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10/07/2020 | FRANCE | N°20PA00657,20PA00679

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 10 juillet 2020, 20PA00657,20PA00679


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Nina Sushi a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 novembre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 106 200 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale sans excéder 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 d

u code du travail.

Par un jugement n° 1900617/3-3 du 18 décembre 2019, le trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Nina Sushi a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 novembre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 106 200 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale sans excéder 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail.

Par un jugement n° 1900617/3-3 du 18 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 20PA00657 le 20 février 2020, la société Nina Sushi, représentée par la Selarl Capstan Lms, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900617/3-3 du 18 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 12 novembre 2018 du directeur général de l'OFII ;

3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale sans excéder 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail, soit la somme de 7 080 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'OFII le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 12 novembre 2018 a été prise par une autorité incompétente dès lors que la délégation de signature accordée à Mme A..., sa signataire, est imprécise et générale ;

- elle a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire dès lors que l'OFII ne lui a pas communiqué les annexes du procès-verbal du 26 septembre 2017 ainsi que la liste de ces annexes malgré ses demandes d'accéder à son dossier ; l'OFII n'a répondu qu'après avoir pris sa décision lui infligeant la contribution spéciale ;

- l'OFII a retenu, dans la décision contestée, un taux trois fois supérieur à celui qui est mentionné dans sa lettre du 27 septembre 2018 ; l'OFII, qui ne peut pas retenir une sanction supérieure à celle annoncée dans le cadre de la procédure contradictoire, a ainsi méconnu les dispositions de l'article R. 8253-3 du code du travail ;

- la décision du 12 novembre 2018 est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne mentionne pas ses courriers des 12 octobre et 7 novembre 2018 et qu'elle ne répond pas à ses observations présentées dans ce dernier courrier ; ce n'est que postérieurement à sa décision que l'OFII a répondu à ses observations ; cette décision méconnaît, par suite, les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ainsi que l'article R. 8253-4 du code du travail ;

- le procès-verbal du 26 septembre 2017 sur lequel se fonde l'OFII est irrégulier ; il méconnaît l'instruction DGT n° 11 du 12 septembre 2012 dès lors que l'inspecteur du travail ne l'a pas informée de l'existence du procès-verbal dressé à son encontre ; ce devoir d'information préalable constitue une formalité substantielle sanctionnée par la nullité du procès-verbal ; par ailleurs, un seul procès-verbal ne pouvait être établi pour des opérations de contrôle portant sur huit sociétés différentes alors que l'agent verbalisateur doit consigner les faits qu'il a personnellement constatés ; le procès-verbal n'est signé ni par son auteur, ni par les vingt contrôleurs participant aux opérations de contrôle ; dans ces conditions, il est dénué de force probante ; la réalité des faits ne saurait être regardée comme établie sur la base de ce procès-verbal ;

- les premiers juges ne pouvaient pas écarter le débat sur la régularité du procès-verbal sans limiter ses moyens de défense alors que ce procès-verbal fonde à lui seul la sanction contestée et que l'OFII l'a sanctionnée sans attendre la décision éventuelle du juge pénal ;

- à titre subsidiaire, le montant de la contribution spéciale sera nécessairement réduit à de plus justes proportions sans pouvoir excéder 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail ; les salaires et les indemnités des travailleurs étrangers leur ont été versés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Nina Sushi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 21 février 2020 sous le n° 20PA00679, la société Nina Sushi, représentée par la Selarl Capstan Lms, demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1900617/3-3 du 18 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris.

Elle soutient que les conditions prévues à l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont réunies dès lors que les moyens soulevés, identiques à ceux soulevés dans l'instance n° 20PA00657, paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et que l'exécution de la décision lui causerait un préjudice difficilement réparable, sa situation économique et financière étant particulièrement fragile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juin 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Nina Sushi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Nina Sushi ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me B... substituant Me Lori, avocat de la société Nina Sushi.

Considérant ce qui suit :

1. Lors d'un contrôle effectué le 26 septembre 2017 dans l'établissement exploité sous l'enseigne " Nina Sushi " par la société du même nom, les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, police ont constaté la présence de deux ressortissants étrangers démunis de titre de séjour et de titre de travail les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français et qui n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche. Par une décision du 12 novembre 2018, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société Nina Sushi la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-3 du code du travail, d'un montant de 106 200 euros. Le recours gracieux formé par la société Nina Sushi à l'encontre de cette décision a été rejeté par une décision de l'OFII du 29 novembre 2018. La société Nina Sushi relève appel du jugement du 18 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 novembre 2018 et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de la contribution spéciale. Elle demande, en outre, à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

2. Les requêtes susvisées n° 20PA00657 et n° 20PA00679, présentées par la société Nina Sushi tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement du 18 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. L'article L. 8251-1 du code du travail dispose que : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article R. 8253-2 du même code : " I. -Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. (...) IV.- Le montant de la contribution spéciale est porté à 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsqu'une méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 8251-1 a donné lieu à l'application de la contribution spéciale à l'encontre de l'employeur au cours de la période de cinq années précédant la constatation de l'infraction. ". Aux termes de l'article R. 8253-3 du même code : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. ".

4. S'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande. L'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016, précise d'ailleurs désormais que les sanctions " n'interviennent qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ".

5. Il résulte de l'instruction que préalablement à la décision du 12 novembre 2018 lui appliquant la contribution spéciale pour l'emploi de deux travailleurs étrangers sur la base de 15 000 fois le taux minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail, la société Nina Sushi a été informée, par une lettre du 27 septembre 2018 du directeur général de l'OFII, qu'elle était susceptible de se voir infliger la contribution spéciale dont le montant est " eu égard à l'article R. 8253-2 du code du travail (...) en principe égal à 5000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail en vigueur à la date de constatation de l'infraction. " et a été invitée à présenter ses observations. Toutefois, le directeur général de l'OFII n'a pas informé la société de ce que 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti, dans les conditions prévues au IV de l'article R. 8253-2 du code du travail dont au demeurant les dispositions n'ont pas été reproduites intégralement dans cette lettre, était également susceptible de lui être appliqué en raison d'un précédent manquement au code du travail constitué par l'emploi par la société d'un étranger démuni de titre de travail constaté par un procès-verbal du 19 septembre 2013. Dès lors, la société requérante n'a pas été informée avec une précision suffisante de l'ensemble des griefs pouvant être retenus contre elle et susceptibles d'influer sur le montant de la sanction financière mise à sa charge et n'a ainsi pas été en mesure de présenter utilement ses observations. Par suite, la décision du 12 novembre 2018 a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance le principe général des droits de la défense. Cette irrégularité a privé la société requérante d'une garantie. Il s'ensuit que la décision du 12 novembre 2018 mettant à sa charge la contribution spéciale d'un montant de 106 200 euros doit être annulée.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Nina Sushi est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 novembre 2018.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

7. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête de la société Nina Sushi tendant à l'annulation du jugement du 18 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 20PA00679 par laquelle la société Nina Sushi sollicitait de la Cour le sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Nina Sushi, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au titre des frais liés à l'instance. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le versement de la somme que la société Nina Sushi demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA00679.

Article 2 : Le jugement n° 1900617/3-3 du 18 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris et la décision du 12 novembre 2018 du directeur général de l'OFII l'Office français de l'immigration et de l'intégration sont annulés.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Nina Sushi et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2020.

Le président de la formation de jugement,

J. LAPOUZADE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à la ministre du travail en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N°s 20PA00657, 20PA00679


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00657,20PA00679
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CAPSTAN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-10;20pa00657.20pa00679 ?
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