Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... F... I... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardée par l'administration sur sa demande de changement de nom de " de I... " en " de I... de A... ", ensemble la décision du 13 août 2019 intervenue en cours d'instance, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a expressément refusé de faire droit à cette demande, et d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'autoriser le changement de nom sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, ou à défaut de réexaminer sa demande dans le même délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1816523 du 20 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 13 août 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice, et a enjoint à ce ministre de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit jugement, au réexamen de la demande de M. D... F... I....
Procédure devant la Cour :
Par un recours enregistré le 21 janvier 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :
- d'annuler le jugement n° 181652 du 20 décembre 2019, du tribunal administratif de Paris ;
- de rejeter la demande présentée par M. F... I... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit annulant sa décision, dès lors qu'il appartenait au demandeur de première instance de démontrer la menace d'extinction du nom qu'il invoquait par la production des pièces justificatives nécessaires ;
- aucun des motifs de la demande de changement de nom n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2020 et des pièces enregistrées le 30 septembre 2020, M. D... F... I..., représenté par Me Lebret-Desaché, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, conclut au rejet du recours et à ce qu'il soit mis la somme de 5 000 euros à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens du recours ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me Lebret-Desaché, avocat de M. F... I....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... F... I..., né le 1er décembre 1995, a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, le 27 avril 2018, le changement de son nom en " de I... de A... ". Cette demande a fait l'objet d'une décision expresse de rejet, en date du 13 août 2019, qui s'est ainsi substituée à la décision implicite de rejet, née du silence d'abord gardé par l'administration sur sa demande, qu'il avait entre-temps contestée devant le tribunal administratif de Paris. Par un jugement du 20 décembre 2019 dont le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel devant la Cour, le tribunal administratif a annulé la décision du 13 août 2019 et a enjoint au ministre de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit jugement, au réexamen de la demande de M. D... F... I....
2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret ".
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Pour refuser de faire droit à la demande présentée par le requérant, la décision litigieuse du 13 août 2019 expose que : " il vous appartient d'établir cette extinction au moyen d'un arbre généalogique indiquant les membres de toutes les branches (...) remontant à l'arrière arrière-grand-père de votre mère " (...) Or, aucun document n'est produit pour établir que le nom demandé est en voie d'extinction pour n'avoir été porté par aucun descendant ou collatéral depuis le trisaïeul de votre mère " et que dès lors, il ne démontrait pas l'extinction du nom demandé. Les premiers juges ont estimé que le ministre a fait une inexacte application du deuxième alinéa de l'article 61 du code civil en exigeant de telles pièces.
4. Toutefois, il ressort de la décision litigieuse que, nonobstant sa rédaction malencontreuse et l'erreur matérielle qui l'affecte en ce qui concerne la mention du " trisaïeul " de la mère du demandeur, le ministre n'a, en réalité, ni posé une règle de droit nouvelle, ni exigé des preuves inutiles à la démonstration de la menace d'extinction d'un nom, laquelle s'établit généralement et avec la plus grande plausibilité, mais sans que ce mode de preuve revête un caractère exclusif, au vu des éléments de généalogie afférents au degré de parenté immédiatement supérieur à celui du titulaire du nom revendiqué et des lignes collatérales qui en sont éventuellement issues. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir qu'en annulant sa décision au regard des considérations mentionnées au point 3, les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur de droit.
5. Il y a donc lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens présentés devant le tribunal administratif à l'appui de la demande de M. F... I....
Sur la légalité de la décision litigieuse :
En ce qui concerne l'illustration du nom :
6. La reprise d'un nom patronymique en raison de son illustration peut être demandée au titre de l'intérêt légitime mentionné au premier alinéa de l'article 61 du code civil. Ce nom doit avoir été porté dans la famille du demandeur par des personnes qui ont contribué à lui conférer, sur le plan national, une illustration certaine et durable.
7. Il ressort des pièces du dossier que la famille F... A..., à laquelle M. D... F... I... est apparenté par sa mère Aimée de A..., est directement issue, en ligne féminine, de trois descendants du Roi Louis IX, dont deux de ses fils, H... et son frère Robert de France, comte F... J..., fondateur de la dernière Maison de Bourbon, et a produit de nombreux serviteurs de la Couronne, dont de nombreux officiers parmi lesquels six généraux, des chevaliers croisés, des personnels de la Cour, un ambassadeur, et un gouverneur de la Nouvelle-France nommé par le Roi Louis XIV. Est notamment issu de la branche aîné de cette famille, et comme tel parent au septième degré de l'arrière-arrière-grand-père de M. D... F... I... qui était issu de la branche cadette, C...-François de A..., né le 3 septembre 1750 à Boussay (Indre-et-Loire) et mort le 13 août 1810, camarade de promotion du futur Empereur Napoléon Ier à l'école militaire de Brienne, puis député de la noblesse du bailliage de Touraine aux États Généraux constitués en Assemblée constituante dont il fut élu secrétaire en décembre 1789 puis président en 1790, et enfin général de division sous la République, où il commanda un temps l'armée d'Égypte, puis sous l'Empire. Il fut ensuite, notamment, membre du Tribunat, administrateur général du Piémont, gouverneur général de la Toscane puis de Venise, élevé au rang de grand officier de la Légion d'honneur et fait comte de l'Empire. Le nom de ce personnage est gravé sur le pilier sud de l'Arc de Triomphe, sur une colonne où figurent, entre autres noms, ceux de Murat, Beauharnais, et Marmont, tandis que la colonne immédiatement voisine mentionne ceux de Massena, Kléber, Brune et Berthier.
