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10/12/2020 | FRANCE | N°18PA03773

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 10 décembre 2020, 18PA03773


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser une somme au moins égale aux indemnisations supplémentaires mises à sa charge ainsi qu'à celle de M. A..., au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales pour les années 1997, 1998 et 1999, tant au principal qu'en ce qui concerne les majorations, pénalités, intérêts et frais y correspondant.

Par une ordonnance n° 1607285 du 8 octobre 2018, la présidente de la 1ère section du Tribunal a

dministratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une req...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser une somme au moins égale aux indemnisations supplémentaires mises à sa charge ainsi qu'à celle de M. A..., au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales pour les années 1997, 1998 et 1999, tant au principal qu'en ce qui concerne les majorations, pénalités, intérêts et frais y correspondant.

Par une ordonnance n° 1607285 du 8 octobre 2018, la présidente de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 3 décembre 2018, le 22 mars 2019 et le 10 novembre 2019, Mme B..., représentée par Me D... B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1607285 du 8 octobre 2018 de la présidente de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de reconnaître la faute de la direction générale des finances publiques et d'en déduire que la procédure de visite et de saisie du 20 avril 2000 était contraire aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de lui accorder une indemnisation d'un montant égal aux impositions supplémentaires mises à sa charge, ainsi qu'à celle de M. A... au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 1997, 1998 et 1999 accompagnées des majorations, des pénalités et des frais correspondants ;

3°) de lui accorder des dommages et intérêts de 1 398 400 euros, accompagnés des intérêts de retard au taux annuel de 5 % à compter du 2 mars 2016 ;

4°) de mettre à la charge du ministre de l'action et des comptes publics la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme B... soutient que :

- la procédure régie par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales est une perquisition à des fins de collecte de renseignements qui correspond, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt du 21 février 2008 18497/03 Ravon c/France) et selon la doctrine de l'administration fiscale elle-même, à une activité extra-fiscale ayant un caractère civil de l'administration des finances publiques. Elle se rattache en effet à une opération de recherche de renseignements bien distincte des opérations d'établissement ou de recouvrement de l'impôt. Cette action indemnitaire relève de la compétence des juridictions administratives selon la jurisprudence comme la doctrine fiscale ;

- l'administration a commis une faute dans le cadre de la procédure de visite et de saisie du 20 avril 2000 qui consiste dans la violation de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) qui offrait rétroactivement la possibilité d'un appel et d'un recours contre cette procédure devant le premier président de la Cour d'appel en obligeant l'administration à informer les personnes visées par l'ordonnance autorisant la perquisition de cette nouvelle possibilité créé par la LME. Comme Mme B... n'a pas été avisée alors qu'elle était nommément visée par l'ordonnance, il s'agit donc bien d'une faute affectant une activité extra-fiscale de l'administration dont la responsabilité incombe à l'administration fiscale et pour laquelle le juge administratif est seul compétent ;

- si l'administration estime qu'elle n'était pas bénéficiaire de l'obligation d'information établie par la loi LME en son article 164 IV-3, il ressort de l'arrêt n° 16-27561 du 27 juin 2018 de la chambre commerciale de la Cour de cassation que toutes les personnes concernées par la procédure et notamment tous les occupants des lieux dont la visite a été autorisée, ce qui est naturellement son cas, puisque les lieux situés au 62 chemin de l'Eglise, à Vétraz-Monthoux (74100) constituaient son domicile permanent, et sur lesquelles pesaient les soupçons de fraude fiscale, sont les bénéficiaires du droit de recours créé par la loi LME et devaient donc être informés par l'administration fiscale de l'existence du recours. Il est constant qu'elle n'a pas été destinataire d'une telle information ;

- comme cette faute n'est pas liée aux opérations d'assiette et de recouvrement, le fait de ne pas avoir obtenu gain de cause en l'état des instances devant les juridictions contentieuses est sans incidence ni sur la recevabilité ni sur le bien-fondé de son action indemnitaire ;

- l'administration devait donc informer sur le fondement de la loi LME, a fortiori en l'absence de décision passée en force de chose jugée à l'époque, des voies de recours que cette loi avait créées pour purger les vices de la procédure de visite antérieure instituée par une loi qui violait les stipulations conventionnelles précitées ;

