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10/07/2020 | FRANCE | N°19PA00441

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 10 juillet 2020, 19PA00441


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... D... a demandé au tribunal de la Polynésie française, à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise à confier à un collège d'experts et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser une indemnité d'un montant total de 30 679,60 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande préalable et capitalisation.

Par un jugement n° 1800102 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de la Polynésie françai

se a rejeté la demande d'expertise et a condamné le centre hospitalier de la Polynésie f...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... D... a demandé au tribunal de la Polynésie française, à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise à confier à un collège d'experts et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser une indemnité d'un montant total de 30 679,60 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande préalable et capitalisation.

Par un jugement n° 1800102 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande d'expertise et a condamné le centre hospitalier de la Polynésie française à verser une indemnité de 1 189 740 F CFP à M. C... D..., avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2017 et capitalisation à compter du 6 novembre 2018 et a rejeté la demande de remboursement des débours de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2019, M. C... D..., représenté par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800102 du 27 novembre 2018 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'ordonner une mesure d'expertise confiée à un collège d'experts comprenant un oncologue, un neurochirurgien et un oto-rhino-laryngologiste ;

3°) de condamner le centre hospitalier de la Polynésie Française à lui verser les sommes suivantes : au titre des frais divers 4 999,60 euros, au titre du déficit fonctionnel temporaire 680 euros, au titre des souffrances endurées 20 000 euros, au titre du préjudice esthétique 5 000 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter de la date de dépôt de la requête de première instance ;

4°) de condamner le centre hospitalier de la Polynésie Française à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de condamner le centre hospitalier de la Polynésie Française aux entiers dépens.

Il soutient que :

A titre principal, une nouvelle mesure d'expertise doit être ordonnée :

- s'agissant du défaut d'information concernant la nature et les risques de l'intervention chirurgicale du 23 janvier 2008 et sur les éventuelles alternatives thérapeutiques envisageables, les experts ne se sont pas prononcés sur ce défaut d'information qui lui aurait permis de faire un choix éclairé quant à l'opportunité de se soumettre aux soins ou de s'y soustraire alors qu'il entraine un préjudice d'impréparation qui est un préjudice spécifique ouvrant droit à indemnisation ;

- s'agissant du retard de diagnostic de la tumeur de la parotide, la conclusion selon laquelle l'absence de conformité de sa prise en charge par le centre hospitalier de la Polynésie française n'aurait pas eu d'incidence sur ce retard alors que cette tumeur a pourtant été qualifiée par les experts de " maligne, de type très rare, sarcomateuse et de pronostic très mauvais " également de " très agressive et rarissime " est contestable ; le fait que ce retard n'aurait pas entraîné selon les experts une perte de chance d'éviter une récidive de la tumeur ainsi que les nombreuses complications qui ont suivies est contestable alors que cette prise en charge n'a pu que participer à augmenter sensiblement le risque d'engagement de son pronostic vital mais aussi celui lié à une éventuelle récidive compte tenu de la tumeur grave à progression rapide dont il souffrait ; l'absence d'exploration complémentaire, préalable pourtant à toute intervention, est à l'origine même du retard de diagnostic ; l'argument selon lequel la seule alternative à l'intervention du 23 janvier 2008 était la mise en place d'un traitement dont la durée aurait très certainement été identique au retard de diagnostic en cause n'est pas recevable puisqu'il existait d'autres choix thérapeutiques qui n'ont pas été évoqués par les experts ;

- s'agissant du retard d'envoi par le centre hospitalier de la Polynésie française des lames anatomopathologiques à l'institut de cancérologie Gustave Roussy, les experts ne se sont pas prononcés sur ses conséquences alors que tout retard dans la mise en place immédiate d'un traitement de radiothérapie majore, selon la littérature scientifique, le risque de récidive ;

