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15/10/2020 | FRANCE | N°20PA01142

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 15 octobre 2020, 20PA01142


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 26 novembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement et d'annuler la décision du 29 mars 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 26 novembre 2018 de l'inspectrice du travail et a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1911419/3-3 du 31 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une req

uête, enregistrée le 31 mars 2020, régularisée le 24 avril 2020, M. B... E..., représenté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 26 novembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement et d'annuler la décision du 29 mars 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 26 novembre 2018 de l'inspectrice du travail et a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1911419/3-3 du 31 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 31 mars 2020, régularisée le 24 avril 2020, M. B... E..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1911419/3-3 du 31 janvier 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 26 novembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement et d'annuler la décision du 29 mars 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 26 novembre 2018 de l'inspectrice du travail et a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de la société Vesuvio Lyon le versement de la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse est entachée d'une erreur de fait ; il n'est pas responsable de l'agression qui a été commise par son fils ; au surplus, dès lors qu'un doute subsiste quant aux faits reprochés, il doit bénéficier au salarié, en vertu des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail ;

- la demande d'autorisation de licenciement est en réalité motivée par la volonté de la société employeur d'éviction des anciens salariés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2020, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 20 juillet 2020, et un mémoire de production de pièces, enregistré le 22 juillet 2020, la société Vesuvio Lyon, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. E... le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., avocat de M. E..., et de Me F..., avocat de la société Vesuvio Lyon.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... E... a été recruté le 7 juin 1977 par la société Vesuvio Lyon, qui exploite le restaurant " Fosca " au 19, boulevard Diderot à Paris (12ème arrondissement), en qualité de commis de salle, avec un contrat de travail à durée indéterminée. A compter de 1988, il a travaillé dans ce même restaurant en tant que maître d'hôtel, avec un niveau d'agent de maîtrise. Il détenait, depuis le 22 septembre 2014 et jusqu'au 22 septembre 2018, le mandat de délégué du personnel titulaire. A la suite des faits survenus le 20 septembre 2018, la société Vesuvio Lyon, par un courrier du 6 octobre 2018, a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. E... pour motif disciplinaire pour trois griefs, " Avoir organisé une expédition punitive à l'encontre de son collègue, le 20 septembre 2018 à 23 heures 40 ", " Tenir des propos insultants contre des clients et co11ègues, menaçants et désobligeants vis-à-vis de ses collègues ", " Tenir des propos racistes ". Par une décision du 26 novembre 2018, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement sollicité au motif que le premier grief était établi, fautif et suffisamment grave pour justifier à lui seul le licenciement. Le 3 décembre 2018, M. E... a formé un recours hiérarchique, reçu le lendemain, à l'encontre de cette décision. Par la décision contestée du 29 mars 2019, la ministre du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 26 novembre 2018 pour méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure et accordé le licenciement de M. E... pour le seul grief de l'organisation, par le salarié intéressé, d'une expédition punitive contre l'un de ses collègues à la suite d'une altercation verbale. Par le jugement attaqué du 31 janvier 2019 dont M. E... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant à la ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des témoignages des salariés du restaurant Fosca, tant écrits et versés au dossier qu'oraux et présentés lors de l'enquête contradictoire menée par l'inspectrice du travail, et de l'enregistrement vidéo de la caméra de vidéosurveillance, dont l'installation dans la salle du restaurant avait été autorisée par le préfet de police, que, le 20 septembre 2018, quelques minutes après 15 heures, une dispute a eu lieu entre M. E... et M. G..., barman, au sujet d'une commande A l'échange d'insultes a succédé le geste de M. G... qui s'est saisi d'un couteau pour en menacer M. E..., avant d'être désarmé et calmé par le serveur, qui s'est immédiatement interposé entre les deux protagonistes, qui sont ensuite rentrés chez eux lors de la coupure avant le service du soir. Le soir du même jour, les derniers clients ont quitté la salle du restaurant à 23 heures 38. M. E... a quitté la salle à 23 heures 39 vers l'intérieur du restaurant. A 23 heures 40, alors que M. G... était au bar et que le responsable de salle faisait ses comptes à une table en remplissant un tableau, un jeune homme, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de M. A... E..., fils de M. B... E..., est entré calmement dans la salle du restaurant. Treize secondes plus tard, il pénétrait dans l'espace du bar, se jetait sur M. G... et lui portait des coups de tête, de poings et de genoux, pour l'essentiel au visage et au tronc, alors que M. G... tentait de se protéger six secondes après le début de l'agression, d'autres jeunes hommes, huit au total, sont entrés dans la salle de restaurant, ils n'ont pas participé à la lutte et certains finiront par retenir M. A... E... et par s'interposer entre lui et M. G.... L'agression, très brève, a pris fin à 23 heures 40 minutes et 55 secondes, et à 23 heures 41 minutes et 22 secondes, M. A... E... et ses huit accompagnateurs ont quitté la salle du restaurant, l'un après avoir menacé M. G..., mais sont restés dans la rue, devant la porte du restaurant. A 23 heures 43 minutes et 2 secondes, M. B... E... est revenu dans la salle, venant de l'intérieur du restaurant. A 23 heures 45 minutes et 32 secondes, le responsable de salle puis M. B... E... sont allés à la porte du restaurant parler au groupe de jeunes hommes. Ils y ont été rejoints à 23 heures 47 minutes et 37 secondes par le serveur, entré dans la salle, venant de l'intérieur du restaurant. A 23 heures 54 minutes et 35 secondes, les employés ont quitté la porte, et, après avoir rentré des tables à l'intérieur, sont revenus dans la salle.

