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03/12/2020 | FRANCE | N°17PA03134

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 03 décembre 2020, 17PA03134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'ordonner une expertise médicale et, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 170 631,42 euros et l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 57 258,15 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des conséquences dommageables du t

raitement par Butazolidine qui lui a été prescrit le 9 octobre 2001 à l'hôp...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'ordonner une expertise médicale et, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 170 631,42 euros et l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 57 258,15 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des conséquences dommageables du traitement par Butazolidine qui lui a été prescrit le 9 octobre 2001 à l'hôpital Saint-Antoine, et, enfin, de mettre à la charge solidaire de l'ONIAM et de l'AP-HP une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1607876/6-1 du 21 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 septembre 2017, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1607876/6-1 du 21 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris ;

2°) à titre principal, d'ordonner une mesure d'expertise médicale ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 168 624,42 euros et l'AP-HP à lui verser la somme totale de 56 208,15 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des conséquences dommageables du traitement par Butazolidine qui lui a été prescrit le 9 octobre 2001 à l'hôpital Saint-Antoine de Paris ;

4°) de mettre à la charge solidaire de l'ONIAM et de l'AP-HP une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'aggravation de son état de santé justifie une nouvelle mesure d'expertise ;

- elle est fondée, en application de l'article L. 1142-8 du code de la santé publique, à contester l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux en tant que celui-ci n'a pas retenu trois chefs de préjudices : le déficit fonctionnel partiel postérieur à juin 2002, les frais d'assistance par une tierce personne et le préjudice sexuel ;

- c'est à tort que le tribunal a rejeté ses demandes indemnitaires présentées à titre subsidiaire comme étant irrecevables pour tardiveté ; elle n'a pas été en mesure de saisir le tribunal administratif de Paris avant 2016 en raison de nombreuses difficultés familiales, de sa situation financière et de l'aggravation de son état de santé ;

- le tribunal n'a pas examiné les circonstances particulières susmentionnées qu'elle avait invoquées devant lui pour justifier la circonstance qu'elle n'avait pu le saisir qu'en 2016.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2018, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et des conclusions qui seraient formées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

Elle soutient que :

S'agissant de l'indemnisation des préjudices initiaux :

- c'est à bon droit et par des motifs qui ne sont pas contestés par la requérante que le tribunal a jugé que les conclusions relatives aux préjudices initiaux résultant pour l'intéressée de la faute alléguée de l'AP-HP étaient tardives et que, par ailleurs, l'offre d'indemnisation formulée par l'ONIAM avait également acquis un caractère définitif faute d'avoir été contestée dans un délai raisonnable ; dans ces conditions, l'expertise sollicitée en tant qu'elle porte sur les préjudices subis antérieurement par Mme C... ne présente aucune utilité ;

- il résulte également de ce qui précède que Mme C... n'est pas recevable à solliciter de l'AP-HP et de l'ONIAM l'indemnisation de ses préjudices initiaux ; la circonstance que l'offre d'indemnisation de l'AP-HP du 6 décembre 2011 ne portait pas sur certains préjudices est sans incidence sur cette appréciation ;

S'agissant de l'indemnisation de l'aggravation des préjudices :

- la preuve de l'aggravation de l'état de santé de Mme C... en lien avec l'administration de Butazolidine n'est pas rapportée ; il s'ensuit que l'expertise médicale sollicitée ne présente sur ce point aucune utilité ;

