Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 mars 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'entrée en France au titre de l'asile et a prescrit son réacheminement vers le Mexique ou tout autre pays où il sera légalement admissible.
Par un jugement n° 2004691/8 du 9 mars 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 4 mars 2020 du ministre de l'intérieur.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mai 2020, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Claisse, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2004691/8 du 9 mars 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le magistrat désigné, la demande d'asile de M. B... se fonde sur des déclarations superficielles et incohérentes ;
- la décision contestée n'est pas viciée par les conditions matérielles de l'entretien avec l'interprète et l'officier de protection ;
- cette décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- et les observations de Me El Moussaoui représentant le ministre de l'intérieur, en présence de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant turc arrivé en France le 27 février 2020 à l'aéroport Roissy Charles de Gaulle par un vol en provenance du Mexique, a sollicité le 28 février 2020 son admission au séjour au titre de l'asile et a été placé en zone d'attente. Par une décision du 4 mars 2020, prise après avis de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 3 mars 2020, le ministre de l'intérieur a estimé que sa demande au titre de l'asile était manifestement infondée et décidé en conséquence de lui refuser l'entrée sur le territoire français, en prescrivant son réacheminement vers le Mexique ou vers tout pays où il serait légalement admissible. Le ministre de l'intérieur fait appel du jugement du 9 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise par le ministre chargé de l'immigration que si : (...) 3°(...) la demande d'asile est manifestement infondée./ Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves (...) L'étranger autorisé à entrer en France au titre de l'asile est muni sans délai d'un visa de régularisation de huit jours. Dans ce délai, l'autorité administrative compétente lui délivre, à sa demande, une attestation de demande d'asile lui permettant d'introduire sa demande auprès de l'office ". En vertu de l'article R. 213-2 du même code : " Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, il est informé sans délai, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de la procédure de demande d'asile et de son déroulement, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande. (...). ". En application des dispositions de l'article R. 213-4 dudit code : " Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, l'étranger est entendu par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides selon les modalités prévues par les articles R. 723-5 à R. 723-9 ".
3. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le ministre chargé de l'immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations, et les documents produits à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé.
4. Pour annuler la décision du ministre de l'intérieur refusant l'entrée sur le territoire de M. B..., le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé sur les déclarations de l'intéressé telles que consignées dans le compte-rendu d'entretien avec le représentant de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dont il ressortait que M. B... aurait été identifié comme un opposant au régime turc et aurait fait l'objet de gardes à vue au cours desquelles il aurait subi des mauvais traitements. Le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a estimé que, compte tenu de ces éléments, et alors même que les demandes d'asile formées par les frères de M. B... auraient été rejetées, le ministre de l'intérieur, en refusant l'admission de ce dernier sur le territoire national et en estimant que sa demande d'asile devait être regardée comme manifestement infondée, avait méconnu les dispositions du code précitées.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'au soutien de sa demande d'asile, M. B... a exposé que, d'origine kurde et sympathisant puis adhérent du parti HDP, il avait été identifié par les autorités turques comme opposant au régime, placé en garde-à-vue et victime de menaces et d'actes de torture pendant six mois avant de partir vers le Maroc le 13 février 2020. Pour autant, en possession d'un passeport en cours de validité délivré peu de temps auparavant par la Turquie, en se bornant à déclarer que les mauvais traitements dont il avait fait l'objet avaient directement pour origine sa participation à des manifestations et meetings ainsi qu'aux obsèques d'un membre du PKK, M. B... n'a assorti ses déclarations d'aucun élément personnalisé et circonstancié, se bornant à un récit évasif, vague et dépourvu de crédibilité. Dans ces conditions, la demande de M. B..., dont les frères ont vu leurs demande d'asile rejetées, a pu être regardée comme manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves en Turquie. Par suite, le ministre de l'intérieur n'a pas commis d'erreur d'appréciation en rejetant la demande du requérant comme manifestement infondée, en application des dispositions précitées de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que pour annuler sa décision, le premier juge a retenu le moyen tiré de l'erreur d'appréciation.
6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L.742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète et obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L.111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié lors de l'entretien individuel avec l'agent de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 3 mars 2020, ainsi que le permettent les dispositions précitées, des services téléphoniques d'un interprète en langue turque de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. D'autre part, le requérant n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles il aurait été privé d'une garantie du fait du recours à cette méthode en se bornant à soutenir que la nécessité de recourir à une assistance par voie téléphonique n'est pas établie, dès lors qu'il ne ressort pas du compte-rendu de l'entretien individuel, d'une durée de 53 minutes, qu'il aurait eu des difficultés de compréhension et d'interaction avec l'interprète. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le recours à cette méthode aurait eu une incidence sur le sens de la décision litigieuse. Ainsi, aucun élément du dossier ne permet de considérer que la circonstance que l'interprète n'ait pas été physiquement présent aux côtés de M. B... aurait empêché l'intéressé d'honorer sa convocation à cet entretien, de comprendre ses droits en matière d'asile ou d'exprimer clairement les motifs de sa demande d'asile. M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'il n'a pas bénéficié, pour ce motif, d'une procédure régulière, alors d'ailleurs que la possibilité de recourir à l'assistance d'un interprète par l'intermédiaire de moyens de télécommunication est expressément prévue par les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article R. 723-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'office peut décider de procéder à l'entretien personnel en ayant recours à un moyen de communication audiovisuelle dans les cas suivants : 1° Lorsque le demandeur est dans l'impossibilité de se déplacer, notamment pour des raisons de santé ou des raisons familiales ; 2° Lorsqu'il est retenu dans un lieu privatif de liberté ;3° Lorsqu'il est outre-mer. Les modalités techniques garantissant la confidentialité de la transmission fidèle des propos tenus au cours de l'entretien sont définies par décision du directeur général de l'office. Le local destiné à recevoir les demandeurs d'asile entendus par un moyen de communication audiovisuelle doit avoir été préalablement agréé par le directeur général de l'office. Cet agrément peut être retiré si les conditions énoncées à l'alinéa précédent ne sont plus remplies. L'officier de protection chargé de la conduite de l'entretien a la maîtrise des opérations. Il lui appartient de veiller au respect des droits de la personne. Il doit à tout instant pouvoir s'assurer du respect des bonnes conditions d'audition et de visionnage. Il peut mettre fin à l'entretien si ces conditions ne sont pas réunies ou si les circonstances de l'espèce l'exigent. Dans ce cas, l'entretien a lieu en présence de l'intéressé. L'intéressé entendu par un moyen de communication audiovisuelle doit, si besoin avec l'aide d'un interprète, être informé par l'office avant le commencement de l'entretien du déroulement des opérations, notamment des modalités permettant d'assurer le respect des règles de confidentialité. ".
10. Contrairement à ce que soutient M. B..., il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de l'entretien individuel, que son entretien avec l'agent de l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) aurait été réalisé par téléphone. Ce moyen sera donc écarté comme manquant en fait.
11. En dernier lieu, si M. B... soutient que le ministre de l'intérieur a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il serait en danger en cas de retour en Turquie, il ne saurait utilement invoquer les risques encourus en cas de retour dans son pays d'origine pour contester la légalité de la décision du ministre qui ne le renvoie pas vers son pays d'origine.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé sa décision portant refus d'entrée sur le territoire de M. B.... La demande présentée devant le tribunal doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : : Le jugement n° 2004691/8 du 9 mars 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B....
Délibéré après l'audience publique du 6 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Jayer, premier conseiller.
Lu en audience publique le 27 octobre 2020.
Le rapporteur,
M-D Jayer Le président,
M. Bouleau
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 20PA01318