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10/12/2020 | FRANCE | N°20PA02166,20PA02199

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 10 décembre 2020, 20PA02166,20PA02199


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 juin 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités croates responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2008308/8 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à Mme E... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours et mis à la charge de l'Etat une somme de

1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 juin 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités croates responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2008308/8 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à Mme E... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête n° 20PA02166 enregistrée le 7 août 2020 et un mémoire en réplique enregistré le 22 octobre 2020, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement n° 2008308 du 9 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté 3 juin 2020 portant transfert de Mme E... aux autorités croates responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- les autres moyens soulevés en première instance par Mme E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2020, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) de lui accorder, à titre provisoire, le bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) de rejeter la requête ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 28 septembre 2020.

II - Par une requête n° 20PA02199 enregistrée le 10 août 2020 et un mémoire en réplique enregistré le 22 octobre 2020, le préfet de police demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris n° 2008308 du 9 juillet 2020.

Il soutient que les moyens développés dans sa requête au fond sont sérieux et justifient l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la requête de Mme E....

Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2020, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) de lui accorder, à titre provisoire, le bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) de rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par le préfet de police ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2.000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions aux fins de sursis à exécution sont devenues sans objet, le préfet de police lui ayant délivré une attestation de demande d'asile en procédure normale, conformément à l'injonction faite par le tribunal administratif de Paris ;

- le préfet de police n'invoque aucun moyen sérieux.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 28 septembre 2020.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du même jour portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante iranienne née le 24 mai 2001, est entrée en France et a présenté une demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 17 février 2020. La consultation du fichier Eurodac a permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités croates le 22 octobre 2019. Saisies d'une demande de reprise en charge, les autorités croates ont fait connaître leur accord le 4 mars 2020. Le préfet a alors décidé, par un arrêté du 3 juin 2020, de remettre Mme E... aux autorités croates responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement n° 2008308 du 9 juillet 2020 par lequel le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par le préfet de police étant formés contre un même jugement, présentant à juger des mêmes questions et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur l'objet du litige :

3. La circonstance qu'en exécution du jugement attaqué, la demande d'asile formée par Mme E... auprès de la France soit, à la date de la présente décision, en cours d'examen ne rend pas sans objet le litige portant sur bien-fondé de ce jugement.

Sur l'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire :

4. Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a, par des décisions du 28 septembre 2020, accordé à Mme E... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, ses conclusions tendant à ce que soit prononcée son admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :

5. Aux termes du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 de ce règlement : " (...), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

6. Le système européen commun d'asile a été conçu de telle sorte qu'il est permis de supposer que l'ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux. Ainsi, il est présumé que la Croatie, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, assure un traitement des demandeurs d'asile respectueux de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cependant, cette présomption peut être renversée s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte.

7. Mme E... a fait valoir devant le tribunal que, lors de son passage en Croatie, les membres de sa famille ont, à plusieurs reprises, été arrêtés, emprisonnés et maltraités par les forces de police et qu'ils n'ont pas pu bénéficier de soins médicaux. D'une part, Mme E... n'établit pas, en se bornant à citer des extraits de documents sur la situation générale des demandeurs d'asile en Croatie émanant d'organisations non gouvernementales qu'il existait à la date de l'arrêté litigieux des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs en Croatie. D'autre part, la production d'attestations établies par des membres de sa famille ne suffit pas à établir qu'ils auraient été victimes des violences alléguées en Croatie. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existait à la date de l'arrêté contesté des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise effective aux autorités croates, Mme E... risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par suite, en décidant de ne pas examiner la demande d'asile de Mme E... comme le permettent les articles 3 et 17 précités du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Le tribunal administratif de Paris ne pouvait, dès lors, se fonder sur la méconnaissance de ces stipulations pour annuler la décision de transfert de Mme E... aux autorités croates. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé pour ce motif l'arrêté en litige.

8. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens invoqués à l'encontre de la décision attaquée :

9. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-00197 du 2 mars 2020, régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 10 mars 2018, le préfet de police a donné à

Mme F... C..., attachée d'administration de l'Etat, délégation à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives à la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Et, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".

11. La décision litigieuse vise les stipulations applicables de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le règlement 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement CE 343/2003 du Conseil de l'Union européenne établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etat membres par un ressortissant d'un pays tiers. La décision précise également que les autorités croates ont accepté le 4 mars 2020 de reprendre en charge Mme E... sur le fondement des dispositions du b) du 1) de l'article 18 du règlement CE n° 604/2013, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'elle n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités croates. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de l'arrêté en litige doit être écarté.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

13. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... s'est vu remettre, les 17 et 18 février 2020, le guide du demandeur d'asile ainsi que les documents d'information A, B et C, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ", " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " et " Les empreintes digitales et Eurodac ". Ces documents lui ont été remis en langue farsi, langue qu'elle a déclaré comprendre devant les services de la préfecture. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement précité doivent être écartées.