- la requérante n'est donc pas fondée à demander la condamnation de l'AP-HP et de l'ONIAM à lui verser une indemnité au titre de l'aggravation de son état de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., avocat de Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née en 1959, a présenté en septembre 2001 un syndrome de Fiessenger-Leroy-Reiter, forme de spondylarthrite, qui a été traité dans un premier temps par un traitement à base de Voltarène. Ce traitement se révélant inefficace, le chef du service de médecine interne de l'hôpital Saint-Antoine lui a prescrit le 9 octobre 2001 un traitement de deux mois par Butazolidine. En réaction à cette prescription, Mme C... a développé un syndrome de Stevens-Johnson qui a nécessité son hospitalisation pendant quatorze jours. A sa sortie de l'hôpital le 13 novembre 2001, Mme C... conservait des lésions dermatologiques et ophtalmologiques. Le 29 avril 2004, Mme C... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'Ile-de-France qui, sur le fondement de l'expertise qu'elle a diligentée, a estimé par un avis du 6 octobre 2005 que le dommage subi par l'intéressée résultait d'un accident médical dont l'indemnisation incombait à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, mais qu'une faute médicale engageant la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) y avait concouru à hauteur de 25 %. A la suite de cet avis, l'ONIAM a adressé à Mme C... une offre provisionnelle en date du 24 mars 2006 d'un montant de 4 893 euros qui lui a été versée. Le 8 janvier 2007, Mme C... a refusé l'offre transactionnelle du 29 décembre 2006 de l'ONIAM d'un montant de 8 388,58 euros. Mme C... a également refusé l'indemnité de 2 425 euros proposée par l'AP-HP le 6 décembre 2011. Mme C... relève appel du jugement du 21 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à ce qu'une nouvelle expertise médicale soit prescrite, et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'ONIAM et de l'AP-HP à lui verser respectivement les sommes de 170 631,42 euros et de 57 258,15 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des conséquences dommageables du traitement par Butazolidine.

Sur les conclusions principales à fin d'expertise :

En ce qui concerne la demande d'expertise portant sur l'aggravation de l'état de santé de Mme C... :

2. Mme C... soutient que son état de santé s'est aggravé depuis l'expertise ordonnée par la CCI d'Ile-de-France et réalisée le 4 mai 2005, sa pathologie ayant évolué en un syndrome de Lyell. Elle verse au dossier des certificats médicaux des 24 mars 2009 et 24 janvier 2013 du docteur Drouin du service d'ophtalmologie du groupe hospitalier Bichat Claude Bernard mentionnant qu'elle conserve des " séquelles de syndrome de Lyell aux deux yeux ", consistant notamment en un syndrome sec bilatéral important et des cils trichiasiques. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise ordonnée par la CCI d'Ile-de-France et déposé le 22 juillet 2005, qu'à la suite d'une " allergie médicamenteuse " au Butazolidine, Mme C... a présenté une nécrolyse épidermique, caractérisée par la destruction brutale de la couche superficielle de la peau et des muqueuses et que le diagnostic du syndrome de Stevens-Johnson a été posé. Il ressort des termes de ce rapport qu'il existe " un continuum entre le syndrome de Stevens Johnson et le syndrome de Lyell, la transition apparaissant entre 10 et 30% d'épiderme nécrosé et le syndrome de Lyell-Net au dessus de 30% ", ce dernier correspondant à une forme plus étendue et, par conséquent, encore plus grave, de nécrolyse épidermique. En l'espèce, les experts ont relevé que la surface de l'épiderme nécrosé de Mme C... est restée inférieure à 1% et que son état n'avait pas évolué vers le syndrome de Lyell. En revanche, ils ont estimé qu'elle restait atteinte de lésions ophtalmologiques en relation directe avec le syndrome de Stevens-Johnson et que ces lésions justifiaient la reconnaissance d'un déficit fonctionnel permanent de 7 %, d'une incidence professionnelle et d'un préjudice d'agrément. Il ne ressort pas des courriers des 2 février et 23 mars 2009 du docteur Quintin et du professeur Meyer, chef du service de rhumatologie du groupe hospitalier Bichat Claude Bernard, que les lésions ophtalmologiques et la sécheresse buccale en lien avec le syndrome de Stevens-Johnson se seraient aggravées depuis la date de consolidation de son état fixée au 1er janvier 2003 ou depuis le 4 mai 2005, date à laquelle l'expertise a été réalisée et qui auraient justifié l'utilité d'une nouvelle expertise.

3. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction, en particulier des certificats médicaux des 2 février et 23 mars 2009 mentionnés au point 2 de l'arrêt que le lupus articulaire dont souffre Mme C... et qui est apparu postérieurement à 2005 serait en lien direct avec le syndrome de Stevens-Johnson. Par suite, Mme C... ne justifiant pas d'une aggravation de son état de santé en lien avec la prescription de la Butazolidine le 9 octobre 2001, la nouvelle mesure d'expertise médicale qu'elle sollicite ne présente pas de caractère utile. Par suite, cette demande doit être rejetée.

