Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Monier a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 novembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. E... F... ainsi que la décision du 19 avril 2018 par laquelle la ministre chargée du travail a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail et d'enjoindre à l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement de M. F....
Par jugement n° 1809935/3-2 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé ces deux décisions et a enjoint à l'inspecteur du travail de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement de M. F..., présentée par la société Monier.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juillet et 7 octobre 2019, M. F..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1809935/3-2 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de la société Monier en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il n'existait aucune irrégularité dans la procédure de licenciement, alors que le délai de 5 jours prévu par l'article L. 1232-2 du code du travail qui s'imposait à l'employeur lors de la seconde convocation à l'entretien préalable n'a pas été respecté ;
- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;
- les faits fautifs étaient prescrits à la date à laquelle son employeur a engagé des poursuites disciplinaires à son encontre ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'absence de lien entre le projet de licenciement et son mandat de représentant de section syndicale.
Par un mémoire en appel incident, enregistré le 27 août 2019, la ministre du travail demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1809935/3-2 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Paris.
Elle soutient reprendre les moyens soulevés dans son mémoire de première instance qu'elle joint à son mémoire d'appel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2019, la société Monier, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête et de confirmer le jugement n° 1809935/3-2 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de M. F... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 10 octobre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 novembre 2019 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me D... substituant Me C..., avocat de la société Monier.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... a été recruté le 1er juin 1992 par la société Monier dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de technicien de production, et il exerce depuis 2012 les fonctions d'expert service après-vente. Il détient un mandat de représentant de section syndicale depuis le 27 mars 2017. Par courrier du 3 octobre 2017, son employeur a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire, en raison de l'enregistrement auquel il procédait à leur insu de ses collègues de travail, notamment son supérieur hiérarchique. Par une décision du 20 novembre 2017, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. F..., en se fondant sur trois motifs, tirés de l'irrégularité de la procédure suivie par la société Monier, de l'absence de matérialité de faits par ailleurs prescrits, et d'un doute quant à l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat. Par une décision du 19 avril 2018, la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspecteur du travail en se fondant sur la seule irrégularité de procédure, après avoir relevé que les faits dont le bien-fondé n'avait pas été examiné n'étaient pas prescrits et que la décision de l'inspecteur du travail était insuffisamment motivée sur la question de l'existence d'un lien entre la demande de licenciement et le mandat exercé par le salarié. La société Monier a formé un recours contre ces deux décisions devant le tribunal administratif de Paris, qui les a annulées par jugement n° 1809935/3-2 du 7 juin 2019. M. F... et la ministre du travail relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation ". Il résulte de ces dispositions que le délai minimal de cinq jours entre la convocation à l'entretien préalable au licenciement et la tenue de cet entretien constitue une formalité substantielle, dont la méconnaissance vicie la procédure de licenciement.
3. Il ressort des pièces du dossier que la société Monier a adressé, le 21 juillet 2017, à M. F... une convocation à un entretien préalable à son licenciement, prévu pour le 23 août 2017 et que le pli, présenté au domicile de M. F... le 22 juillet 2017, a été retourné à la société avec la mention " non distribué ". Si M. F... se trouvait en congés lorsque la convocation lui a été envoyée, il n'établit pas avoir effectué les démarches nécessaires pour que son courrier soit acheminé sur son lieu de villégiature, ainsi qu'il lui appartenait de le faire, de sorte que le délai de cinq jours, prescrit par les dispositions précitées de l'article L. 1232-2 du code du travail, séparant la notification de la convocation à l'entretien préalable et l'entretien lui-même, a été respecté.
4. Toutefois, la société Monier a décidé d'adresser, par lettre du 25 août 2017 reçue le 29 août 2017, une nouvelle convocation à M. F... à un entretien préalable organisé le 4 septembre 2017. Eu égard aux termes de ce second courrier, qui après le rappel selon lequel une précédente convocation à entretien préalable adressée par courrier du 21 juillet 2017 n'a pas été réclamée et a été retournée à la société, indique " Nous vous informons que nous sommes amenés à envisager à votre encontre une mesure de licenciement. En application des dispositions de l'article R. 1232-1 du code du travail nous vous prions de bien vouloir vous présenter le 04 septembre 2017 à 14 heures ... afin d'avoir un entretien sur cette éventuelle mesure ", la société doit être regardée comme ayant renoncé à l'entretien qu'elle avait prévu le 23 août 2017. Par suite, elle devait respecter le délai minimal de cinq jours entre la convocation à l'entretien préalable au licenciement et la tenue de cet entretien, le respect de ce délai constituant une formalité substantielle. Or il est constant que le délai entre la date de notification à M. F... de cette seconde lettre de convocation et celle de son entretien préalable de licenciement a été inférieur au délai légal de cinq jours prescrit par les dispositions l'article L. 1232-2 du code du travail. Dès lors, cette irrégularité substantielle a entaché la procédure de licenciement, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens de la requête de première instance de la société Monier.
Sur les autres moyens soulevés par la société Monier :
6. Dès lors que, comme il a été dit au point 4 du présent arrêt, le délai de cinq jours ouvrables prévu par les dispositions précitées de l'article L. 1232-2 du code du travail, qui est une formalité substantielle, n'a pas été respecté, ce vice entache d'irrégularité substantielle la procédure préalable de licenciement. En conséquence, l'inspecteur du travail et la ministre chargée du travail étaient tenus, ainsi qu'ils l'ont fait par les décisions des 20 novembre 2017 et 19 avril 2018, de refuser d'autoriser le licenciement de M. F.... Il suit de là que les autres moyens soulevés par la société Monier sont inopérants.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Paris doit être annulé et que la demande présentée au tribunal par la société Monier doit être rejetée.
Sur les frais de l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. F..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à la société Monier la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Monier par application des mêmes dispositions, à verser à M. F... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1809935/3-2 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La requête de la société Monier présentée devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de M. F... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... G... F..., à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à la société Monier.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2021.
La présidente de la 8ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02520