Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 avril 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités belges en vue de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 1909386/6-1 du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé l'arrêté du 19 avril 2019, d'autre part, enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M D... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et, enfin, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 5 août 2019, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1909386/6-1 du 28 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. D....
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a fait droit au moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation personnelle de M. D...;
- la circonstance que l'arrêté litigieux indique que les autorités belges devaient être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. D... au titre de l'article 18, paragraphe 1 sous b) du règlement (UE) n° 604/2013 au lieu de l'article 18, paragraphe 1 sous d) constitue une simple erreur de plume, les autorités belges ayant expressément accepté la reprise en charge sur ce fondement dans leur décision du 1er mars 2019 ;
- la circonstance que les autorités françaises ont saisi les autorités belges sur le fondement du b) de l'article 18, paragraphe 1 du règlement n° 604/2013 alors que l'intéressé a indiqué que sa demande aurait été rejetée par la Belgique est sans incidence sur la réalité de l'examen de sa situation ;
- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de police ;
2°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, dans un délai de huit jours, et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de 72 heures à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'appel du préfet de police est tardif ;
- le préfet de police ne justifie pas avoir saisi les autorités belges dans le délai imparti ;
- l'arrêté litigieux a été pris au terme d'une procédure irrégulière, le nom de l'agent ayant mené l'entretien individuel, ni même ses initiales, n'étant pas indiqué ;
- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- il méconnaît les articles 3 et 17 du règlement n° 604/2013 et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il procède au transfert vers un Etat qui le renverra nécessairement en Afghanistan où il risque de subir des traitements inhumains et dégradants ;
- le préfet de police a commis une erreur manifeste d'appréciation.
Par un courrier du 3 février 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce qu'il n'y avait plus lieu à statuer, la décision de transfert aux autorités belges du 19 avril mars 2019 n'étant plus susceptible d'exécution à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification du jugement du 28 juin 2019.
Par un mémoire enregistré le 11 février 2020, le préfet de police indique maintenir l'ensemble ses conclusions, par les mêmes moyens et fait valoir en outre que, par une décision du 11 décembre 2019, il a prolongé de six à dix-huit mois le délai durant lequel il peut procéder au transfert de M. D....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les autorités belges ont accepté le 1er mars 2019 la reprise en charge de M. D..., ressortissant afghan ayant présenté une demande d'asile en France le 20 février 2019, sur le fondement des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) du 26 juin 2013, en vertu desquelles l'Etat membre responsable de la demande de protection internationale d'un étranger est tenu de reprendre en charge le ressortissant de pays tiers dont la demande a été rejetée et qui a présenté sa demande dans un autre Etat membre. Par un arrêté du 19 avril 2019, le préfet de police a ordonné le transfert de M. D... vers la Belgique. Par la présente requête, le préfet de police fait appel du jugement du 28 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision au motif qu'elle était entachée d'un défaut d'examen particulier de la situation personnelle de M. D....
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. D... à la requête du préfet :
2. Aux termes de l'article R. 776-9 du code de justice administrative : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée ". Aux termes de l'article R. 751-4-1 du même dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016, applicable au présent litige : " (...) la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux parties qui sont inscrites dans cette application. / Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de huit jours à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué du 28 juin 2019 a été mis à disposition du préfet de police par le moyen de l'application " Télérecours " le 1er juillet 2019 et que le préfet de police l'a consulté pour la première fois le 8 juillet 2019. Par suite, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 751-4-1 du code de justice administrative, le préfet de police est réputé avoir reçu notification le 8 juillet 2019. Il disposait, pour faire appel de ce jugement, d'un délai franc d'un mois à compter de cette date. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la requête du préfet de police, enregistrée au greffe de la cour le 5 août 2019, est tardive.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
4. L'arrêté du 19 avril 2019 par lequel le préfet de police a décidé de la remise de M. D... aux autorités belges, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, comporte le visa du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers. Il indique que " il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. A... D... au moyen du système " EURODAC ", effectuée conformément au règlement n° 603/2013 susvisé, que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités belges le 18 novembre 2015 " et que " les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. A... D... ". Si l'arrêté mentionne à tort que les autorités belges doivent être regardées comme responsables de la demande d'asile de M. D... sur le fondement de l'article 18 (1) b) et que celles-ci ont implicitement accepté leur responsabilité le 12 mars 2019, ces erreurs ne révèlent pas, en elles-mêmes, un défaut d'examen suffisant de la situation personnelle de M. D....
5. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert, le premier juge s'est fondé sur le moyen tiré du défaut d'examen de la situation personnelle de M. D...
6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur les autres moyens invoqués par M. D... :
7. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par Mme F... B..., attachée principale d'administration de l'État au sein de la direction de la police générale de la préfecture de police. Elle bénéficiait à cette fin d'une délégation du préfet de police à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives à la police des étrangers, en vertu d'un arrêté n° 2019-00368 du 17 avril 2019, régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 23 avril suivant. Par suite, le moyen tiré de ce que le signataire de l'arrêté contesté aurait été incompétent pour le prendre doit être écarté comme manquant en fait.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 " la requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n°603/2013 ".
9. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'accusé de réception " DubliNet " comportant le numéro de référence du dossier de M. D..., que le préfet de police a saisi les autorités belges d'une demande de reprise en charge le 17 avril 2019, soit moins d'un mois après la date de réception du résultat positif Eurodac. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il ne serait pas établi que les autorités belges auraient été saisies par le préfet de police dans le délai prescrit par l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. D... s'est vu remettre le 19 février 2019 le guide du demandeur d'asile, les brochures " A " et " B " et la brochure Eurodac, rédigés en langue pachto qu'il a déclaré comprendre et dont les copies versées au dossier comportent sa signature. Le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas bénéficié des informations prévues par les dispositions précitées du règlement communautaire doit donc être écarté.
12. En quatrième lieu, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du résumé de cet entretien, dûment signé par M. D..., que celui-ci a bénéficié d'un entretien individuel le 20 février 2019 auprès de la préfecture de police. Cet entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la préfecture de police, identifié par ses initiales, qui doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien conformément aux exigences de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, alors même que son nom n'est pas précisé dans le résumé d'entretien et que sa signature n'y est pas apposée.
14. En dernier lieu, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe (...), l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ". Enfin, selon l'article 17 du règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe par en vertu des critères fixés par le présent règlement ".
15. M. D... soutient qu'en cas de transfert vers la Belgique et dès lors que les autorités de ce pays ont définitivement rejeté sa demande d'asile, il sera renvoyé vers l'Afghanistan où il risque de subir des traitements inhumains et dégradants contraires aux dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de transférer M. D... vers la Belgique et non vers son pays d'origine. Même si cette présomption n'est pas irréfragable, la Belgique est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. L'existence d'un risque sérieux d'exécution forcée par les autorités belges d'une mesure d'éloignement vers l'Afghanistan et l'impossibilité d'exercer un recours effectif, dans cette hypothèse, permettant d'invoquer l'évolution défavorable de la situation sécuritaire dans ce pays, ne sont pas établies en l'espèce. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des risques de refoulement de M. D... vers l'Afghanistan ne peut qu'être écarté. Le préfet de police n'a pas plus commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne l'admettant pas à déposer sa demande en France en application des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
16. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 19 avril 2019 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris doit en conséquence être rejetée, de même que ses conclusions d'appel à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'ayant pas dans la présente instance la qualité de partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1909386/6-1 du 28 juin 2019 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. E..., président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2020
Le président-assesseur,
S. DIÉMERTLe président,
J. E...
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA02615 2