Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
I. La société Editrice de Médiapart a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 30 septembre 2013, ainsi que des pénalités correspondantes, d'enjoindre, à titre principal, à l'État de lui rembourser la somme de 2 122 441 euros versée le 16 décembre 2015, de procéder au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait, de lui verser les intérêts moratoires prévus à l'article 1727 du code général des impôts à compter du 16 décembre 2015 et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles en interprétation et en validité de l'article 98, paragraphe 2 de la directive 2016/112/CE du 28 novembre 2006, lu conjointement avec le point 6 de son annexe III.
II. La société Editrice de Médiapart a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014, d'enjoindre, à titre principal, à l'État de lui rembourser la somme de 243 500 euros versée le 4 février 2016, de procéder au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait, de lui verser les intérêts moratoires prévus à l'article 1727 du code général des impôts à compter du 4 février 2016, et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des mêmes questions préjudicielles.
Par un jugement n° 1609984, 1615478 du 22 mai 2018, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des pénalités qui avaient été infligées à la société Editrice de Médiapart sur le fondement du a) de l'article 1729 du code général des impôts, a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 juillet 2018 et le 17 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1609984, 1615478 du 22 mai 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de remettre à la charge de la société Editrice de Médiapart les pénalités qui lui avaient été infligées sur le fondement du a) de l'article 1729 du code général des impôts ;
3°) de rejeter l'appel incident de la société Editrice de Médiapart.
Le ministre soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a prononcé la décharge des pénalités pour manquement délibéré, dès lors que les dispositions de l'article 298 septies du code général des impôts ne concernaient que les publications imprimées et que c'est de manière délibérée que la société a fait application du taux réduit à ses services de presse en ligne ;
- les moyens soulevés dans l'appel incident ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 28 septembre 2018, la société Editrice de Médiapart, représentée par Me B... et Me A..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'action et des comptes publics ;
2°) d'annuler le jugement n° 1609984, 1615478 du 22 mai 2018 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable ;
3°) de prononcer la décharge, en droits et majorations, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des périodes du 1er janvier 2010 au 30 septembre 2013 et du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014 ;
4°) d'enjoindre à l'État de lui rembourser les sommes qu'il a indûment perçues à la date de l'arrêt à intervenir et de procéder au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait au moment des paiements, soit 368 073 euros au 16 décembre 2015 et 49 337 euros au 4 février 2016 ;
5°) d'enjoindre à l'État de lui verser les intérêts moratoires prévus par l'article 1727 du code général des impôts à compter des 16 décembre 2015 et 4 février 2016, sur le montant total des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ;
6°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, sur le fondement de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de questions préjudicielles en interprétation et en validité de l'article 98, paragraphe 2 de la directive 2016/112/CE du 28 novembre 2006, lu conjointement avec le point 6 de
son annexe III ;
7°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Editrice Médiapart soutient que :
- elle n'a pas pu bénéficier d'un délai suffisant entre la réception de l'avis de vérification et le début des opérations de contrôle ;
- elle n'a pas bénéficié d'un débat oral et contradictoire ;
- les conséquences financières n'ont pas été correctement déterminées ;
- l'article 98, paragraphe 2, de la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 lu conjointement avec le point 6 de l'annexe III n'excluait pas la presse en ligne du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le principe de neutralité fiscale s'oppose à ce que la presse en ligne ne puisse bénéficier du taux réduit, l'article 298 septies du code général des impôts et les articles 72 et 73 de l'annexe III à ce code méconnaissant ce principe ; l'extension du champ d'application de la clause de gel permet d'en assurer le respect ;
- la taxation appliquée à la presse en ligne instaure une différence de traitement contraire aux articles 11 et 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- cette différence de traitement méconnaît les exigences de protection de l'environnement, objectif essentiel mentionné à l'article 11 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ont été méconnus ;
- la Cour de justice de l'Union européenne doit être saisie de questions en appréciation de validité et d'interprétation des dispositions communautaires précitées ;
- c'est à bon droit que le tribunal a prononcé la décharge des pénalités pour manquement délibéré, le principe de confiance légitime s'opposant au demeurant à l'application de ces pénalités.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2006/112 CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., avocat de la société Editrice de Médiapart.