En ce que concerne la demande d'expertise portant sur les préjudices de Mme C... écartés par la CCI d'Ile-de-France :

4 Mme C... soutient qu'elle est fondée, en application de l'article L. 1142-8 du code de la santé publique, à contester l'avis rendu par la CCI d'Ile-de-France le 6 octobre 2005 en tant que la commission n'a pas retenu de déficit temporaire partiel pour la période de juillet 2002 à janvier 2003, de préjudice sexuel, ni enfin l'assistance par une tierce personne alors que les experts avaient pourtant relevé que son état de santé avait nécessité l'aide de son mari du 26 novembre 2011 à juin 2002.

5. Il résulte de l'instruction que, saisie par Mme C... d'une demande d'indemnisation des préjudices résultant pour elle de la prescription de Butazolidine, la CCI d'Ile-de-France a, dans son avis du 6 octobre 2005, effectivement écarté toute indemnisation au titre d'une incapacité temporaire de travail postérieure à juin 2002, du préjudice sexuel qu'aurait subi Mme C... et de l'assistance par une tierce personne, les experts ayant relevés notamment que ces deux derniers chefs de préjudices étaient " sans objet ". Les offres d'indemnisation de l'ONIAM et de l'AP-HP adressées à Mme C... portaient sur les préjudices retenus par la CCI d'Ile-de-France dans son avis du 6 octobre 2005, à savoir les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent, le préjudice d'agrément, les pertes de gains professionnels temporaires et l'incidence professionnelle. Le protocole d'indemnité transactionnelle du 29 décembre 2006 proposé par l'ONIAM mentionnant que l'accord de la victime valait " pour solde de toutes les conséquences du dommage " et le protocole d'accord du 6 décembre 2011 proposé par l'AP-HP indiquant que l'indemnité proposée " est exclusive de toute autre forme de réparation au profit de Mme D... C... " doivent être regardés comme écartant les chefs de préjudices non retenus par la CCI.

6. Pour rejeter la mesure d'expertise portant sur les préjudices non retenus par la CCI sollicitée par Mme C..., les premiers juges ont estimé que cette mesure d'expertise ne présentait pas de caractère utile dès lors que les conclusions présentées par l'intéressée tendant à être indemnisée par l'ONIAM et par l'AP-HP des préjudices initiaux retenus par la CCI et résultant de l'accident médical non fautif résultant de la prescription de la Butazolidine et de la faute médicale engageant la responsabilité de l'AP-HP à hauteur de 25 % étaient tardives et, par suite, étaient irrecevables. Toutefois, comme il est dit aux points 13 à 16 du présent arrêt, les conclusions indemnitaires dirigées contre l'ONIAM ne peuvent être regardées comme ayant été présentées tardivement par Mme C... devant le tribunal. Par suite, ces conclusions sont recevables.

7. Cependant, il ressort de l'examen des nombreuses pièces versées au dossier par Mme C... et du rapport d'expertise du docteur Estève, ophtalmologiste, et du docteur Jossay, dermatologue, remis à la CCI d'Ile-de-France le 22 juillet 2005, que la Cour dispose des éléments lui permettant de se prononcer sur l'indemnisation sollicitée par la requérante au titre du déficit temporaire partiel pour la période de juillet 2002 à janvier 2003, de l'assistance par une tierce personne et du préjudice sexuel. Il s'ensuit que la mesure d'expertise ne revêtant pas un caractère utile, les conclusions présentées par Mme C... tendant à ce qu'une expertise complémentaire soit ordonnée doivent être rejetées.