8. Il résulte de ce qui précède, et d'abord de l'inscription du nom de A... sur un pilier de l'Arc de Triomphe, monument national dédié aux gloires militaires de la France, que le nom revendiqué a ainsi acquis l'illustration certaine et durable exigée par l'article 61 du code civil pour caractériser l'intérêt légitime de membres de sa famille à en demander l'autorisation de l'adjoindre, comme en l'espèce, à leur actuel patronyme.
9. M. D... F... I..., comme membre de cette famille, était donc fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de la décision litigieuse du garde des sceaux, ministre de la justice.
En ce qui concerne la menace d'extinction du nom :
10. Pour l'application du deuxième alinéa du code civil, cité au point 2, le demandeur qui établit l'existence d'un lien de parenté jusqu'au quatrième degré et que le nom soit en voie d'extinction démontre l'existence de l'intérêt légitime qu'il invoque. Les mêmes dispositions ne subordonnent pas le relèvement d'un nom en voie d'extinction à la condition que le demandeur soit le plus proche descendant ou le plus proche collatéral de la personne dont il demande à relever le nom ou, si tel n'est pas le cas, que les plus proches descendants ou collatéraux aient donné leur accord à ce changement
11. Il ressort de l'ensemble des pièces du dossier que M. D... F... I... est le fils K... F... A... (née en 1963, épouse F... M... F... I...), fille, comme sa soeur E... F... A..., née en 1968 et célibataire et sans enfants, L... F... A..., né en 1934 et grand-père de l'intimé, qui n'a pas eu de fils. Aymar de A... est lui-même le fils issu du premier mariage de Gervais de A... (1909-1982), dont il est par ailleurs établi qu'il n'a pas eu de descendance de ses deuxième et troisième mariages. Gervais de A... était le fils F... N... F... A... (1858-1943), qui a eu trois autres enfants : René (1898-1954), entré dans les ordres et décédé sans descendance, Marie (1899-1987) également décédée sans descendance, et enfin Louis-Marie-Georges de A..., dont est issue une branche collatérale cadette toujours représentée, avec ses enfants C... (1932-2010), Patrice, (1931-2004), Marie-Louise Gabrielle (1935-2017), et Isabelle-Anne-Marie-Madeleine (née en 1938). Dans cette branche collatérale, C... de A..., ancien sénateur du Finistère, n'a eu que des filles, nées respectivement en 1957 (Catherine), en 1958 (Servane), en 1959 (Pauline), en 1960 (Viviane, décédée en 1991) et en 1963 (Mathilde), qui se sont mariées et dont les éventuels descendants sont appelés à porter le nom de leur époux ; Patrice de A... a eu deux enfants, dont un fils G... (1956-1980) décédé sans postérité, et une fille, Marie-Laure, née en 1958, qui a épousé Christophe Amiot ; Marie-Louise Gabrielle de A... s'est mariée et n'a pas de descendance, et Isabelle-Anne-Marie-Madeleine de A..., qui s'est mariée avec Maurice Faure et a un fils qui porte ce dernier nom. Il résulte de ce qui précède que, comme le relève d'ailleurs l'expertise généalogique produite par l'intimé, le nom de A... est menacé d'extinction en ligne directe et collatérale de son arrière-arrière-grand-père, N... de A... (1858-1943).
12. M. D... F... I... était donc également fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de la décision litigieuse du garde des sceaux, ministre de la justice.
En ce qui concerne le motif d'ordre affectif :
13. Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
14. En l'espèce, M. D... F... I... établit, sans être sérieusement contesté, qu'il a pour projet de reprendre la gestion du domaine familial de Kerdrean, situé sur le territoire de la commune Naizin, dans le Morbihan, très lié à l'histoire et au patrimoine locaux, qui comprend 300 ha de terres et de bois sur lesquels travaillent sept familles de fermiers et dont ses parents sont propriétaires depuis 2014, à la suite du grand-père de l'intimé. La volonté de M. F... I... de s'inscrire dans ce projet de continuité familiale sur ce domaine en demandant que soit adjoint à son propre patronyme celui de son grand-père, qui présente en tout état de cause un caractère illustre et est menacé d'extinction, relève, dans le cas particulier de l'espèce, de circonstances exceptionnelles caractérisant l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil.
15. M. D... F... I... était donc là encore fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de la décision litigieuse du garde des sceaux, ministre de la justice.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont prononcé l'annulation de sa décision en date du 13 août 2019 par laquelle il a refusé de faire droit à la demande de changement du patronyme de M. D... F... I... en " de I... de A... ".
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Lorsqu'il prononce d'office une injonction, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, tel qu'issu de l'article 40 de la n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le juge se borne à exercer son office et n'est, par suite, pas tenu de mettre les parties à même de présenter leurs observations.
18. En l'espèce, l'exécution complète du présent arrêt suppose, eu égard aux motifs mentionnés aux points 6 à 15 qui fondent l'annulation de la décision litigieuse en faisant droit à chacun des motifs de la demande de changement de nom présentée à l'administration, qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, non point seulement, comme en ont décidé les premiers juges, de simplement réexaminer la demande de l'intimé, mais de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. D... F... I... à changer son patronyme en " de I... de A... ".
Sur les frais du litige :
19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État (ministère de la justice), qui succombe dans la présente instance, le versement au requérant d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du garde des sceaux, ministre de la justice, est rejeté.
Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. D... F... I... à changer son patronyme en " de I... de A... ".
Article 3 : L'État (ministère de la justice) versera à M. D... F... I... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... I... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. B..., président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 19 novembre 2020
Le rapporteur,
S. B...Le président,
J. LAPOUZADE Le greffier,
A. LOUNISLa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00198