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27/10/2020 | FRANCE | N°20PA02180;20PA02182

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 27 octobre 2020, 20PA02180 et 20PA02182


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 juin 2020 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités allemandes, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2008339/8 du 9 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police de délivrer à M. C... une attes

tation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 juin 2020 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités allemandes, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2008339/8 du 9 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police de délivrer à M. C... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 7 août 2020 sous le numéro 20PA02180, le préfet de police demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2008339/8 du 9 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que son arrêté était entaché d'une méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ordonné, au vu du motif d'annulation, la délivrance à l'intéressé d'une attestation de demande d'asile en procédure normale ;

- les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 7 août 2020 sous le numéro 20PA02182, le préfet de police demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2008339/8 du 9 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris.

Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.

Les requêtes ont été communiquées à M. C... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission,

- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,

- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant somalien né le 2 février 1993, a sollicité le

4 mars 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il avait présenté une demande d'asile auprès des autorités allemandes, le 5 juillet 2017. Le 6 mars 2020, le préfet de police a adressé aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de M. C... en application des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et celles-ci ont accepté cette reprise en charge le 13 mars 2020 au titre d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par un arrêté en date du 2 juin 2020, le préfet de police a décidé de leur remettre M. C.... Par le jugement du 9 juillet 2020 dont il est fait appel, le tribunal administratif de Paris a admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement à intervenir, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance et a rejeté le surplus des demandes. Par la requête enregistrée sous le n° 20PA02180, le préfet de police relève appel de ce jugement. Par la requête enregistrée sous le n° 20PA02182, il demande à la cour d'en prononcer le sursis à exécution.

2. Les requêtes nos 20PA02180 et 20PA02182 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " Pour considérer que l'arrêté en litige méconnaissait les stipulations précitées, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que la demande d'asile de M. C... avait été définitivement rejetée par une décision de l'office fédéral allemand des migrations et des réfugiés, que la situation actuelle du Moyen Juba, dont est originaire M. C..., devait être regardée, à la date de l'arrêté attaqué, comme une situation de violence aveugle d'intensité exceptionnelle et que les autorités allemandes procédaient à des éloignements à destination de la Somalie de demandeurs d'asile dont la demande avait été rejetée définitivement, pour en déduire que la remise aux autorités allemandes aurait pour conséquence un renvoi en Somalie, où l'intéressé s'exposerait à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants.

4. L'arrêté en litige a cependant pour seul objet de renvoyer M. C... en Allemagne, Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du

28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et non dans son pays d'origine. M. C..., qui soutient sans l'établir qu'il n'aurait pas demandé l'asile en Allemagne, ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Allemagne dans la procédure de traitement des demandes d'asile. En tout état de cause, alors même que sa demande d'asile aurait été définitivement rejetée par les autorités allemandes et qu'il ferait l'objet d'une mesure d'éloignement, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ces autorités, n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auquel il serait exposé en cas de retour en Somalie. Ainsi, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de ce que l'arrêté méconnaitrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté en litige.

5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

6. En premier lieu, par arrêté n°2020-00197 du 2 mars 2020, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 10 mars 2020, le préfet de police a donné délégation à Mme D..., attachée principale d'administration de l'Etat, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure les arrêtés de transfert. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.

7. En deuxième lieu, l'arrêté prononçant le transfert de M. C... aux autorités allemandes vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le règlement n° 1560/2003 portant modalité d'application du règlement n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable d'une demande d'asile ainsi que le règlement n° 603/2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales. Il relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de M. C..., rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque M. C... s'est présenté devant les services de la préfecture de police et précise que la consultation du système Eurodac a révélé que l'intéressé avait sollicité l'asile auprès des autorités allemandes. Il précise également que ces dernières ont accepté le 13 mars 2020 de le reprendre en charge en application des dispositions du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 dudit règlement. Enfin, il ressort des mentions de l'arrêté attaqué que le préfet de police a examiné la situation de M. C... au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. La mention de la date du 5 juillet " 2020 " au lieu du 5 juillet " 2017 " comme date à laquelle M. C... a déposé une demande d'asile auprès des autorités allemandes constitue, enfin, une erreur matérielle sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision de transfert serait insuffisamment motivée et du défaut d'examen de sa situation personnelle ne peuvent qu'être écartés.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre, le 4 mars 2020, l'ensemble des informations nécessaires au suivi de sa demande et à l'engagement de la procédure de transfert, et tout particulièrement, la brochure d'information sur le règlement " Dublin III " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (brochure A), la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin III " (brochure B), la brochure d'information, rédigée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, relative à la base de données " Eurodac " ainsi que le guide du demandeur d'asile, rédigés en langues anglaise et somali, langues que l'intéressé avait préalablement déclaré comprendre. Si le requérant a soutenu devant le tribunal qu'il n'aurait pas reçu les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend, il ressort des pièces du dossier que, lors de l'entretien individuel réalisé en langue somali, il a confirmé comprendre les termes de cet entretien et n'a émis aucune réserve lors de la remise des brochures. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. C... n'aurait pas reçu, dans une langue qu'il comprend, les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.

9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... a été reçu à la préfecture de police le 4 mars 2020, par un agent de la préfecture. M. C... a été assisté d'un interprète en langue somali lors de l'entretien individuel ainsi que lors de la notification de l'arrêté attaqué. L'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et il ressort de son résumé que l'intéressé, qui n'a fait état d'aucune difficulté dans la compréhension de la procédure mise en oeuvre à son encontre et qui était assisté d'un interprète assermenté en langue somali, a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Par ailleurs, l'article 5 de ce règlement n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené et ce résumé, qui, selon cet article 5, peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, ne saurait être regardé comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la circonstance que la qualification ainsi que la qualité et l'identité de l'agent ayant mené l'entretien n'apparaissent pas sur le résumé de l'entretien individuel mené avec M. C... est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Enfin, si M. C... soutient ne s'être pas vu remettre le compte rendu de cet entretien, il n'établit pas en avoir fait la demande. Par suite, sans autres précisions de la part du requérant sur les garanties dont il aurait été privé lors de cet entretien, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

10. En dernier lieu,, aux termes de l'article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ".

11. Eu égard à ce qui a été dit au point 4, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut être qu'écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 2 juin 2020, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement à intervenir, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. C... devant le tribunal.

Sur la requête n° 20PA02182 :

13. Le présent arrêt statuant sur les conclusions de la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce que soit ordonné le sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.

DECIDE :

Article 1er : : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA02182 du préfet de police.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2008339 du 9 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 3 : Les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. C... devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et M. E....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience publique du 6 octobre 2020 à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 27 octobre 2020.

Le rapporteur,

M-F... A... Le président,

M. B...

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

Nos 20PA02180 et 20PA02182


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02180;20PA02182
Date de la décision : 27/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : EL BOREI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-10-27;20pa02180 ?
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