- s'agissant de la perte de chance de bénéficier d'un traitement adapté à sa pathologie, les experts, bien que reconnaissant un retard de diagnostic, l'inutilité d'une première intervention ayant méconnu entièrement la tumeur, puis d'une seconde intervention ayant laissé un reliquat tumoral, n'ont pas reconnu cette perte de chance en écartant à tort la responsabilité de l'équipe médicale ; ils ont failli à leur mission en ne définissant pas sa perte de chance de retarder la progression de sa tumeur grâce à une prise en charge dans les règles de l'art ; par ailleurs, la désignation d'un expert en oto-rhino-laryngologie ou en oncologie aurait vraisemblablement été plus à même de répondre à la mission d'expertise ;

- les experts ont omis de se prononcer sur son préjudice professionnel qu'ils ont considéré comme étant en lien avec le traitement du carcinosarcome de la parotide réalisé à l'institut Gustave Roussy alors qu'il ne peut être exclu en l'absence de nouvelle mesure d'expertise un lien direct entre la rechute survenue en juillet 2019 et le retard de diagnostic en cause ;

- ils se sont abstenus d'indiquer la nécessité de soins médicaux, paramédicaux, d'appareillage et de prothèse, après consolidation ;

- ils n'ont pas décrit le dommage esthétique avant la consolidation représentée par l'altération de son apparence physique en se bornant à indiquer " cicatrice de craniotomie " et n'ont pas procédé à l'évaluation de ce préjudice ;

- s'agissant de la date de consolidation, la pétrectomie gauche qu'il a subie les 24 septembre et 17 octobre 2018 constitue un élément nouveau en rapport direct avec la tumeur de la parotide ce qui rend la réalisation d'une nouvelle expertise avant dire droit indispensable ;

A titre subsidiaire, s'agissant du montant des indemnités allouées :

- la Cour confirmera que la responsabilité pour faute du centre hospitalier de la Polynésie française est engagée à raison de l'intervention du 23 janvier 2008 et du retard de diagnostic du carcinosarcome ;

- s'agissant des frais exposés, il a supporté 1 900 euros d'honoraires de médecin conseil pour assistance à l'expertise, ainsi que 3 099,60 euros de frais de transport pour se rendre aux séances de kinésithérapie du 6 février 2008 au 22 août 2016 ;

- il demande à être indemnisé à hauteur de 680 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total du 23 au 28 janvier 2008 et du déficit fonctionnel temporaire partiel d'une durée d'un mois qui a suivi l'hospitalisation, à hauteur de 20 000 euros au titre des souffrances endurées et de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent.

Par des mémoires, enregistrés les 15 avril 2019 et 12 novembre 2019, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, représentée par la SCP Baraduc Duhamel Rameix, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1800102 du 27 novembre 2018 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser une somme de 9 079 540 F CFP en remboursement de ses débours avec intérêts au taux légal ;

3°) en tout état de cause, au moins de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser une somme de 898 703 F CFP en remboursement de ses débours exposés en lien avec l'opération fautive du 23 janvier 2008 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Polynésie française une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle s'associe aux moyens soulevés par M. C... D... s'agissant de la détermination des fautes commises par le centre hospitalier de la Polynésie française et leur étendue ;

- il incombait aux experts de se prononcer sur le retard de diagnostic de la tumeur de la parotide, sur la perte de chance et sur le préjudice professionnel de M. C... D... ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des faits et pièces du dossier ;

- en jugeant qu'elle n'était fondée qu'à demander le remboursement des débours exposés en lien avec l'intervention fautive du 23 janvier 2008 alors même que les premiers juges ont préalablement reconnu l'existence d'une faute postérieure ayant entraîné un retard dans le diagnostic du carcinosarcome de M. C... D..., ils ont entaché le jugement attaqué d'une contradiction de motifs ;

- dès lors que la première intervention chirurgicale du 23 janvier 2008 est fautive puisqu'elle a été réalisée sans que la tumeur parotidienne soit diagnostiquée et qu'elle a fait perdre à M. C... D... une chance d'échapper à des conséquences dommageables, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu qui lui ouvre droit au remboursement des débours exposés résultant des fautes du centre hospitalier de la Polynésie française postérieures à l'intervention du 23 janvier 2008 à savoir la somme totale de 9 079 540 francs CFP ou au moins, si l'appel de M. C... D... n'était pas accueilli, la somme totale de 898 703 francs CFP.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2019, le centre hospitalier de la Polynésie française, représenté par Me C... G..., conclut au rejet de la requête de M. C... D... et des conclusions de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française et à la confirmation du jugement attaqué.

