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16/07/2020 | FRANCE | N°19PA00279

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 16 juillet 2020, 19PA00279


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

17 septembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1816900 du 12 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 janvier 2019, M. C..., représenté par Me D...,

demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1816900 du 12 novembre 2018 du magistrat désigné par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du

17 septembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1816900 du 12 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 janvier 2019, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1816900 du 12 novembre 2018 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 17 septembre 2018 pour excès de pouvoir ;

3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) dans un délai de 8 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le préfet de police n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté contesté, fondé sur le b) du 1 de l'article 18 du règlement 604/2013 UE, est entaché d'une erreur de droit dès lors que sa demande d'asile a été rejetée par les autorités allemandes ;

- il méconnaît l' article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement(UE) n° 604/2013.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 septembre 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 21 mars 2019.

Par un courrier en date du 3 juin 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible d'effectuer d''office une substitution de base légale, l'arrêté attaqué pouvant être fondé sur les dispositions du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

Par un mémoire enregistré le 16 juin 2020, présenté en réponse à ce courrier, le préfet de police persiste dans ses écritures.

Il soutient que :

- les autorités allemandes ont accepté de reprendre en charge la demande de protection internationale de M. C... sur le fondement du d) de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, l'arrêté ici en litige peut être regardé comme ayant été légalement pris sur le fondement de ces dispositions ;

- le d) de l'article 18 1 du règlement précité peut être substitué au b) de cet article, une telle substitution n'ayant pas pour effet de priver M. C... d'une garantie et le préfet disposant d'un même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une au l'autre de ces dispositions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 et le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant afghan, est entré irrégulièrement en France et a sollicité le bénéfice de l'asile le 10 juillet 2018 au guichet unique de la préfecture de police. Le relevé de ses empreintes digitales et la consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'il avait également présenté une demande d'asile en Allemagne le 29 février 2016, le préfet de police a saisi les autorités allemandes, le 19 juillet 2018, d'une demande de reprise en charge à laquelle elles ont répondu favorablement le 27 juillet 2018. Par un arrêté du 17 septembre 2018, le préfet de police a ordonné le transfert de M. C... aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. M. C... relève appel du jugement du 12 novembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".

3. En application de ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

5. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

6. L'arrêté du 17 septembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé de la remise de M. C... aux autorités allemandes, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, comporte le visa du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers. Il indique que " il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. C... B... E... au moyen du système " EURODAC ", effectuée conformément au règlement n° 603/2013, que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités allemandes le 29 février 2016 " et que " les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. C... B... E..., qu'en conséquence, au regard des articles 3 et 18 (1) (b), les autorités allemandes doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. C... B... E... ". Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient M. C..., l'arrêté du préfet de police décidant son transfert aux autorités allemandes n'est pas entaché d'une insuffisance de motivation ou d'un défaut d'examen de sa situation personnelle.

7. En deuxième lieu, M. C... soutient que sa demande d'asile ayant été définitivement rejetée en Allemagne, le préfet de police ne pouvait se fonder sur les dispositions précitées du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 alors que la demande de reprise en charge relevait du point d) du paragraphe 1 de l'article 18 précité.

8. Il ressort des pièces du dossier que si le préfet de police a saisi le 19 juillet 2018 les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge de M. C... sur le fondement des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ces autorités ont fait droit à cette demande le 27 juillet 2018 sur le fondement du d) du 1 du même article dès lors qu'elles avaient rejeté la demande d'asile de l'intéressé. Ainsi, l'arrêté portant transfert de M. C... aux autorités allemandes ne pouvait être pris sur le fondement des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

9. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

10. En l'espèce, l'arrêté litigieux trouve son fondement légal dans les dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui peuvent être substituées à celles du b) du 1 du même article l'ayant fondé à tort dès lors, d'une part, que M. C... se trouvait dans la situation où, en application du d) du 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de police pouvait décider de son transfert aux autorités allemandes, d'autre part, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie, enfin, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 :

" 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

12. M. C... soutient qu'en cas de transfert vers l'Allemagne et dès lors que les autorités de ce pays ont rejeté sa demande d'asile, il risque d'être renvoyé vers l'Afghanistan et qu'il encourt des risques pour sa vie en cas de retour dans son pays. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Allemagne et non en Afghanistan. Par ailleurs, M. C... ne fait état d'aucune circonstance précise de nature à établir que sa remise aux autorités allemandes ne permettrait pas de s'assurer des garanties offertes en ce qui concerne la possibilité d'un réexamen de sa demande d'asile ainsi que les conditions de ce dernier, et qu'elle serait donc, par elle-même, contraire à l'article 3 de cette convention, en ce que les autorités allemandes procéderaient immanquablement à son éloignement vers l'Afghanistan. L'Allemagne étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit, en effet, être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces conventions.

Par suite, les moyens tirés de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions dérogatoires dites " clauses discrétionnaires " mentionnées à l'article 17 du règlement précité et de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Poupineau, président,

- Mme Lescaut, premier conseiller,

- M. A..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 16 juillet 2020.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

V. POUPINEAU

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00279


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00279
Date de la décision : 16/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme POUPINEAU
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : VENADE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-16;19pa00279 ?
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