8. Il résulte des points 2 à 7 du présent arrêt que les conclusions présentées à titre principal par Mme C... tendant à ce que la Cour ordonne une mesure d'expertise complémentaire doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires présentées à titre subsidiaire :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires dirigées contre l'AP-HP :

9. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a créé une procédure de règlement amiable des litiges relatifs notamment aux accidents médicaux, confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI, devenues ultérieurement des commissions de conciliation et d'indemnisation (CCI)) et à l'ONIAM. La CRCI territorialement compétente peut être saisie par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins. Lorsque les dommages subis présentent un certain caractère de gravité, prévu au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et fixé à l'article D. 1142-1 du même code, la commission émet, en application du premier alinéa de l'article L. 1142-8 de ce code, un avis portant notamment sur les causes et l'étendue des dommages ainsi que sur le régime d'indemnisation applicable. Si la commission estime que le dommage, provenant d'une faute, engage la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé au sens du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, il résulte des dispositions de l'article L. 1142-14 du même code que l'assureur de la personne considérée comme responsable adresse à la victime, dans un délai de quatre mois, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis et que la victime peut, soit accepter l'offre de l'assureur, qui vaut alors transaction au sens de l'article 2044 du code civil, soit, si elle l'estime insuffisante, saisir le juge.

10. Il résulte de ce qui précède que la saisine de la CRCI ou de la CCI vaut, pour la victime qui souhaite obtenir une indemnisation de la part d'un établissement hospitalier, saisine de ce dernier d'une demande préalable en ce sens.

11. Le dernier alinéa de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique, selon lequel la saisine de la commission " suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure ", implique nécessairement que les dispositions de ce code relatives à la procédure de règlement amiable en cas d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales doivent être combinées avec celles du code de justice administrative relatives à l'exercice des recours contentieux. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction alors applicable: " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". En vertu de l'article R. 421-3 du même code dans sa rédaction alors applicable, en matière de plein contentieux, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet. Enfin, aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

12. Il résulte de l'instruction que l'AP-HP a notifié le 8 décembre 2011 au mandataire désigné par Mme C... une offre d'indemnisation datée du 6 décembre 2011 à laquelle étaient joins des " protocoles de transaction amiable " à retourner paraphés. Cette décision expresse doit être regardée comme rejetant, en l'absence d'acceptation de l'offre, la demande d'indemnisation formulée pour Mme C... dans le cadre de la procédure de règlement amiable devant la CCI d'Ile-de-France. Cette décision mentionnait que si Mme C... ne souhaitait pas l'accepter, elle disposait d'un délai de deux mois à compter de sa réception pour saisir d'un recours le tribunal administratif de Paris. Il lui appartenait donc de présenter un recours gracieux auprès de l'AP-HP ou de saisir le tribunal administratif dans un délai de deux mois à compter de la réception, le 8 décembre 2011, de l'offre du 6 décembre 2011. Mme C... ne peut utilement invoquer des difficultés familiales et des problèmes de santé qui l'auraient empêchée de former un recours contentieux, ces circonstances n'étant pas de nature à suspendre ou prolonger le délai de recours contentieux. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'à la date du 24 mai 2016 à laquelle sa demande a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris, les conclusions indemnitaires dirigées contre l'AP-HP étaient tardives.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires dirigées contre l'ONIAM :

S'agissant de la recevabilité des conclusions indemnitaires :

13. L'article L. 1142-17 du code de la santé publique prévoit que, lorsque la CRCI estime que le dommage est indemnisable par la mise en jeu de la solidarité nationale, au titre du II de l'article L. 1142-1 du même code ou au titre de son article L. 1142-1-1, l'ONIAM adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. En vertu du premier alinéa de l'article L. 1142-20 de ce code, la victime ou ses ayants droit disposent du droit d'action en justice contre l'office si aucune offre ne leur a été présentée ou s'ils n'ont pas accepté l'offre qui leur a été faite.

14. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'avis du 6 octobre 2005 par lequel la CCI d'Ile-de-France a estimé que l'accident médical non fautif dont a été victime Mme C... ouvrait droit à la réparation au titre de la solidarité nationale à hauteur de 75 %, les 25 % relevant comme il a déjà été dit d'une faute médicale engageant la responsabilité de l'AP-HP, l'ONIAM a adressé à Mme C... un protocole d'indemnisation transactionnelle qu'elle a rejeté expressément le 8 janvier 2007. Si cette offre précisait qu'en cas de désaccord de sa part, il lui appartenait de saisir la juridiction compétente, elle n'indiquait ni quelle était cette juridiction ni le délai dans lequel elle devait la saisir. Par suite, le délai de deux mois fixé par l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'était pas opposable à Mme C....