Il fait valoir que :

- l'organisation d'une mesure de contre-expertise n'est pas justifiée ;

- le retard de diagnostic de la tumeur de la parotide n'est pas imputable à l'intervention de décompression vasculaire du 23 janvier 2008 ;

- les indemnités qui ont été allouées à M. C... D... par le tribunal administratif sont suffisantes ;

- les débours demandés par la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française portent sur des soins postérieurs au mois de janvier 2008 en lien avec le traitement du cancer dont est atteint M. C... D..., ils ne peuvent donc être mis à sa charge.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- les observations de Me E..., avocat de M. C... D...,

- et les observations de Me B... de la SCP Baraduc Duhamel Rameix, avocat de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 décembre 2007, M. C... D... a consulté son médecin traitant après avoir découvert une boule sous son oreille gauche, accompagnée de sensations de décharges électriques dans la partie basse de la joue. Son médecin n'a pas détecté de masse palpable cliniquement. L'IRM encéphalique réalisée le 9 janvier 2008 a conclu à l'absence " d'argument en faveur d'un processus prolifératif ou d'une pathologie démyélinisante. (...) ", à la présence d'une " structure vasculaire venant à angle droit s'appuyer au niveau de l'origine du nerf trijumeau " et à la possibilité " d'un conflit neuro-vasculaire avec le nerf V gauche, en correspondance avec la symptomatologie du patient ". Une intervention de décompression neurovasculaire du trijumeau gauche a été réalisée le 23 janvier 2008 au sein du service de neurochirurgie du centre hospitalier de Polynésie française (CHPF). Suite à la persistance des symptômes, un scanner a été réalisé le 22 février 2008 qui a mis en évidence la présence d'une lésion nodulaire dans la loge parotidienne profonde gauche, dont des examens ultérieurs ont révélé le caractère évolutif et le retentissement sur le nerf facial gauche. L'exérèse réalisée le 28 mars 2008 au centre hospitalier de Polynésie française s'est avérée techniquement difficile en raison de la forte adhérence sur le nerf de la tumeur, qui mesurait alors plus de 4 cm. Les examens anatomopathologiques réalisés le 4 avril 2008 ont conclu à l'absence de caractère cytologique de malignité puis, saisi d'une demande de second avis, l'institut de cancérologie Gustave Roussy de Villejuif a, quant à lui, conclu, le 7 mai 2008, à un carcinosarcome de la parotide, une tumeur maligne exceptionnelle et a pris en charge M. C... D... à compter du 20 juin 2008. Alors que le traitement par radiothérapie était en cours, une première récidive de l'évolution de la tumeur a été constatée le 8 juillet 2008 et a été traitée avec succès par radiothérapie du 10 juillet 2008 au 26 août 2008 au sein de l'institut Gustave Roussy. Une seconde récidive a été constatée le 9 juin 2009 et a été traitée par intervention chirurgicale le 8 juillet 2009 réalisée à l'institut Gustave Roussy qui a été suivie par l'apparition d'une infection du site opératoire. M. C... D... a, ensuite, été à nouveau traité par radiothérapie du 21 septembre au 26 octobre 2009 au sein de l'institut Gustave Roussy, qui a entrainé une glossite aphteuse avec prolifération fongique ayant empêché toute alimentation durant trois semaines et engendré une importante perte de poids. Par ailleurs, lors de l'intervention du 8 juillet 2009, M. C... D... a subi une atteinte du nerf facial gauche qui a provoqué une paralysie traitée ultérieurement par une chirurgie et une longue rééducation. Par des ordonnances des 3 février et 9 décembre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil a confié à un collège d'experts une mission tendant à déterminer si des fautes avaient été commises par le CPHF et l'institut Gustave Roussy dans la prise en charge de M. C... D.... Le rapport d'expertise, rendu le 28 octobre 2015, conclut à une prise en charge initiale non conforme au sein du centre hospitalier de Polynésie française, ayant conduit à une intervention de décompression non indiquée, toutefois sans incidence sur le retard de diagnostic de la tumeur de la parotide, ainsi qu'à un retard de diagnostic de sa malignité. M. C... D... a adressé une demande d'indemnisation au CHPF par courrier du 2 novembre 2007 reçu le 6 novembre suivant qui a été implicitement rejetée. M. C... D... a demandé au tribunal de la Polynésie française, à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise à confier à un collège d'experts et, à titre subsidiaire, de condamner le CHPF à l'indemniser des préjudices en lien avec ces fautes en lui versant une indemnité d'un montant total de 30 679,60 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande préalable et capitalisation. Par jugement n° 1800102 du 27 novembre 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande d'expertise et a condamné le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser une indemnité de 1 189 740 F CFP, avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2017 et capitalisation à compter du 6 novembre 2018 et a rejeté la demande de remboursement des débours de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française. M. C... D... et la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française relèvent appel de ce jugement.

