné, par une décision du 12 novembre 2020, le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes à une amende de 3 000 000 euros pour avoir organisé " une campagne destinée à encourager les chirurgiens-dentistes à porter plainte contre leurs confrères adhérents à Santéclair devant les conseils départementaux ", n'est pas de nature en elle-même à établir l'existence d'un lien de causalité entre les fautes alléguées par les requérantes et les préjudices dont elles demandent réparation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... et la SELARL de Keating ne sont pas fondées à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes indemnitaires présentées à l'encontre du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes et du conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Sur les frais de l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le conseil départemental de Paris et national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, soient condamnés à verser à Mme C... et à la SELARL de Keating la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner Mme C... et la SELARL de Keating par application des mêmes dispositions, à verser au conseil départemental de Paris et national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... et de la SELARL de Keating est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse C..., à la SELARL de Keating, au conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et au conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2021.

La présidente de la 8ème chambre,

H. VINOT

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

8

N° 19PA04268


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA04268
Date de la décision : 28/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : PUDLOWSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-01-28;19pa04268 ?
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