Une note en délibéré, présentée pour la société Editrice de Médiapart, a été enregistrée le 24 septembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. La société Editrice de Médiapart, éditrice d'un journal d'informations numérique et bénéficiant d'un certificat d'inscription auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse, a fait l'objet de vérifications de comptabilité à l'issue desquelles des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de majorations, lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 30 septembre 2013 et de la période du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014, résultant de la remise en cause de l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait appliqué à ses abonnements permettant l'accès à son site d'information en ligne. Par un jugement du 22 mai 2018, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des pénalités qui avaient été infligées à la société Editrice de Médiapart sur le fondement du a) de l'article 1729 du code général des impôts, a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions. Le ministre fait appel des articles 1er et 2 de ce jugement et demande que soient remises à la charge de la société Editrice de Médiapart les pénalités qui lui avaient été infligées sur le fondement du a) de l'article 1729 du code général des impôts. Par appel incident, la société Editrice de Médiapart demande l'annulation du même jugement en tant qu'il lui est défavorable et la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix (...) L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil ".
3. Il résulte de l'instruction que la société Editrice de Médiapart a été informée de l'engagement d'une vérification de comptabilité par un avis du 16 décembre 2013 qui lui a été signifié par huissier le mardi 17 décembre 2013, et que les opérations de contrôle ont débuté le vendredi 20 décembre 2013 à 13 heures. Elle a ainsi bénéficié d'un délai de deux jours francs qui était suffisant pour se faire assister par un conseil de son choix, la société étant assistée de son avocat et de son expert-comptable lors de la première intervention sur place du vérificateur. Dans ces conditions, la société Editrice de Médiapart n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas bénéficié d'un délai raisonnable pour se faire assister par un conseil, en méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales.
4. En second lieu, dans le cas où la vérification de comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat.
5. Il résulte de l'instruction que le vérificateur s'est rendu le 20 décembre et le
23 décembre 2013 au siège social de la société Editrice de Médiapart et y a rencontré ses dirigeants et ses conseils. La société requérante, en se bornant à constater que les deux entretiens ont été d'une durée limitée et à des dates rapprochées, n'établit pas qu'un débat oral et contradictoire dans le cadre de la vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 aurait été rendu dans ces conditions impossible ou que le vérificateur se serait alors refusé à tout échange sur les rectifications en litige. Le moyen doit ainsi être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
6. D'une part, aux termes de l'article 98 de la directive du 28 novembre 2006, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits. 2. Les taux réduits s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l'annexe III. Les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique ".
7. En premier lieu, en vertu du point 3 de l'annexe II à cette directive, portant liste indicative des services fournis par voie électronique et qui mentionne notamment la fourniture d'informations, l'abonnement à des publications en ligne a le caractère d'un service fourni par voie électronique au sens de la taxe sur la valeur ajoutée, insusceptible, par suite, d'être imposé à un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée. Ainsi, si, en vertu de cette directive, les États membres ont toujours la faculté, mais non l'obligation, d'appliquer un taux réduit plutôt que le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée aux catégories de livraisons de biens ou de prestations de services qu'elle énumère, notamment au point 6 de son annexe III qui mentionne les journaux et périodiques, les dispositions de la directive sont inconditionnelles et précises en tant qu'elles interdisent aux États membres d'appliquer un taux réduit aux abonnements à des publications en ligne. A cet égard, dès lors que l'application du taux réduit constitue une dérogation au principe selon lequel les États membres appliquent un taux normal de taxe sur la valeur ajoutée aux opérations soumises à cette taxe, et doit ainsi être interprétée de manière stricte, la société Editrice de Médiapart n'est pas fondée à soutenir qu'une interprétation du point 6 de l'annexe III de la directive autoriserait une application du taux réduit aux abonnements à des publications en ligne, dès lors que les services fournis par voie électronique en sont expressément exclus.
8. En deuxième lieu, le principe de neutralité fiscale ne permet pas d'étendre le champ d'application d'un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée en l'absence d'une disposition non équivoque. Ainsi, en l'absence de dispositions de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 étendant de façon non équivoque le champ d'application des taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée à la fourniture d'informations par voie électronique, la société Editrice de Médiapart n'est par suite pas fondée à se prévaloir du principe de neutralité fiscale pour remettre en cause l'application des dispositions claires et précises de cette directive interdisant aux États membres d'appliquer un taux réduit aux abonnements à des publications en ligne.