Sur l'étendue de la responsabilité du centre hospitalier de Polynésie française et l'utilité d'une nouvelle expertise :

2. En premier lieu, M. C... D... soutient que s'agissant du défaut d'information concernant la nature et les risques de l'intervention chirurgicale du 23 janvier 2008 et sur les éventuelles alternatives thérapeutiques envisageables, les experts ne se sont pas prononcés sur ce défaut d'information qui lui aurait permis de faire un choix éclairé quant à l'opportunité de se soumettre aux soins ou de s'y soustraire alors qu'il entraine un préjudice d'impréparation qui est un préjudice spécifique ouvrant droit à indemnisation. Toutefois, dès lors que comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, il ressort du rapport d'expertise du 28 octobre 2015 que " l'intervention de décompression du 23 janvier 2008 était non indiquée ", la reconnaissance par ces experts de l'existence d'une faute s'agissant de la réalisation de cette intervention chirurgicale inutile est de nature à engager l'entière responsabilité du CHPF ouvrant ainsi droit à une pleine indemnisation des préjudices liés à cette intervention. Ainsi, l'éventuelle reconnaissance d'un défaut d'information préalable à cette intervention qui ne pourrait entraîner qu'une responsabilité partielle de cet établissement de nature à caractériser seulement une perte de chance ouvrant droit à une indemnisation uniquement partielle est totalement inutile. Par ailleurs, cette intervention chirurgicale, pour inutile qu'elle ait été, s'est, en tout état de cause, parfaitement déroulée et ne saurait donc donner lieu à l'indemnisation d'un préjudice d'impréparation.

