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10/12/2020 | FRANCE | N°20PA01838,20PA01983

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 10 décembre 2020, 20PA01838,20PA01983


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2007793/8 du 24 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à M. B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours et

mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2007793/8 du 24 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police de délivrer à M. B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête n° 20PA01838 enregistrée le 23 juillet 2020 et un mémoire ampliatif enregistré le 29 juillet 2020, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2007793 du 24 juin 2020 par lesquels le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 22 mai 2020 portant transfert de M. B... aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile, lui a enjoint de délivrer à M. B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés.

II - Par une requête n° 20PA01983, enregistrée le 30 juillet 2020, le préfet de police demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris n° 2007793 du 24 juin 2020.

Il soutient que les moyens développés dans sa requête au fond sont sérieux et justifient l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la requête de M. B....

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du même jour portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1995, est entré en France et a présenté une demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 8 janvier 2020. La consultation du fichier Eurodac a permis d'établir que ses empreintes digitales avaient notamment été relevées par les autorités allemandes le 1er juillet 2015. Saisies d'une demande de reprise en charge, les autorités allemandes ont fait connaître leur accord le 24 janvier 2020. Le préfet a alors décidé, par un arrêté du 22 mai 2020, de remettre M. B... aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement n° 2007793 du 24 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par le préfet de police étant formés contre un même jugement, présentant à juger des mêmes questions et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :

3. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ".

4. Pour annuler l'arrêté en litige contesté devant lui, le tribunal a estimé que le préfet de police avait entaché son arrêté d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au motif qu'en cas de retour dans son pays d'origine, M. B... se trouverait exposé à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants dès lors qu'une situation de violence généralisée prévalait à Kaboul, seul point d'entrée sur le territoire afghan par voie aérienne depuis l'étranger. Il a, par ailleurs, indiqué qu'il existait de fortes probabilités, compte tenu d'une politique de renvoi systématique des déboutés du droit d'asile par l'Allemagne, que M. B... soit renvoyé dans son pays d'origine dès lors que la demande d'asile qu'il avait déposée en Allemagne avait été définitivement rejetée et qu'il avait fait l'objet d'une mesure d'interdiction de retour sur le territoire allemand pour une durée de trente mois.

5. Toutefois, l'arrêté en litige ne prononce pas l'éloignement de M. B... à destination de l'Afghanistan, mais seulement son transfert vers l'Allemagne. Contrairement à ce que semblait soutenir le requérant, l'Allemagne ayant accepté sa reprise, l'interdiction de retour qu'elle avait antérieurement édictée à son encontre est devenue caduque. En outre, si M. B... a soutenu en première instance qu'il craignait des persécutions en cas de retour dans son pays d'origine au vu de la situation sécuritaire à Kaboul et dans la province dont il est originaire, marquée par " des affrontements avec les talibans " et les " atrocités commises par l'organisation état islamique ", il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Allemagne, Etat membre de l'Union européenne, qui est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'éloignera à destination de l'Afghanistan, sans procéder, préalablement, à une évaluation des risques auxquels il serait exposé en cas d'exécution d'une telle mesure d'éloignement. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que M. B... ne pourrait faire valoir le cas échéant des éléments nouveaux pour solliciter des autorités allemandes le réexamen de sa demande d'asile. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif susrappelé pour annuler son arrêté du 22 mai 2020.

6. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens invoqués à l'encontre de la décision attaquée :

7. En premier lieu, l'arrêté du préfet de police du 22 mai 2020 portant transfert de M. B... vers les autorités allemandes vise notamment le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. D'une part, il précise que M. B... est entré irrégulièrement sur le territoire français et s'y est maintenu sans être muni des documents et visas exigés par les textes en vigueur. D'autre part, il indique que les empreintes de M. B... ont été relevées et ont permis d'établir, après confrontation avec les bases de données européennes " Eurodac ", qu'il avait précédemment déposé une demande d'asile en Allemagne le 1er juillet 2015 et le 18 février 2019 et que les autorités compétentes de cet Etat avaient accepté le 24 janvier 2020 de le reprendre en charge en application des dispositions du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, et qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, il ne relevait pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 de ce règlement. Enfin, il ressort des mentions de l'arrêté litigieux que le préfet a examiné la situation de M. B... au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu à l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. Ainsi, l'arrêté portant transfert de M. B... vers les autorités allemandes est suffisamment motivé, alors même qu'il n'expose pas les éléments qui ont amené le préfet de police, au regard des critères énoncés aux articles 7 à 15 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et des conditions de leur mise en oeuvre, à considérer que l'Allemagne était responsable de l'examen de la demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté litigieux ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

9. Il ressort du compte rendu de l'entretien individuel du 9 janvier 2020 que M. B... a bénéficié, ainsi que le permettent les dispositions précitées de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'assistance par téléphone d'un interprète en langue dari de la société ISM interprétariat, agréé par l'administration. Il ressort en outre du compte-rendu de cet entretien que l'intéressé a été personnellement reçu par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que son nom n'est pas précisé dans le compte-rendu. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 9 janvier 2020, le guide du demandeur d'asile ainsi que les documents d'information A, B et C, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ", " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " et " Les empreintes digitales et Eurodac ". Ces documents lui ont été remis en langue dari, langue qu'il a déclaré comprendre devant les services de la préfecture. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement précité doivent être écartées.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 mai 2020. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la demande de sursis à exécution :

13. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2007793 du tribunal administratif de Paris, les conclusions de la requête n° 20PA01983 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2007793 du 24 juin 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA01983 du préfet de police.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M.Gobeill, premier conseiller,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 décembre 2020.

Le président,

J. LAPOUZADE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 20PA01838, 20PA01983


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01838,20PA01983
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : DUCOIN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-10;20pa01838.20pa01983 ?
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