Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 4 juin 2020 par lequel le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités autrichiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2008476/8 du 6 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a admis M. C... à l'aide juridictionnelle à titre provisoire, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile, de lui remettre un dossier de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me B... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 août 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2008476/8 du 6 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; la faculté pour les autorités françaises d'examiner, au titre de l'article 17 du règlement n° 604/2013, une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors que cet examen ne leur incombe pas, ne constitue pas un droit pour le demandeur d'asile ; la décision portant transfert vers un pays membre de l'Union européenne, dans le cadre du règlement " Dublin ", n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner un ressortissant d'un pays tiers à destination de son pays d'origine ; dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté comme inopérant ; M. C... ne démontre pas, quand bien même il aurait épuisé toutes les voies de recours en Autriche, que les autorités autrichiennes ne procèderont pas à un nouvel examen de sa situation dans le respect de ses droits en tant que demandeur d'asile et n'évalueront pas à nouveau les risques réels et actuels de mauvais traitements qui pèseraient sur lui à titre personnel ou au titre de la protection subsidiaire en cas de renvoi éventuel dans son pays d'origine ; l'Autriche, membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est présumé respecter les droits fondamentaux et assurer un traitement des demandeurs d'asile respectueux de ces droits tels que protégés également par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; il n'est pas démontré que les autorités autrichiennes auraient fait une application inexacte de ces dispositions ; M. C... n'allègue ni ne justifie qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Autriche dans la procédure d'asile ni que les autorités autrichiennes n'auraient pas traité sa demande d'asile conformément aux garanties exigées par le respect du droit d'asile ; à supposer que la région de Kaboul, seul point d'entrée aérien en Afghanistan, serait caractérisée par un contexte de violence généralisée, M. C... n'apporte, au soutien de ses affirmations sur sa nationalité ou ses origines, aucun élément précis et vérifiable sur son lieu de naissance et sa résidence habituelle ; il n'apporte par ailleurs aucune précision sur ses conditions de vie dans la région de Kaboul ou dans sa région d'origine ni aucun élément circonstancié relatif à des traitements inhumains ou dégradants qu'il aurait personnellement subis ;
- pour le reste, il s'en remet aux écritures qu'il a présentées devant les premiers juges.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 septembre 2020, M. E... C..., représenté par Me A... B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de
1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au profit de son avocat sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que son conseil renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que les moyens invoqués par le préfet de police ne sont pas fondés.
M. C... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision n° 2020/029127 du 3 septembre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris.
Par une ordonnance du 29 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me B..., avocat de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., qui indique être né le 11 septembre 1994 en Afghanistan, pays dont il revendique la nationalité, s'est présenté aux services de la préfecture de police le 20 mars 2020 à fin d'enregistrement d'une demande de protection internationale. Par un arrêté du 4 juin 2020, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement n° 2008476/8 du 6 juillet 2020, dont le préfet de police relève appel, le Tribunal administratif de Paris a admis M. C... à l'aide juridictionnelle à titre provisoire, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile, de lui remettre un dossier de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me B... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour annuler l'arrêté en litige contesté devant lui en tant qu'il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le tribunal a relevé que, d'une part, la demande de protection internationale que M. C... avait présentée en Autriche avait été définitivement rejetée par une décision du 5 février 2018 de l'Office fédéral de l'immigration et des étrangers autrichien, le Tribunal administratif fédéral de la République d'Autriche ayant, le 17 février 2020, rejeté le recours dirigé contre cette décision et, d'autre part, compte tenu d'une politique de renvoi systématique des personnes déboutées du droit d'asile en Autriche, et du climat de violence généralisé en Afghanistan, où les violences continuent, M. C... encourrait un risque pour sa vie.
4. Toutefois, l'arrêté en litige ne prononce pas l'éloignement de M. C... à destination de l'Afghanistan, mais seulement son transfert vers l'Autriche. Par ailleurs, l'Autriche, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si M. C... s'est prévalu en première instance, ainsi qu'en appel, d'un extrait d'un rapport d'Amnesty International établi au mois d'octobre 2017, qui précise que " Kaboul, (...) est actuellement l'endroit le plus dangereux du pays pour les civils ", ainsi que d'une décision n° 17045561 C du 9 mars 2018 de la Cour nationale du droit d'asile, qui relève que " la situation de cette province doit donc, à la date de la présente décision, être regardée comme une situation de violence aveugle de haute intensité, laquelle doit être admise comme résultant d'un conflit armé interne opposant, d'une part, les éléments de l'armée nationale afghane soutenus par le mission Resolute Support de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et, d'autre part, les multiples acteurs armés ", il n'apporte aucun élément précis quant à sa provenance géographique en Afghanistan ni aucun élément établissant qu'à la date de l'arrêté en litige, le degré de violence généralisée résultant du conflit armé atteindrait une intensité telle qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu'il encourrait, du seul fait de son passage par cette zone, un risque réel de subir des menaces graves, directes et individuelles contre sa vie ou sa personne. En tout état de cause, M. C... ne produit aucun élément de nature à établir que les autorités autrichiennes, alors même que sa demande d'asile a été définitivement rejetée, l'éloigneront à destination de l'Afghanistan, sans procéder, préalablement, à une évaluation des risques auxquels il serait exposé en cas d'exécution d'une telle mesure d'éloignement, ni qu'il ne pourrait faire valoir, le cas échéant, des éléments nouveaux pour solliciter des autorités autrichiennes le réexamen de sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif susrappelé pour annuler son arrêté du 4 juin 2020.
5. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens soulevés par M. C... :
6. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre (...) ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre, le 20 mars 2020, date à laquelle il a présenté une demande de protection internationale, l'ensemble des informations nécessaires au suivi de sa demande d'asile et à l'engagement de la procédure de transfert, et tout particulièrement, la brochure d'information sur le règlement " Dublin III " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (brochure A) et le guide du demandeur d'asile en France, rédigés en langue dari, ainsi que la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin III " (brochure B) et la brochure d'information, rédigée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, relative à la base de données " Eurodac ", rédigées en langue pachtou, langue que l'intéressé ne soutient pas ne pas comprendre. Il ressort des pièces du dossier que ces brochures, dont M. C... a signé la première page sans émettre aucune réserve, lui ont été remises dans leur intégralité ainsi que cela ressort des mentions apposées sur chacune d'elles. Si le requérant a soutenu devant le tribunal qu'il n'aurait pas reçu les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend, il ressort des pièces du dossier que lors de l'entretien individuel réalisé en langue dari, il a confirmé comprendre les termes de cet entretien et n'a émis aucune réserve ni lors de la remise de deux brochures dans cette langue, ni lors de la remise des deux autres brochures en langue pachtou. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. C... n'aurait pas reçu dans une langue qu'il comprend, les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
8. Par ailleurs, la méconnaissance de l'obligation d'information sur l'utilisation, la conservation et le droit d'accès aux données collectées lors du relevé d'empreintes digitales, prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 et qui a uniquement pour objet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision portant remise aux autorités autrichiennes.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du
4 juin 2020, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. C..., de lui remettre un dossier de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me B... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2 et 3 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. C... devant le tribunal ainsi que les conclusions qu'il a présentées sur le même fondement devant la Cour.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2008476/8 du 6 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que les conclusions présentées sur le même fondement devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... C....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2020.
Le rapporteur,
S. D...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02177