La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2020 | FRANCE | N°20PA01930

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 01 décembre 2020, 20PA01930


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités allemandes, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale en lui remettant l'attestation de demande d'asile correspondante dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150

euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2007643/8 du 24 juin 2020, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités allemandes, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale en lui remettant l'attestation de demande d'asile correspondante dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2007643/8 du 24 juin 2020, le Tribunal administratif de Paris a admis M. E... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police d'enregistrer en procédure normale la demande d'asile de l'intéressé et de lui remettre l'attestation de demande d'asile correspondante dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, mis la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais d'instance et rejeté le surplus de la requête.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2020 sous le n° 20PA01930, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2007643/8 du 24 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant ce même tribunal.

Il soutient que :

- l'arrêt contesté portant transfert de M. E... aux autorités allemandes ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. E... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 17 août 2020 la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2020.

M. E..., représenté par Me A... C..., a produit un mémoire enregistré le 20 novembre 2020.

II - Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2020 sous le n° 20PA01981, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2007643/8 du 24 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant somalien, a été transféré une première fois vers l'Allemagne le 8 janvier 2020 puis est revenu irrégulièrement en France et y a pour la seconde fois sollicité le 24 janvier 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités allemandes le 19 août 2014, le préfet de police a adressé aux autorités allemandes le 29 janvier 2020 une demande de reprise en charge de M. E..., en application des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que ces dernières ont acceptée le 6 février 2020 tout en faisant savoir à leurs homologues françaises que le transfert n'était plus nécessaire, le demandeur de protection internationale étant revenu en Allemagne le 28 janvier 2020. Par un arrêté en date du 20 mai 2020, le préfet de police a décidé de remettre M. E... à ces autorités. Par un jugement n° 2007643/8 du 24 juin 2020, le Tribunal administratif de Paris a admis M. E... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, annulé cet arrêté, enjoint au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui remettre l'attestation de demande d'asile correspondante dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement et mis la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais liés à l'instance. Par la requête enregistrée sous le n° 20PA01930, le préfet de police relève appel de ce jugement. Par la requête enregistrée sous le n° 20PA01981, le préfet de police demande à la Cour d'en prononcer le sursis à exécution.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 20PA01930 et 20PA01981 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la requête enregistrée sous le n° 20PA01930 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :

3. Aux termes de de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

4. Pour annuler l'arrêté en litige comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 précité, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que le préfet de police n'établissait pas que la remise de M. E... aux autorités allemandes, qui ont rejeté sa demande d'asile, n'aurait pas pour conséquence son réacheminement vers la Somalie, pays caractérisé par une violence généralisée et où M. E... serait susceptible d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, l'arrêté attaqué a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Allemagne, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et non dans son pays d'origine. Si les autorités allemandes ont rejeté la demande d'asile présentée par M. E..., il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles auraient pris à son égard une décision portant obligation de quitter le territoire allemand en fixant la Somalie comme pays de destination. Il ne ressort pas plus des pièces du dossier qu'il existerait un obstacle à ce que l'intéressé conteste, devant les juridictions allemandes compétentes, la légalité d'une éventuelle décision d'éloignement, ni qu'il puisse demander auprès des autorités allemandes un nouvel examen de sa situation au regard du droit d'asile, l'intéressé n'établissant ni que les autorités de cet Etat feraient structurellement ou systématiquement obstacle à l'enregistrement et au traitement d'une nouvelle demande d'asile, ni qu'une telle demande ne serait pas examinée par ces mêmes autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités allemandes, qui ont d'ailleurs accepté la reprise en charge de M. E..., n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour dans le pays dont il a la nationalité. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté attaqué méconnaissait les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'a, pour ce motif, annulé.

5. Toutefois il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. E... :

6. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte rendu de l'entretien individuel conduit le 27 janvier 2020 que M. E..., qui a bénéficié de l'assistance d'un interprète en langue somali lors de cet entretien, ne comprend pas la langue française. Il résulte également de ces pièces, et particulièrement des copies de ces brochures signées par le requérant[HP1] produites par le préfet de police, que le guide du demandeur d'asile et la brochure B contenant les informations prévues à l'article 4 précité du règlement communautaire du 26 juin 2013 lui ont été remis le jour même dans leur version en langue anglaise, et il ne résulte d'aucune pièce au dossier que M. E... aurait bénéficié d'une traduction de ces brochures par un interprète en langue somali. La circonstance que M. E... a accusé réception des brochures qui lui ont été remises en anglais n'est pas de nature à infirmer les mentions du compte-rendu d'entretien selon lesquelles il ne comprend pas d'autre langue que le somali. Dans ces conditions M. E... ne peut être regardé comme ayant reçu les informations prévues par le règlement communautaire du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle est comprise de lui. Par suite, la décision de transfert étant intervenue sans qu'il ait bénéficié des droits et garanties prévus par les dispositions précitées, M. E... est fondé, par ce moyen, à en demander l'annulation.

En ce qui concerne l'injonction :

8. Eu égard au motif qui la fonde, l'exécution de l'annulation prononcée par le présent arrêt implique seulement que, sous réserve que l'intéressé soit encore présent sur le territoire français, le préfet de police réexamine la situation de M. E... dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est seulement fondé à demander l'annulation de l'article 3 du jugement attaqué, par lequel le Tribunal administratif de Paris lui a enjoint de délivrer à M. E... une attestation de demande d'asile en procédure normale.

Sur la requête enregistrée sous le n° 20PA01981 :

10. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 20PA01981 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA01981 du préfet de police tendant au sursis à l'exécution du jugement n° 2007643/8 du 24 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris.

Article 2 : L'article 3 du jugement n° 2007643/8 du 24 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris est annulé[BC2][BC3].

Article 3 : Il est enjoint au préfet de police, sous réserve que l'intéressé soit présent sur le territoire français, de réexaminer la situation de M. E... dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n° 20PA01930 du préfet de police est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... E... et au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme D..., président assesseur,

- M. Aggiouri, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er décembre 2020.

Le rapporteur,

P. D...Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[HP1]Dont le requérant a accusé réception ' je n'ai pas vu sa signature sur les couvertures.... '''

[BC2]

[BC3]Réformation du jugement '

2

Nos 20PA01930, 20PA01981


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01930
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : EL BOREI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-01;20pa01930 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award