3. En deuxième lieu, pour solliciter la réalisation d'une nouvelle expertise, M. C... D... soutient que s'agissant du retard de diagnostic de la tumeur de la parotide, la conclusion selon laquelle l'absence de conformité de sa prise en charge par le centre hospitalier de la Polynésie française n'aurait pas eu d'incidence sur ce retard alors que cette tumeur a été qualifiée par les experts de " maligne, de type très rare, sarcomateuse et de pronostic très mauvais " également de " très agressive et rarissime " est contestable ainsi que la conclusion selon laquelle ce retard n'aurait pas entraîné selon les experts une perte de chance d'éviter une récidive de la tumeur et les complications qui ont suivies. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 28 octobre 2015 que le neurochirurgien du CHPF n'apporte pas la preuve qu'un examen clinique du patient a été réalisé, qu'il ait tout mis en oeuvre pour éliminer une tumeur avant de l'opérer alors que le diagnostic de conflit vasculaire retenu est un diagnostic d'élimination et que dans ce cas un traitement médical doit être institué de plusieurs semaines afin de juger de l'efficacité de ce traitement avant d'opérer, de sorte que l'existence du retard fautif de diagnostic allégué par le requérant est établie par les pièces du dossier et, ainsi, une nouvelle expertise sur ce point n'est pas nécessaire. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction et notamment pas des allégations de M. C... D... se bornant, sans apporter aucun élément, à soutenir que tout retard majore le risque de récidive et qu'il a justement connu une récidive qui est intervenue un an après la radiothérapie qu'il a subie à l'institut Gustave Roussy, que ce retard de diagnostic aurait eu des conséquences néfastes sur sa prise en charge et le traitement de la pathologie dont il souffrait. Ainsi, ces éléments ne sont pas davantage de nature à justifier qu'une nouvelle expertise soit ordonnée.

4. En troisième lieu, M. C... D... soutient que s'agissant du retard d'envoi par le centre hospitalier de la Polynésie française des lames anatomopathologiques à l'institut de cancérologie Gustave Roussy, les experts ne se sont pas prononcés sur ses conséquences alors que tout retard dans la mise en place immédiate d'un traitement de radiothérapie majore, selon la littérature scientifique, le risque de récidive. Toutefois, si les experts ont relevé l'existence d'un retard à l'envoi desdites lames de la part du service d'anatomopathologie du CHPF vers l'institut Gustave Roussy, ils ont précisé que " ce retard [pouvait] être expliqué en partie par l'éloignement ", que " le diagnostic de cette tumeur très agressive et rarissime n'avait pas été fait à Papeete " et que " de plus les anatomopathologistes de l'institut Gustave Roussy ont demandé l'envoi de nouvelles lames pour conforter leur diagnostic ". Ainsi, le délai d'un mois entre la première lecture de ces lames, le 4 avril 2008, par l'anatomopathologiste du CHPF et les résultats de l'institut Gustave Roussy, le 7 mai 2008 s'explique par les éléments précités de sorte qu'aucun retard fautif ne peut être caractérisé. Par ailleurs, si l'ORL qui a réalisé au CHPF la deuxième intervention du 23 mars 2008 n'a adressé son patient à l'IGR pour sa prise en charge que le 17 juin 2008, à supposer même l'existence d'un retard à adresser M. D... à l'institut Gustave Roussy, ce dernier a pu bénéficier, après sa consultation le 20 juin 2008, dès le 9 juillet 2008 d'une radiothérapie au sein de cet institut qui a permis de faire régresser la tumeur de 50 %. Ainsi, l'existence d'un lien entre le retard allégué et l'évolution de la pathologie cancéreuse peut, ainsi que l'ont à bon droit jugé les premiers juges, être exclue.

5. En quatrième lieu, s'agissant, d'une part, de l'évaluation du préjudice professionnel de M. D..., il appartient à ce dernier d'apporter tous éléments justificatifs de ce chef de préjudice sans qu'il soit nécessaire d'ordonner un complément d'expertise et, d'autre part, de l'absence d'indications s'agissant de la nécessité de soins médicaux, paramédicaux, d'appareillage et de prothèse, après consolidation, M. D... n'apporte aucun élément de nature à établir l'existence de tels préjudices. Enfin, la circonstance que les experts se soient bornés à indiquer " cicatrice de craniotomie " s'agissant de son dommage esthétique avant la consolidation et qu'ils n'aient pas procédé à l'évaluation de ce préjudice n'est pas de nature à justifier sur ce point que soit ordonnée une nouvelle expertise.