14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".

15. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a bénéficié, le 18 février 2020, d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture de police, mené avec l'assistance d'un interprète en persan, langue dont il n'est pas contesté que Mme E... la comprend. Il ressort en outre du compte-rendu de cet entretien que l'intéressée a été personnellement reçue par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que son nom n'est pas précisé dans le compte-rendu et qu'il ne disposerait pas d'une délégation de signature à cet effet. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

16. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ".

17. Il ressort des pièces du dossier que Mme E..., assistée d'un interprète, a été entendue le 18 février 2020 dans le cadre d'un entretien individuel, au cours duquel il lui a été loisible de former toute observation qu'elle jugeait pertinente relative à la procédure de demande d'asile. A cette occasion, lui ont également été remises les brochures " A " et " B " en langue farsi, expliquant la procédure applicable au traitement des demandes d'asiles. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du droit de présenter des observations et du principe du contradictoire doivent, en tout état de cause, être écartés.

18. En sixième lieu, il résulte de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride que, lorsque l'autorité administrative saisie d'une demande de protection internationale estime, au vu de la consultation du fichier Eurodac prévue par le règlement (UE) n° 603/2013 relatif à la création d'Eurodac, que l'examen de cette demande ne relève pas de la France, il lui appartient de saisir le ou les Etats qu'elle estime responsable de cet examen dans un délai maximum de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. À défaut de saisine dans ce délai, la France devient responsable de cette demande. Selon l'article 25 du même règlement, l'Etat requis dispose, dans cette hypothèse, d'un délai de deux semaines au-delà duquel, à défaut de réponse explicite à la saisine, il est réputé avoir accepté la reprise en charge du demandeur.

19. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Selon l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Le 2 de l'article 10 du même règlement précise que : " Lorsqu'il en est prié par l'Etat membre requérant, l'Etat membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse ".

20. Il résulte des dispositions citées ci-dessus du règlement (CE) n° 1560/2003 du

2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau Dublinet, par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux semaines au terme duquel la demande de reprise est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier Eurodac et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

21. Il ressort des pièces du dossier que les autorités croates ont été saisies d'une demande de reprise en charge de Mme E... comportant la référence 9930364978-750, identique à celle figurant sur le document émis par les autorités croates le 4 mars 2020 par lequel elles reconnaissent explicitement leur responsabilité. Ainsi, la réalité d'une demande de reprise en charge adressée à ces autorités est établie. Dès lors, le moyen tiré de l'absence de preuve de l'accord des autorités croates, au regard des articles 24 et 25 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, doit être écarté.

22. En septième lieu, Mme E... ne peut par ailleurs utilement faire valoir qu'elle serait personnellement exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour ultérieur en Iran, à l'encontre de la décision qu'elle conteste, qui ne prononce pas son éloignement vers ce pays mais son transfert aux autorités croates. En outre, la Croatie a accepté de reprendre en charge l'intéressée sur son territoire sur le fondement du b) du premier paragraphe de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, qui prévoit la reprise en charge de personne dont la demande d'asile est en cours d'examen. Au surplus, il n'est pas établi qu'en cas de rejet de sa demande, les autorités croates n'évalueront pas, avant l'exécution d'une mesure d'éloignement, les risques réels et actuels de mauvais traitements qui naîtraient pour elle du fait de son éventuel retour en Iran.

23. En huitième lieu, les conditions d'exécution de la mesure de transfert, à raison de la situation sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, demeurent également sans incidence sur la légalité de cette décision, qui s'apprécie à la date de son édiction.

24. En neuvième lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 5, Mme E... n'est pas fondée à invoquer l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Croatie pouvant conduire à un traitement inhumain et dégradant des intéressés dans ce pays. Pour les mêmes raisons et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date du 3 juin 2020, la situation sanitaire en Croatie faisait obstacle à ce que le transfert de Mme E... soit exécuté dans le délai de six mois prévu à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, elle n'établit pas que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'appliquer la clause discrétionnaire prévue par les articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

25. En dernier lieu, alors que le préfet de police a pris des décisions de remise aux autorités croates à l'encontre des parents de Mme E..., celle-ci n'est pas fondée à se prévaloir des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, d'un principe d'unité familiale.

26. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 3 juin 2020. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la demande de sursis à exécution :

27. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2008308 du tribunal administratif de Paris, les conclusions de la requête n° 20PA02199 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme E... tendant à ce que la Cour lui accorde à titre provisoire le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le jugement n° 2008308 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA02199 du préfet de police.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M.Gobeill, premier conseiller,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 décembre 2020.

Le président,

J. LAPOUZADE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 20PA02166, 20PA02199


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02166,20PA02199
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : AARPI ANGLADE et PAFUNDII

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-10;20pa02166.20pa02199 ?
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