4. D'une part, la circonstance que M. G... a commis une faute en menaçant M. E... avec un couteau le 20 septembre 2018 à 15 heures 10, pour laquelle il a au demeurant été sanctionné d'un avertissement notifié le 25 octobre 2018, si elle peut être regardée comme la cause qui a déclenché les événements de la soirée du même jour, est toutefois sans incidence sur l'appréciation que la ministre du travail devait porter sur ces événements et, en tout état de cause, n'était pas de nature à exonérer M. E... de sa responsabilité dans le déroulement de ces événements.

5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. E..., après l'incident survenu à 15 heures 10 et avant de rentrer chez lui pour la coupure avant le service du soir, a dit, selon l'attestation écrite de M. G..., "tu vas voir ce soir, je vais rentrer chez moi, tu vas voir ce soir" et, selon le témoignage fait par le serveur qui s'était interposé entre M. E... et M. G... auprès de l'inspectrice du travail lors de son enquête, " je vais appeler mon fils ", " il arrive mon fils tu vas voir ". M. E..., selon les témoignages des salariés du restaurant, avait déjà proféré à plusieurs reprises par le passé la menace d'appeler son fils dont il avait alors précisé qu'il pratiquait à un haut niveau des arts martiaux. Selon le témoignage du responsable de salle, lorsque M. A... E... est entré dans l'espace du bar et s'est jeté sur M. G... et qu'il lui a demandé ce qu'il se passait, M. A... E... a répondu " il y a un problème avec mon père ". En outre, lorsque le serveur est allé, à 23 heures 47 minutes et 37 secondes, à la porte du restaurant parler à l'agresseur et à ses accompagnateurs, il a demandé, selon son témoignage auprès de l'inspectrice du travail, à M. A... E... pourquoi il avait frappé M. G..., et celui-là lui aurait déclaré : " Pourquoi il a touché mon daron [père] ' ". Il résulte de l'ensemble de ces témoignages que M. A... E... avait été parfaitement mis au courant par son père de l'incident survenu le même jour un peu après 15 heures entre celui-ci et M. G... et qu'il était venu au restaurant Fosca dans l'intention de venger son père.

6. Enfin, si M. E... soutient avec constance qu'il n'était nullement au courant des intentions de son fils, qu'il lui avait seulement demandé de venir le chercher à la fin de son service pour, par sécurité, le raccompagner à son domicile, que, lors de l'agression, il n'était pas présent dans la salle, mais était descendu au vestiaire en sous-sol pour se changer et qu'ainsi il ne saurait être responsable des actes de son fils, qu'au demeurant il condamne, il ressort toutefois de l'enregistrement vidéo de la caméra de vidéosurveillance versé au dossier que M. E... a disparu de la salle du restaurant à 23 heures 39 minutes et 7 secondes, soit 53 secondes avant l'entrée de son fils dans la salle, et y est réapparu une minute et 40 secondes après que son fils l'a quittée. Les témoignages des salariés et l'enchaînement de ces faits, et particulièrement la disparition en sous-sol de M. E... pendant l'agression perpétrée par son fils entre 23 heures 40 minutes et 23 heures 41 minutes et 22 secondes, qui ne saurait relever d'une coïncidence, révèlent, comme l'a justement retenu la ministre du travail, d'une part que M. E... est à l'origine directe de l'agression de M. G... par son fils, et, d'autre part, qu'il avait préalablement organisé, avec son fils, le déroulement de cette expédition punitive. Par suite, la matérialité des faits reprochés à M. E... doit être regardée comme étant établie. Il s'en suit que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que dès lors que les faits étaient établis et imputables à M. E... au-delà de tout doute raisonnable, les dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, aux termes desquelles " si un doute subsiste, il profite au salarié ", ne trouvaient pas à s'appliquer.

7. Par ailleurs, la circonstance, à la supposer établie, que M. E... n'ait pas été poursuivi pénalement pour les faits survenus dans la soirée du 20 septembre 2018 est sans incidence sur l'appréciation que doit porter l'inspecteur du travail puis, le cas échéant, le ministre chargé du travail sur la matérialité des faits reprochés au salarié et sur leur caractère de gravité suffisante pour justifier le licenciement sollicité par l'employeur.

8. Et si M. E... produit plusieurs attestations, au demeurant assez stéréotypées, d'anciens salariés du restaurant relatives à son comportement, décrit comme très professionnel et irréprochable avec ses collègues, ces attestations ne concernent pas les faits litigieux, mais son attitude passée.

9. Enfin, si M. E... soutient que la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur à son encontre est en réalité motivée par la volonté de l'employeur de voir les anciens salariés quitter le restaurant, il n'apporte, à l'appui de ses allégations, aucun commencement de preuve.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 31 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 novembre 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement et à l'annulation de la décision du 29 mars 2019 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 26 novembre 2018 de l'inspectrice du travail et a autorisé son licenciement.

Sur les frais liés à l'instance :

11. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par M. E... doivent être rejetées.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... le paiement à la société Vesuvio Lyon de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : M. E... versera à la société Vesuvio Lyon une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à la société Vesuvio Lyon et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.

Le rapporteur,

I. C...Le président,

H. VINOT

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 20PA01142


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01142
Date de la décision : 15/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TAMPÉ

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-10-15;20pa01142 ?
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