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10/07/2020 | FRANCE | N°20PA00573

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 10 juillet 2020, 20PA00573


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2019 par lequel le préfet de la Seine-et-Marne a décidé son transfert aux autorités bulgares responsables de l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle il l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1910571 du 24 janvier 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requ

ête enregistrée le 15 février 2020 et un mémoire enregistré le 23 juin 2020, M. A..., représenté p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2019 par lequel le préfet de la Seine-et-Marne a décidé son transfert aux autorités bulgares responsables de l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle il l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1910571 du 24 janvier 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 15 février 2020 et un mémoire enregistré le 23 juin 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler le jugement n° 1910571 du 24 janvier 2020 du tribunal administratif de Melun ;

3°) d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2019 du préfet de la Seine-et-Marne décidant son transfert aux autorités bulgares ;

4°) d'enjoindre au préfet compétent, à titre principal, de l'admettre au séjour au titre de l'asile, de lui délivrer un livret OFPRA dans le délai de 24 heures suivant la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de lui délivrer une attestation de demande d'asile durant l'examen de sa demande d'asile, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. A... soutient que :

- l'arrêté de transfert aux autorités bulgares est insuffisamment motivé et est entaché d'une erreur de fait révélant un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;

- le préfet de la Seine-et-Marne a méconnu les articles 3 et 17 du règlement 604/2013 du 26 juin 2013, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision d'assignation à résidence est illégale par voie d'exception.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-et-Marne qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Par une décision du 25 février 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a admis M. A... à l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui revendique la nationalité afghane, s'est présenté le 4 novembre 2019 au guichet unique des demandeurs d'asile de Melun, aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités bulgares le 7 août 2019. Le 8 novembre 2019, le préfet de la Seine-et-Marne a adressé aux autorités bulgares une demande de reprise en charge de M. A..., en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités bulgares ont accepté le 14 novembre 2019 de reprendre en charge l'intéressé. Par un arrêté du 20 novembre 2019, le préfet de la Seine-et-Marne a décidé de remettre M. A... à ces autorités et, par une décision du même jour, l'a assigné à résidence. Par un jugement du 24 janvier 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté et de cette décision. M. A... fait appel de ce jugement.

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 25 février 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ses conclusions tendant à ce que la Cour lui accorde le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, en vertu du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lorsqu'une telle demande est présentée, un seul Etat, parmi ceux auxquels s'applique ce règlement, est responsable de son examen. Cet Etat, dit Etat membre responsable, est déterminé en faisant application des critères énoncés aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement ou, lorsqu'aucun Etat membre ne peut être désigné sur la base de ces critères, du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du chapitre II. Si l'Etat membre responsable est différent de l'Etat membre dans lequel se trouve le demandeur, ce dernier peut être transféré vers cet Etat, qui a vocation à le prendre en charge. Lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI de ce même règlement. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

4. L'arrêté contesté du 20 novembre 2019 vise le règlement communautaire n° 604/2013 relatif à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile dans les Etats membres de l'Union européenne. Il mentionne les éléments de faits relatifs à la situation personnelle de M. A..., notamment que l'examen de ses empreintes digitales a révélé qu'il a déposé une demande d'asile en Bulgarie le 7 août 2019 et que les autorités bulgares ont été saisies d'une demande de reprise en charge le 8 novembre 2019. L'arrêté précise en outre que M. A..., qui ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France, sera transféré vers la Bulgarie, et non vers l'Afghanistan, et pourra y faire valoir ses droits, alors que les Etats européens peuvent s'accorder une confiance mutuelle quant au respect des droits fondamentaux. L'arrêté comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui fondent la décision contestée et est suffisamment motivé, alors même qu'il omet de préciser la date à laquelle les autorités bulgares ont accepté de reprendre en charge M. A..., ainsi que celle jusqu'à laquelle cette acceptation reste en vigueur et qu'il ne permet pas de savoir si la reprise en charge a été demandée et acceptée sur le fondement du b) du 1) de l'article 18, la demande d'asile étant encore en cours d'examen en Bulgarie, ou sur celui du d) du 1) du même article, cette demande d'asile ayant déjà été rejetée en Bulgarie. Ni ces omissions ni cette imprécision ne révélent, en elles-mêmes, un défaut d'examen suffisant de la situation personnelle de M. A....

5. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe (...), l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ". Enfin, selon l'article 17 du règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe par en vertu des critères fixés par le présent règlement ".

6. M. A... soutient que la Bulgarie se trouve en état de défaillance systémique pour l'accueil des demandeurs d'asile et l'examen de leurs demandes et invoque divers extraits de rapports d'organisations non gouvernementales, ainsi que la circonstance que la commission européenne a adressé en novembre 2018 aux autorités bulgares une lettre de mise en demeure constatant des lacunes dans son système d'asile. Les infractions reprochées par cette mise en demeure concernent en particulier l'hébergement et la représentation juridique des mineurs non accompagnés, l'identification correcte des demandeurs d'asile vulnérables et le soutien qui doit leur est apporté, l'offre d'une assistance juridique appropriée, enfin la rétention des demandeurs d'asile et les garanties qui leur sont accordées durant cette rétention. Ces éléments sont toutefois insuffisants pour estimer qu'au jour de la décision contestée, soit le 20 novembre 2019, il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence en Bulgarie de défaillances systémiques générant de façon générale pour les demandeurs d'asile des risques de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, alors que la Bulgarie, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. M. A... soutient également que lors de son passage en Bulgarie, il a été interpellé et placé dans un centre de détention durant vingt jours, que ses empreintes digitales ont été relevées de force et qu'après sa libération du centre de rétention, il a été contraint de vivre dans la rue. Il produit une photographie qui aurait été prise dans un centre de détention bulgare et, dans son dernier mémoire, un certificat médical établi le 23 juin 2020 faisant état de lombalgies et d'une gonalgie gauche post traumatique ancienne " compatible avec le traumatisme mentionné par le patient " en alléguant sans aucune précision qu'il s'agirait de séquelles de mauvais traitements en Bulgarie. Ces éléments sont insuffisants pour étayer les allégations de mauvais traitements en Bulgarie, alors notamment que la prise des empreintes digitales de l'ensemble des personnes franchissant illégalement les frontières de l'Union européenne ou y demandant l'asile fait partie des obligations des Etats membres.

8. Enfin M. A... fait valoir qu'en cas de renvoi en Bulgarie, il a très peu de chances, au vu de sa nationalité afghane, de se voir accorder le statut de réfugié ou la protection subsidiaire et qu'il fera l'objet d'une décision de renvoi en Afghanistan. Toutefois, alors que la Bulgarie est comme dit ci-dessus membre de l'Union européenne et signataire des conventions internationales protectrices des réfugiés et des droits de l'homme, il ne ressort pas des pièces du dossier, à supposer même que la demande d'asile de M. A... ait déjà été définitivement rejetée par les autorités bulgares, qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir devant ces mêmes autorités, responsables de l'examen de sa demande d'asile, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation de conflit qui prévaut en Afghanistan, ni que les autorités bulgares n'évalueraient pas d'office les risques réels de mauvais traitements auxquels il pourrait être exposé en cas de renvoi dans son pays d'origine,

9. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales, des stipulations de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des dispositions de l'article 3 du règlement n° 604/2023 doivent être écartés. Il en va de même du moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-et-Marne aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.

10. Enfin, M. A... soutient que la décision par laquelle le préfet de la Seine-et-Marne l'a assigné à résidence est illégale dès lors qu'elle est fondée sur une décision de transfert aux autorités bulgares elle-même illégale. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, ce moyen doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit dès lors être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'étant pas partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente de chambre,

- M. Diémert, président assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2020.

La présidente de la première chambre

S. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20PA00573 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00573
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : NOMBRET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-10;20pa00573 ?
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