9. En troisième lieu, les dispositions précitées ont pour effet d'exclure l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à la fourniture d'informations par voie électronique alors qu'une telle application est autorisée pour les journaux et périodiques. Elles doivent être regardées comme instaurant une différence de traitement entre deux situations pourtant comparables au regard de l'objectif poursuivi par le législateur de l'Union. Toutefois, lorsqu'une différence de traitement entre deux situations comparables est constatée, le principe d'égalité de traitement, tel qu'énoncé à l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, n'est pas violé pour autant que cette différence est dûment justifiée. Tel est le cas lorsque la différence de traitement est en rapport avec un objectif légalement admissible poursuivi par la mesure ayant pour effet d'instaurer une telle différence et qu'elle est proportionnée à cet objectif. En l'espèce, en excluant l'application d'un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux services fournis par voie électronique, le législateur de l'Union évite aux assujettis et aux administrations fiscales nationales de devoir examiner, pour chaque type de services électroniques fourni, si celui-ci relève de l'une des catégories de services susceptibles de bénéficier d'un tel taux en vertu de l'annexe III de la directive. Ainsi, la mesure en cause doit être regardée comme étant apte à réaliser l'objectif visant à établir avec certitude le taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services fournis par voie électronique et ainsi à faciliter la gestion de cette taxe par les assujettis et les administrations fiscales nationales. Dans ces conditions, la différence de traitement invoquée par la société Editrice de Médiapart est dûment justifiée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement, énoncé à l'article 20 de la Charte doit être écarté.
10. En quatrième lieu, alors que les dispositions précitées n'ont ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte à la liberté d'expression, la société Editrice de Médiapart n'établit pas en quoi l'application d'un taux de taxe sur la valeur ajoutée différent en fonction des supports de diffusion employé méconnaîtrait les principes affirmés à l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit dès lors être écarté.
11. En cinquième lieu, la société Editrice de Médiapart n'établit pas plus en quoi l'application d'un taux de taxe sur la valeur ajoutée différent en fonction des supports de diffusion employé méconnaîtrait les exigences de protection de l'environnement résultant de l'article 11 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit dès lors être écarté.
12. D'autre part, aux termes de l'article 298 septies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable, au cours des années en litige, aux opérations pour lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée était exigible jusqu'au 1er février 2014 : " A compter du 1er janvier 1989, les ventes, commissions et courtages portant sur les publications qui remplissent les conditions prévues par les articles 72 et 73 de l'annexe III au présent code pris en application de l'article 52 de la loi du 28 février 1934, sont soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % dans les départements de la France métropolitaine et de 1,05 % dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. Lorsqu'une publication remplissant les conditions mentionnées au premier alinéa est comprise dans une offre composite pour un prix forfaitaire comprenant l'accès à un contenu numérique ayant une cohérence éditoriale avec cette publication, les taux réduits mentionnés au premier alinéa s'appliquent à hauteur fixée par voie réglementaire ".
13. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que le taux de 2,10 % ou de 1,05 % de la taxe sur la valeur ajoutée n'est applicable qu'à des journaux et périodiques imprimés. En tant qu'elles réservent l'application du taux de taxe sur la valeur ajoutée de 2,10 % ou de 1,05 % à ces journaux ou périodiques, à l'exclusion, notamment, des publications en ligne, ces dispositions, qui sont claires et précises et excluent l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux journaux et périodiques autres qu'imprimés, assurent la transposition en droit interne des dispositions de la directive 2006/112/CE mentionnées au point 6.
14. A cet égard, à la date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 298 septies du code général des impôts, les articles 72 et 73 de l'annexe III au code général des impôts réservaient l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux publications faisant l'objet d'une impression. En adoptant ces dispositions, le législateur doit ainsi être regardé comme ayant lui-même exclu les publications ne faisant pas l'objet d'une impression de l'application du taux réduit en réservant cette application aux publications qui remplissent les conditions prévues par les articles précités de l'annexe III au code général des impôts. Dans ces conditions, la société
Editrice de Médiapart n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de droit interne précitées autorisaient l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.
15. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 7, les dispositions de l'article 298 septies du code général des impôts doivent être regardées comme assurant depuis leur création la transposition de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 dans ses dispositions prohibant l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux services fournis par voie électronique. S'agissant de ces services, le droit interne ne permettait pas l'application d'un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée. Contrairement à ce que soutient la société Editrice de Médiapart, un tel taux ne pouvait dès lors être maintenu par application de la " clause de gel " résultant de l'article 110 de la directive précitée.
16. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 8, le principe de neutralité fiscale ne permet pas d'étendre le champ d'application d'un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée en l'absence d'une disposition non équivoque. La société Editrice de Médiapart n'est par suite pas fondée à se prévaloir du principe de neutralité fiscale pour remettre en cause l'application des dispositions claires et précises de l'article 298 septies du code général des impôts.
17. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les règles de droit applicables étaient claires et précises et n'avaient alors pas été modifiées. La société Editrice de Médiapart n'est dès lors pas fondée à soutenir, en se bornant à constater qu'elle n'avait pas fait l'objet de rectifications avant les vérifications de comptabilité en cause, que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime auraient été méconnus.
18. Enfin, il résulte de l'instruction que pour déterminer les conséquences financières des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et fixer ainsi le montant des droits et pénalités, l'administration a calculé le montant des droits éludés période par période en imputant pour chacune des périodes les crédits de taxe sur la valeur ajoutée non remis en cause. La société Editrice de Médiapart, en se bornant à se prévaloir de tableaux comparatifs, n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses allégations selon lesquelles les rappels de taxe sur la valeur ajoutée procèderaient d'une méthode de calcul erronée.
Sur les pénalités :
19. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de :
a. 40 % en cas de manquement délibéré ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires (...) la preuve de la mauvaise foi (...) incombe à l'administration ".
20. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré mise à la charge de la société Editrice de Médiapart, l'administration fait valoir que cette société a appliqué de manière délibérée le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à ses services de presse en ligne au cours de la période en litige, alors qu'aussi bien les textes, clairs et précis ainsi qu'il a été dit précédemment, que la jurisprudence et des réponses ministérielles ne l'autorisait pas, la société Editrice de Médiapart ne pouvant ainsi se prévaloir du principe de confiance légitime pour s'exonérer de ses obligations. Il résulte de l'instruction que la société Editrice de Médiapart n'ignorait pas qu'elle était redevable de la taxe sur la valeur ajoutée au taux de droit commun sur ses publications en ligne, ainsi que l'attestent les nombreuses démarches entreprises par cette dernière pour obtenir l'application d'un taux réduit et un courrier de l'administration fiscale du 17 juin 2008 indiquant expressément à la requérante qu'elle ne pouvait bénéficier d'un tel taux. Si cette société estimait l'application dudit taux inconventionnelle et inconstitutionnelle et espérait l'aboutissement de ses démarches, au lieu d'appliquer le taux de taxe sur la valeur ajoutée légal et de présenter des réclamations si elle s'y estimait fondée, la société Editrice de Médiapart a manifesté sans équivoque et de manière délibérée son intention de ne pas acquitter la taxe due et ainsi d'éluder en toute connaissance de cause l'imposition dont elle était redevable. Dans ces conditions, l'administration établit le caractère délibéré des manquements commis par la société Editrice de Médiapart et, par suite, le bien-fondé de l'application à son encontre de la majoration prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts.
21. Par ailleurs, si la société Editrice de Médiapart soutient que l'assiette de la majoration pour manquement délibéré, comme celle d'ailleurs des intérêts de retard, repose sur une méthode de calcul erroné, ce moyen doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 18.
22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles demandées, que la société Editrice de Médiapart n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de ses demandes tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée contestés. Son appel incident, y compris et en tout état de cause l'ensemble de ses conclusions à fin d'injonction, doit ainsi être rejeté. En revanche, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le Tribunal administratif de Paris a déchargé la société Editrice de Médiapart des pénalités qui lui avaient été infligées sur le fondement du a) de l'article 1729 du code général des impôts. Les articles 1er et 2 de ce jugement doivent ainsi être annulés et les pénalités en cause remises à la charge de la société Editrice de Médiapart.
Sur les frais liés au litige :
23. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
24. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Editrice de Médiapart demande au titre des frais qu'elle a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1609984 et 1615478 du 22 mai 2018 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les pénalités infligées à la société Editrice de Médiapart sur le fondement du a) de l'article 1729 du code général des impôts sont remises à sa charge.
Article 3 : L'appel incident de la société Editrice de Médiapart est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié la société Editrice de Médiapart et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques - service juridique de la fiscalité.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. C..., président-assesseur,
- Mme Marion, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.
Le rapporteur,
F. C...Le président,
S.-L. FORMERY
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 18PA02396