- la Cour européenne a précisé qu'en matière de visite domiciliaire, les personnes visées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la perquisition et que le seul pouvoir en cassation, qui était prévu par les dispositions antérieures, ne répondait pas aux exigences conventionnelles ;

- la Cour précisait également que l'instance dans laquelle le juge examinait la requête de l'administration sollicitant la perquisition, dans l'ignorance de laquelle la personne visée était par définition tenue et qui ne pouvait donc faire valoir son propre point de vue, n'était pas conforme à l'article 6 §1 de la convention ;

- cette jurisprudence conventionnelle doit être respectée par les juridictions administratives auxquelles elle s'impose en vertu de la hiérarchie des normes ;

- la requérante, en tant que personne physique et non en sa qualité de personne associée à la SARL ARGOS dont M. A... était le gérant et l'unique salarié, était visée nominativement par l'ordonnance de visite et de saisie puisque dans la requête présentée aux fins d'obtention de la procédure, l'administration a fait figurer ses déclarations de revenus de 1997 et 1998, c'est-à-dire celle d'une personne physique, une fiche d'évaluation modèle 6675 relative à son domicile, une déclaration de représentant fiscal qu'elle avait signée comme gérante de la SARL. Elle était explicitement citée par l'ordonnance comme faisant partie des personnes physiques et morales occupant les locaux objets de la visite sollicitée par l'administration et autorisée par le juge ;

- la présidente de la 1ère section s'est méprise en estimant qu'elle faisait valoir sa qualité d'associée et d'ancienne gérante de la SARL alors qu'elle fait valoir au contraire sa qualité de personne physique visée explicitement par l'ordonnance du juge autorisant la visite domiciliaire et les saisies. Par conséquent, le fait que les dispositions de l'article L. 54 A du livre des procédures fiscales donnent qualité à chacun des époux pour suivre les procédures relatives à l'imposition de l'ensemble des revenus du foyer restait sans incidence sur son action indemnitaire qui se fonde explicitement sur la mise en cause d'une faute de l'administration relative à une activité extra-fiscale ayant un caractère civil, la procédure réalisée sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, et qui ne se rattache donc pas aux opérations d'assiette et de recouvrement ;

- c'est pourquoi la lettre du 11 décembre 2008 par laquelle la direction générale des finances publique a informé M. A... de l'existence des voies de recours prévues par la loi modernisation de l'économie (LME) ne peut satisfaire aux obligations instaurées par cette loi dont elle aurait dû bénéficier. La procédure de visite et de saisie relève d'une opération de nature civile et les dispositions de l'article L. 54 A du livre des procédures fiscales ne lui sont pas opposables puisqu'elle est visée comme personne physique et non comme contribuable membre d'un foyer fiscal. Elle aurait donc dû être personnellement informée de sa faculté de saisine d'un juge de la procédure de perquisition ;

- elle prend acte de ce que l'administration reconnaît qu'elle n'a écrit à M. A... qu'uniquement en tant que représentant légal de la SARL et non qu'en tant que contribuable. L'administration ne peut donc pas à plus forte raison demander le bénéfice de l'application de l'article L. 54 du livre des procédures fiscales puisque ce n'est que le gérant de la SARL qui a été informé et non un membre du foyer fiscal qu'elle formait avec lui ;

- les arrêts définitifs de la Cour administrative d'appel de Lyon reconnaissent dans leurs considérants et notamment au point 14 qu'une faute a été commise par la direction générale des finances publiques contre elle. Cette faute de l'administration fiscale n'est d'ailleurs pas susceptible d'être corrigée à présent en raison du caractère définitif des dommages qui ont été causés et du caractère substantiel de la garantie ;

- les conséquences de cette faute sont en effet que Mme B... a été privée du bénéfice des mesures transitoires prévues par la loi LME qui auraient permis de faire annuler la procédure et de neutraliser toutes les pièces qui ont été obtenues et sur lesquelles se sont fonder les rehaussements et signalement ultérieurs de l'administration. Dès lors, les procès-verbaux rédigés le 20 avril 2000 étaient nuls et inopposables. Ainsi, la SARL ne pouvait être considérée comme ayant un domicile fiscal en France et l'ensemble des impositions supplémentaires n'auraient pas dû être assignées. De même l'administration n'aurait pas dû demander la radiation de M. A... de l'ordre des experts-comptables. Cette radiation a fait perdre à M. A... le bénéfice de toute collaboration avec la société Gemini Conseil SA et la perte du chiffre d'affaire, et des revenus, qui en étaient le fruit ;

