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16/07/2020 | FRANCE | N°19PA01089

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 16 juillet 2020, 19PA01089


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

14 décembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités suédoises en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1823894 du 25 février 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 mars 2019, M. D..., représenté par Me B..., demande

à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1823894 du 25 février 2019 du magistrat désigné par le présiden...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

14 décembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités suédoises en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1823894 du 25 février 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 mars 2019, M. D..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1823894 du 25 février 2019 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 14 décembre 2018 pour excès de pouvoir ;

3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile sous astreinte de

500 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;

- son droit à l'information garanti par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 a été méconnu, car les brochures d'information qui lui ont été remises étaient rédigées en langue française, qu'il ne comprend pas ;

- il n'est pas démontré que l'entretien individuel préalable à l'édiction de l'arrêté de transfert a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national, comme l'exige l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- l'entretien, réalisé en français, n'a pas été mené dans une langue qu'il comprend ;

- l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;

- le préfet de police a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage du pouvoir qu'il tient de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

Par un courrier du 26 septembre 2019, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que les conclusions tendant à l'annulation de la décision de transfert étaient devenues sans objet, celle-ci n'étant plus susceptible d'exécution.

Par un mémoire enregistré le 30 septembre 2019, M. D..., représenté par Me B..., persiste dans les conclusions de sa requête et fait valoir que le litige n'a pas perdu son objet.

Par un mémoire enregistré le 21 octobre 2019, le préfet de police a présenté des observations en réponse à ce courrier, et a notamment fait valoir que le délai de transfert avait été prolongé.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 avril 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par M. D... n'est fondé.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 26 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant afghan, est entré irrégulièrement en France et a sollicité le bénéfice de l'asile le 19 octobre 2018 au guichet unique de la préfecture de police. Le relevé de ses empreintes digitales et la consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'il avait également présenté une demande d'asile en Suède le 3 décembre 2015, le préfet de police a saisi les autorités suédoises, le 26 octobre 2018, d'une demande de reprise en charge à laquelle elles ont répondu favorablement le 29 octobre 2018. Par un arrêté du 14 décembre 2018, le préfet de police a ordonné le transfert de M. D... aux autorités suédoises pour l'examen de sa demande d'asile. M. D... fait appel du jugement du 25 février 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".

3. En application de ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

5. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

6. L'arrêté du 14 décembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé de la remise de M. D... aux autorités suédoises, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, comporte le visa du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers. Il indique que " il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. D... C... au moyen du système " EURODAC ", effectuée conformément au règlement n° 603/2013 susvisé, que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités suédoises le 3 décembre 2015 ", que " les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. D... C... " et " qu'en conséquence, au regard des articles 3 et 18 (1) (b), les autorités suédoises doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. D... C... ". Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient M. D..., l'arrêté du préfet de police ordonnant son transfert aux autorités suédoises n'est pas entaché d'une insuffisance de motivation.

7. En deuxième lieu, l'article 4 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre le 19 octobre 2018 les brochures " A " et " B ", contenant les informations sur la procédure de détermination de l'État responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement du 26 juin 2013, ainsi que le guide du demandeur d'asile et la brochure prévue par l'article 29 du règlement (UE) 603/2013 comprenant toutes informations utiles sur le système " Eurodac " concernant la prise d'empreintes digitales, en langue dari, qu'il a déclaré comprendre. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 et de l'article 29 du règlement n° 603/2013 manquent en fait et doivent être écartés.

9. En troisième lieu, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a bénéficié d'un entretien individuel le

19 octobre 2018 auprès de la préfecture de police. Cet entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la préfecture de police, identifié par des initiales, qui doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien conformément aux exigences de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, alors même que son nom n'est pas précisé dans le résumé d'entretien et que sa signature n'y est pas apposée. Il ressort en outre du compte-rendu de cet entretien, signé par M. D..., qu'il a été réalisé avec l'assistance d'un interprète en langue dari. Le moyen tiré de ce que cet entretien aurait été réalisé en français manque donc en fait.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 :

" 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

12. M. D... soutient que sa demande d'asile a été définitivement rejetée par les autorités suédoises, que la Suède procède à des éloignements de demandeurs d'asile vers l'Afghanistan, pays en proie à une situation de conflit et de violences généralisées, et que son transfert aux autorités suédoises entraînerait dès lors pour lui le risque de subir des traitements inhumains et dégradants contraires aux dispositions de l'article 3 précité. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de transférer M. D... vers la Suède et non vers son pays d'origine. Même si cette présomption n'est pas irréfragable, la Suède est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. L'existence d'un risque sérieux d'exécution forcée par les autorités suédoises d'une mesure d'éloignement vers l'Afghanistan et l'impossibilité d'exercer un recours effectif, dans cette hypothèse, permettant d'invoquer l'évolution défavorable de la situation sécuritaire dans ce pays, ne sont pas établies en l'espèce. Il s'ensuit que le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des risques de refoulement de M. D... vers l'Afghanistan ne peut qu'être écarté. Enfin, pour les mêmes motifs et compte tenu notamment de la durée de séjour en France de l'intéressé, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ne peut également qu'être écartés, alors même que M. D... justifie suivre des cours de français et s'être impliqué au sein d'une association sportive.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Poupineau, président,

- Mme Lescaut, premier conseiller,

- M. A..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 16 juillet 2020.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

V. POUPINEAU

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA01089


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01089
Date de la décision : 16/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme POUPINEAU
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : JOORY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-16;19pa01089 ?
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