15. Par ailleurs, s'il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. Il en va notamment ainsi des recours indemnitaires engagés par les victimes d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou à leurs ayants droit, auxquels l'ONIAM a adressé ou refusé une offre d'indemnisation, que ce soit à titre partiel ou à titre global et définitif.

16. Il résulte de l'instruction que Mme C... a saisi le tribunal administratif de Paris plus de neuf ans après la notification du protocole d'indemnisation transactionnelle de l'ONIAM et plus de huit ans après avoir saisi la juridiction judiciaire qui, par une ordonnance du 14 janvier 2018, s'est déclarée incompétente et a invité Mme C... à mieux se pourvoir. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le motif tiré de ce que les conclusions indemnitaires dirigées contre l'ONIAM n'ont pas été présentées dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle Mme C... a eu connaissance de l'offre d'indemnisation de l'ONIAM ne pouvait lui être opposé. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont estimé, pour ce motif, que les conclusions indemnitaires dirigées contre l'ONIAM étaient tardives et, dès lors, irrecevables.

S'agissant de l'indemnisation des préjudices de Mme C... au titre de la solidarité nationale :

17. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. (...) ".

18. Il résulte de l'instruction, comme il a déjà été dit, qu'à la suite de la prescription le 9 octobre 2001 de la Butazolidine pour traiter la spondylarthrite dont souffre Mme C..., cette dernière a présenté, en réaction à cette prescription, un syndrome de Stevens-Johnson qui a entraîné, comme cela ressort notamment de l'avis de la CCI du 6 octobre 2005, son hospitalisation pendant quatorze jours ainsi qu'un arrêt temporaire de ses activités professionnelles pendant plus de six mois. Par suite, le dommage subi par Mme C... revêt un degré de gravité de nature à lui ouvrir droit à une réparation au titre de la solidarité nationale, ce qui au demeurant n'est pas contesté par l'ONIAM.

S'agissant de l'évaluation des préjudices de Mme C... :

Quant aux frais d'assistance par une tierce personne :

19. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise diligentée par la CCI qu'en raison du syndrome de Stevens-Johnson qui a notamment provoqué des érosions buccales et pharyngiennes imposant une alimentation à la paille ainsi que la perte de ses ongles, Mme C... a été dans l'incapacité complète d'accomplir tout acte de la vie quotidienne, en particulier de s'occuper des cinq enfants du couple, et qu'elle a dû être aidée par son mari pendant la période comprise entre le 13 novembre 2001, date de sa sortie de l'hôpital, et le début du mois de juin 2002, soit pendant une période de 200 jours comprenant les week-ends et les jours fériés. A raison d'une aide quotidienne qu'il convient d'évaluer à 5 heures par jour et d'un taux horaire de 20 euros, le montant des frais afférents à l'assistance à domicile par une tierce personne s'élève à 20 000 euros. Dès lors, eu égard à la fraction du dommage subi par Mme C... dont la réparation incombe à l'ONIAM qui est de 75 %, il convient de mettre à ce titre à la charge de l'ONIAM la somme de 15 000 euros.

Quant au préjudice professionnel :

20. Il résulte de l'instruction que Mme C... n'exerçait aucune activité professionnelle au moment de l'accident médical non fautif dont elle a été victime. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à solliciter une indemnisation au titre de son préjudice professionnel.

Quant à l'incidence professionnelle :

21. Il résulte de l'instruction que Mme C... est titulaire d'un certificat de formation professionnelle d'agent de traitement administratif option secrétariat et comptabilité obtenu en 1997 et que si elle n'exerçait pas d'activité professionnelle au moment de l'accident médical non fautif dont elle a été victime, elle a cherché activement un emploi en tant qu'hôtesse d'accueil et de secrétaire comptable à compter de 2005. Toutefois, en raison des lésions ophtalmiques dues au syndrome de Stevens-Johnson, la requérante souffre d'une gêne importante à exercer une activité professionnelle nécessitant un travail sur écran. Il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle du dommage subi par Mme C..., eu égard à la fraction de ce dommage dont la réparation incombe à l'ONIAM, en lui allouant la somme de 6 000 euros.