- la poursuite de la collaboration entre la SARL ARGOS et la SA Gemini Conseil n'est pas éventuelle. Elle est d'autant plus certaine que M. A... était le président des deux sociétés. Ainsi, la collaboration ne s'est arrêtée que parce qu'il a été radié de l'ordre consécutivement à la plainte introduite par l'administration ;

- le lien de causalité direct entre la faute de l'administration, en s'abstenant de l'informer, qui aurait conduit à l'annulation de la procédure de visite et de saisie, et donc à priver de base légale et factuelle tous les rehaussements consécutifs tant pour les personnes physiques que morales visées par l'ordonnance, et l'action pénale ordinale consécutive et la perte de revenus y associée, est parfaitement établi et n'est pas sérieusement discutable ;

- la requérante démontre la réalité de ce préjudice de perte de revenus à partir de la présentation détaillée de l'activité de la SARL avec la SA antérieure à la procédure critiquée et qui aurait dû se poursuivre. Le préjudice étant certain et non simplement éventuel, il doit être réparé entièrement selon le principe d'obligation de restitutio in integrum. Le principe de l'arrêt du Conseil d'Etat de 1912, Lafage (n° 42612) oblige à la réparation dans l'ordre juridiction de toute décision illégale et de ses conséquences.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 mars 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé pour les motifs suivants :

- seule la société était visée, et la qualité d'associée ne lui donnait pas qualité sur le fondement de la loi LME pour recevoir l'information légale qui ne concernait que le représentant légal de la société, son époux ;

- les impositions étant définitives, la responsabilité de l'État ne peut pas être engagée ;

- les impositions ne peuvent faire partie du préjudice indemnisable ;

- le préjudice financier allégué n'est pas certain et le lien de causalité n'est pas démontré.

Les parties ont été informées de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, et tiré de ce que l'ordonnance attaquée n° 1607285 du 8 octobre 2018 de la présidente de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris ne pouvait, pour rejeter les conclusions indemnitaires présentées par Mme B..., se fonder sur les dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative pour rejeter " les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ".

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) et de l'arrêt Ravon et autres c/ France (n° 18497/03) du 21 février 2008 de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;

- le décret n° 2026-516 du 5 mai 2020 ;

- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public.

Une note en délibéré enregistrée le 16 novembre 2020 a été produite pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... relève appel de l'ordonnance n° 1607285 du 8 octobre 2018 de la présidente de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris rejetant sa demande formée devant ce tribunal de l'indemniser d'une faute commise par l'administration en ne l'informant pas en 2008 des voies de recours contre la procédure de visite et de saisie qui la visait personnellement et dont elle aurait dû bénéficier sur le fondement de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) et de l'arrêt Ravon et autres c/ France (n° 18497/03) du 21 février 2008 de la Cour européenne des droits de l'homme créant une possibilité de saisine du juge judiciaire contre les procédures de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales accompagnée d'une obligation d'information des personnes visées par ces procédures dans le chef de l'administration quant à l'existence de cette nouvelle garantie.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. L'article 164 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a prévu, pour les opérations mentionnées à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales pour lesquelles le procès-verbal ou l'inventaire avait été remis ou réceptionné antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi comme suite à l'arrêt Ravon et autres c/ France (n° 18497/03) du 21 février 2008 par lequel la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que les voies de recours ouvertes aux contribuables pour contester la régularité des visites et saisies opérées sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ne garantissaient pas l'accès à un procès équitable au sens de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une procédure d'appel devant le premier président de la cour d'appel contre l'ordonnance autorisant la visite et un recours devant ce même juge contre le déroulement des opérations de visite et de saisie, les ordonnances rendues par ce dernier étant susceptibles d'un pourvoi en cassation. Le d) du 1 du IV du même article 164 dispose, d'une part, que cet appel et ce recours sont ouverts notamment : " lorsque, à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une procédure de visite et de saisie, des impositions ont été établies (...) et qu'elles font (...) l'objet, à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, (...) d'un recours contentieux devant le juge, sous réserve des affaires dans lesquelles des décisions sont passées en force de chose jugée " et, d'autre part, que " le juge, informé par l'auteur de l'appel ou du recours ou par l'administration, sursoit alors à statuer jusqu'au prononcé de l'ordonnance du premier président de la cour d'appel ".