6. En dernier lieu, s'agissant de la date de consolidation, si le requérant soutient que la pétrectomie gauche qu'il a subie les 24 septembre et 17 octobre 2018 constitue un élément nouveau en rapport direct avec la tumeur de la parotide ce qui rend la réalisation d'une nouvelle expertise avant dire droit indispensable, cette nouvelle intervention est toutefois sans lien avec celle réalisée inutilement le 23 janvier 2008 par le CHPF ni avec un potentiel retard d'envoi par le centre hospitalier de la Polynésie française des lames anatomopathologiques à l'institut de cancérologie Gustave Roussy qui n'a entraîné pour M. C... D..., comme indiqué précédemment, aucune perte de chance de bénéficier du traitement adapté à son cancer.

7. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de ce qu'ont jugé à bon droit les premiers juges quant à la responsabilité encourue par le CHPF, c'est également à bon droit qu'ils ont considéré qu'une expertise complémentaire n'était pas nécessaire. En conséquence, les conclusions de M. C... D..., auxquelles s'est associée la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française tendant à ce que soit ordonnée une mesure d'expertise confiée à un collège d'experts comprenant un oncologue, un neurochirurgien et un oto-rhino-laryngologiste, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les préjudices :

8. Il résulte de l'instruction que les honoraires de médecin conseil que M. C... D... a supportés à hauteur de 1 900 euros pour l'assister lors de l'expertise se rapportent à la mise en cause tant de la responsabilité du CHPF que de l'institut Gustave Roussy. Par suite, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. C... D... de ce chef la somme de 950 euros.

9. S'agissant des frais de transport dont M. C... D... sollicite l'indemnisation, il n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions, il y a lieu d'écarter ce chef de préjudice par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

10. S'agissant du déficit fonctionnel temporaire de 100 % correspondant à la période d'hospitalisation du 23 au 28 janvier 2008 liée à l'intervention du 23 janvier 2008 et de 50 % durant le mois qui a suivi, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant de ce chef à M. C... D... la somme de 620 euros.

11. S'agissant des souffrances endurées qui ont été évaluées à 4/7 par les experts, il y a lieu de maintenir, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, la somme de 7 000 euros qui a été allouée à M. C... D....

12. S'agissant du préjudice esthétique permanent lié à la cicatrice de craniotomie postérieure de 10 cm due à l'intervention du 23 janvier 2008, les experts l'ont évalué à 1,5 sur 7. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. C... D... de ce chef la somme de 1 400 euros, sans qu'il soit nécessaire, ainsi qu'il a été dit, d'ordonner une expertise complémentaire sur ce point.

13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées à titre subsidiaire par M. D... tendant à la majoration des sommes qui lui ont été allouées du chef des préjudices liées à l'intervention du 23 janvier 2008 doivent être rejetées.

Sur les demandes de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française :

14. Il résulte de ce qui précède que la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française est seulement fondée à solliciter le remboursement des frais qu'elle a engagés qui sont liés à l'intervention chirurgicale inutile du 23 janvier, à savoir la somme de 898 703 F CFP, dont elle justifie pour la première fois en appel. Le jugement attaqué est réformé en ce sens et le surplus des conclusions de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française est rejeté.

Sur les dépens :

15. Dès lors qu'aucuns dépens n'ont été exposés au cours de l'instance d'appel, les conclusions présentées par M. C... D... à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de la Polynésie française le versement à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance. En revanche, les conclusions présentées à ce titre par M. C... D... ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier de la Polynésie française est condamné à verser à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 898 703 F CFP.

Article 2 : L'article 3 du jugement n° 1800102 du 27 novembre 2018 du tribunal administratif de la Polynésie française est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier de la Polynésie française est condamné à verser à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C... D..., au centre hospitalier de la Polynésie française et à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.

Copie en sera adressée pour information à Gustave-Roussy.

Délibéré après l'audience du 8 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2020.

Le président de la formation de jugement,

J. LAPOUZADE

La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 19PA00441


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00441
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CABINET DE LAVAUR

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-10;19pa00441 ?
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