Quant au déficit fonctionnel temporaire pour la période postérieure à juin 2002 :

22. Il résulte des termes du protocole d'indemnité transactionnelle provisionnelle que l'ONIAM a indemnisé les troubles dans les conditions d'existence de Mme C... pour la période allant du 22 octobre 2001 au 1er juin 2002 à hauteur de 2 007 euros. La requérante demande à la Cour de déclarer satisfactoire l'offre de l'ONIAM pour cette période pendant laquelle elle a subi un déficit fonctionnel temporaire total. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les experts ont fixé la date de consolidation de l'état de santé de Mme C... au 1er janvier 2003. La requérante est ainsi fondée à soutenir que le déficit fonctionnel temporaire partiel dont elle a été atteinte pendant la période comprise entre juin 2002 et le 31 décembre 2002 doit également donner lieu à indemnisation. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en mettant à la charge de l'ONIAM, compte tenu de la fraction du dommage dont la réparation lui incombe, la somme de 1 890 euros.

Quant aux souffrances endurées :

23. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme C... a enduré des souffrances physiques évaluées par les experts à 3,5 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en mettant à la charge de l'ONIAM, compte tenu de la fraction du dommage subi par Mme C... dont la réparation lui incombe, la somme de 4 666 euros. Il n'est pas contesté qu'en vertu du protocole d'indemnité transactionnelle provisionnelle du 24 mars 2006, l'ONIAM a déjà versé à Mme C... une provision de 2 886 euros au titre de ce chef de préjudice. Par suite, il y a lieu de déduire cette somme du montant restant dû par l'ONIAM qui s'élève ainsi à 1 780 euros.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

24. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que compte tenu des atteintes ophtalmologiques imputables au syndrome de Stevens-Johnson présentées par Mme C..., le déficit fonctionnel permanent dont elle est atteinte a été fixé à 7 %. Si la requérante soutient que son état de santé s'est aggravé depuis l'expertise réalisée le 4 mai 2005, il ne résulte pas des pièces médicales versées au dossier, comme il a été dit aux points 2 et 3 du présent arrêt, que les lésions ophtalmologiques et la sécheresse buccale en lien avec le syndrome de Stevens-Johnson se seraient aggravées depuis 2005, ni qu'une aggravation de son état de santé serait imputable à ce syndrome. Compte tenu du taux de 7% et de l'âge de Mme C... à la date de consolidation fixée au 1er janvier 2003, soit 43 ans, l'indemnisation de ce chef de préjudice mis à la charge de l'ONIAM à hauteur de 75 % doit être fixée à la somme de 8 313 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

25. Si Mme C... se prévaut de ce que ses expositions au soleil sont désormais fortement déconseillées et qu'elle ne peut plus se rendre en Guadeloupe, département d'Outre-mer dont elle est originaire, ces éléments ont toutefois été pris en considération au titre de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent. La requérante n'établissant pas avoir subi un préjudice d'agrément, il n'y a pas lieu de condamner l'ONIAM à verser une indemnité à ce titre.

Quant au préjudice sexuel :

26. Il résulte de l'instruction que lorsque Mme C... a été victime du syndrome de Stevens-Johnson imputable à la prise de Butazolidine, elle était âgée de 42 ans et était mariée. Il sera fait une juste indemnisation du préjudice sexuel de Mme C..., qui doit être regardé comme établi pour la période comprise entre octobre 2001 et juin 2002, en l'évaluant à la somme de 1 000 euros. Eu égard à la fraction du dommage dont la réparation incombe à l'ONIAM, la somme due à ce titre s'élève à 750 euros.

27. Il résulte des points 19 à 25 du présent arrêt que l'ONIAM versera à Mme C... au titre de la solidarité nationale la somme totale de 33 733 euros en réparation de ses préjudices.

Sur les frais liés à l'instance :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme C... demande au titre des frais liés à l'instance. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM le paiement à Mme C... de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme C... la somme de 33 733 euros en

réparation de ses préjudices.

Article 2 : Le jugement n° 1607876/6-1 du 21 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Luben, président,

- Mme Collet, premier conseiller,

- Mme F..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 décembre 2020.

Le président de la formation de jugement,

I. LUBEN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

11

N° 17PA03134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03134
Date de la décision : 03/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CONDE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-03;17pa03134 ?
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