3. Le 3 du IV de ce même article 164 de la loi du 4 août 2008 fait obligation à l'administration d'informer les personnes visées par l'ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie de l'existence de ces voies de recours et du délai de deux mois ouvert à compter de la réception de cette information pour, le cas échéant, faire appel de l'ordonnance ou former un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie, cet appel et ce recours étant exclusifs de toute appréciation par le juge du fond de la régularité du déroulement de ces opérations. Il précise qu'en l'absence d'information de la part de l'administration, ces personnes peuvent exercer cet appel ou ce recours sans condition de délai. En outre, il résulte d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation que cette contestation peut également être formée par des tiers, dès lors que des impositions ont été établies, ou des rectifications effectuées, à leur encontre, à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une telle opération. Il appartient ainsi à un tiers, s'il s'y croit fondé et, en cas d'absence d'information de la part de l'administration sur l'existence de ces voies de recours, sans condition de délai, de saisir le premier président de la cour d'appel.

4. L'obligation d'information qui pèse ainsi sur l'administration fiscale ne peut être regardée comme satisfaite que si le contribuable a été effectivement mis à même d'exercer les voies de recours ouvertes par les dispositions du IV de l'article 164 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie par la communication de l'ordonnance autorisant la visite, du procès-verbal de saisie et, le cas échéant, de l'inventaire des pièces et documents saisis. Il appartient à l'administration de s'assurer que le contribuable a été destinataire de ces pièces dans le cadre de la procédure de visite. Si tel n'est pas le cas, notamment en raison de sa qualité de tiers, l'administration est tenue de les lui transmettre.

5. Le ministre de l'économie et des finances soutient que la question de savoir si l'administration a commis une faute en privant Mme B... du bénéfice de la garantie évoquée aux points 6 à 8 de l'arrêt ne serait pas détachable de la procédure autorisée par le vice-président du Tribunal de grande instance, laquelle relève de la compétence du juge judiciaire. Or, l'appréciation de cette garantie n'implique de se prononcer ni sur la régularité des ordonnances du juge judiciaire autorisant des opérations de visite et saisie, ni sur la régularité de ces opérations, mais sur l'existence d'une information suffisante de la contribuable sur les voies de recours créées rétroactivement par la loi. Ainsi, le juge administratif est compétent pour dire si l'administration a mis à même Mme B... d'exercer effectivement les voies de recours ouvertes dans des conditions conformes aux dispositions du IV de l'article 164 de la loi du 4 août 2008.

Sur la régularité de l'ordonnance:

6. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance (...)4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ".

7. Il ressort de la demande indemnitaire présentée par Mme B... devant les premiers juges que cette dernière soulevait le moyen tiré de la faute qu'aurait commise l'administration en ne l'informant pas, en sa qualité de personne physique visée par la procédure de visite et de saisie, de l'existence des voies de recours ouvertes par les dispositions du IV de l'article 164 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie contre l'ordonnance de visite et de saisie du Tribunal de grande instance de Thonon en date du 19 avril 2000 dans laquelle elle était personnellement visée. Dès lors que ce moyen n'était ni manifestement infondé, irrecevable, inopérant ou non assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, la présidente de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris ne pouvait rejeter la requête de Mme B... en se fondant sur les dispositions précitées du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

8. Il y a dès lors lieu d'annuler cette ordonnance et de statuer immédiatement sur la demande de Mme B... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur la demande indemnitaire:

En ce qui concerne la compétence territoriale :

9. D'une part, aux termes de l'article R. 312-14 du code de justice administrative : " Les actions en responsabilité fondées sur une cause autre que la méconnaissance d'un contrat ou d'un quasi-contrat et dirigées contre l'État (...) relèvent : (...) / 2° Lorsque le dommage invoqué est un dommage de travaux publics ou est imputable soit à un accident de la circulation, soit à un fait ou à un agissement administratif, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu où le fait générateur du dommage s'est produit (...) ".

10. D'autre part aux termes de l'article R.351-3 du même code: " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'État, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente. Toutefois, en cas de difficultés particulières, il peut transmettre sans délai le dossier au président de la section du contentieux du Conseil d'État qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l'affaire à la juridiction qu'il déclare compétente. "

11. Enfin aux termes du décret n° 2026-516 du 5 mai 2020 modifiant le ressort des cours administratives d'appel : " Article 1er : - L'article R. 221-7 du code de justice administrative est ainsi modifié : (...) 2° Le huitième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes: " Paris : ressort des tribunaux administratifs de Melun, Montreuil, Paris, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna ".

12. Il résulte de l'instruction que la requérante fonde le préjudice qu'elle estime avoir subi sur une faute de la direction nationale des enquêtes fiscales dont les locaux sont situés à Saint Denis (93) dans le ressort du Tribunal administratif de Montreuil. Le Tribunal administratif de Montreuil étant, à la date du présent arrêt, situé dans le ressort de la Cour administrative d'appel de Paris, il y a lieu pour la Cour, dans un souci de bonne administration de la justice, de se prononcer immédiatement sur la demande présentée à tort par la requérante devant le Tribunal administratif de Paris.

En ce qui concerne l'existence de la faute alléguée de la direction nationale des enquêtes fiscales :

13. Aux termes du deuxième alinéa du 1 de l'article 6 du code général des impôts : " (...) les personnes mariées sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles (...) ; cette imposition est établie au nom de l'époux, précédé de la mention "Monsieur ou Madame" ". Aux termes de l'article L. 54 A du livre des procédures fiscales : " (...) chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer. Les déclarations, les réponses, les actes de procédure faits par l'un des conjoints ou notifiés à l'un deux sont opposables de plein droit à l'autre ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 57 du même livre : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Les dispositions précitées instituent une présomption irréfragable de représentation mutuelle entre les personnes soumises à imposition commune pour la procédure de contrôle de l'impôt dû au titre des revenus perçus au cours de la période d'imposition commune.

14. Il est constant que Mme B... était personnellement visée par l'ordonnance de visite et de saisie du Tribunal de grande instance de Thonon en date du 19 avril 2000 et qu'elle n'a pas bénéficié de la garantie présentée aux points 6 à 8 du présent arrêt. Dès lors, la requérante est fondée à soutenir que cette abstention de l'administration de l'informer constitue une faute.

En ce qui concerne le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué :

15. Mme B... soutient que, si l'administration n'avait pas commis la faute établie aux points 13 et 14, la procédure de visite et de saisie aurait été annulée, privant de base légale et factuelle tous les rehaussements utilisés dans le cadre des procédures fiscales consécutives tant pour les personnes physiques que morales qui étaient visées par l'ordonnance, ainsi que l'action pénale ordinale également consécutive à ces procédures, comme la perte de revenus qui en constitue la conséquence directe.

16. Il résulte cependant de l'instruction que, tant la SARL ARGOS que son gérant, M. A..., mari de la requérante, vivant sous le même toit à l'époque des faits, ont pour leur part été informés, et il est également constant qu'ils n'ont pas jugé utile de former un recours contre l'ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie ni contre le déroulement de ces opérations. Dès lors, indépendamment de la question de savoir si un tel recours aurait pu entraîner l'annulation de ladite ordonnance, le lien de causalité entre les préjudices allégués et la faute commise par l'administration n'est pas établi.

17. Dès lors, en l'absence d'un tel lien de causalité entre la faute commise par la direction nationale des enquêtes fiscales et l'ensemble des préjudices allégués, les conclusions indemnitaires présentées devant le Tribunal par Mme B... ainsi que le surplus des conclusions indemnitaires présentées en appel doivent être rejetés. Par voie de conséquence, sa requête, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les demandes abandonnées en appel, et y compris les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'État n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 1607285 du 8 octobre 2018 de la présidente de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques, service juridique de la fiscalité, sous-direction du contentieux des impôt des professionnels (Bureau JF-2A).

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- M. Platillero, président assesseur,

- M. C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 décembre 2020.

Le rapporteur,

B. C...Le président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

F. DUBUY-THIAM

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03773


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03773
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-02 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Revenus fonciers.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. Bruno SIBILLI
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : BRUGGER

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-10;18pa03773 ?
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