Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) à lui verser une somme de 97 446,93 euros en réparation de son préjudice financier, des troubles dans ses conditions d'existence et de son préjudice moral du fait de l'absence de paiement de sa rémunération en tant qu'administrateur provisoire des sociétés D/O Conseil Courtage et D/O Participation.
Par un jugement n° 1702256/2-3 du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 23 janvier 2019 et le 28 octobre 2019, M. B..., représenté par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1702256/2-3 du 22 novembre 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) à lui verser la somme de 97 446,93 euros en réparation de son préjudice financier, des troubles dans ses conditions d'existence et de son préjudice moral du fait de l'absence de paiement de sa rémunération en tant qu'administrateur provisoire des sociétés D/O Conseil Courtage et D/O Participation, cette somme devant être assortie des intérêts de retard et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui a manqué à ses obligations de prudence et de diligence et à son devoir d'information en ne l'alertant pas sur l'état d'impécuniosité des sociétés auprès desquelles il a été nommé liquidateur, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, cette responsabilité pouvant être engagée pour faute simple ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute au profit des collaborateurs du service public ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- il a subi un préjudice financier à hauteur de 91 446,93 euros ainsi qu'un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de 6 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er avril 2019, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, agissant pour le compte de l'État, représentée par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et que soit mise à charge de M. B... la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux décisions du 7 et 23 février 2012, confirmées le 19 avril 2012, l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) a désigné M. B... en qualité d'administrateur provisoire auprès des SARL D/O Conseil Courtage et D/O Participation en application des dispositions de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier. A la suite de la liquidation judiciaire de ces deux sociétés intervenue le 31 mai 2012, l'Autorité de contrôle prudentiel a mis fin aux deux mandats de M. B... en qualité d'administrateur provisoire par deux décisions du 25 juillet 2012. Par une lettre en date du 24 novembre 2016, M. B... a demandé à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait l'absence de rémunération pour ses fonctions d'administrateur provisoire. Par courrier en date du 30 décembre 2016, l'ACPR a rejeté sa demande préalable. M. B... relève appel du jugement n° 1702256/2-3 du 22 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué, et sans qu'il soit besoin d'examiner sa régularité ni de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige : " I. _ L'Autorité de contrôle prudentiel peut désigner un administrateur provisoire auprès d'une personne qu'elle contrôle, auquel sont transférés tous les pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne morale. L'administrateur provisoire dispose des biens meubles et immeubles de celles-ci dans l'intérêt d'une bonne administration. / Cette désignation est faite soit à la demande des dirigeants lorsqu'ils estiment ne plus être en mesure d'exercer normalement leurs fonctions, soit à l'initiative de l'Autorité de contrôle prudentiel lorsque la gestion de la personne contrôlée ne peut plus être assurée dans des conditions normales ou en cas de suspension de l'un ou de plusieurs de ses dirigeants. / Dans le cas d'établissements affiliés à un organe central, ce dernier peut demander à l'Autorité de contrôle prudentiel de désigner un administrateur provisoire dans les établissements qui lui sont affiliés. / II. _ Lorsque la situation laisse craindre à terme une incapacité d'un établissement ou d'une entreprise relevant du fonds de garantie des dépôts à assurer la rémunération de l'administrateur provisoire, le fonds de garantie des dépôts peut, sur proposition de l'Autorité de contrôle prudentiel, décider d'en garantir le paiement au prorata éventuellement des différents mécanismes mis en oeuvre. ". Aux termes de l'article R. 612-33 du même code : " Les décisions de nomination d'un administrateur provisoire prises en application de l'article L. 612-34 précisent la durée prévisible de la mission confiée ainsi que les conditions de la rémunération mensuelle, qui tiennent compte notamment de la nature et de l'importance de la mission ainsi que de la situation de l'administrateur désigné. ".
3. La mission de l'Autorité de contrôle prudentiel, telle que définie par l'article L. 612-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, est de " veiller à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle " et de " contrôler le respect par ces personnes des dispositions du code monétaire et financier ainsi que des dispositions réglementaires prévues pour son application, du code des assurances, du livre IX du code de la sécurité sociale, du code de la mutualité, du livre III du code de la consommation, des codes de conduite homologués ainsi que de toute autre disposition législative et réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées. ". En exerçant cette mission de régulation sectorielle, l'Autorité de contrôle prudentiel, à qui différentes prérogatives ont été confiées à cette fin, dont celle prévue à l'article L. 612-34 du code monétaire et financier, poursuit un but d'intérêt général. Si l'administrateur provisoire nommé sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier agit, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée dans l'intérêt et pour le compte de la société qu'il administre et est rémunéré par cette société, il participe du fait de sa nomination au but d'intérêt général poursuivi par l'Autorité de contrôle prudentiel et présente, de ce fait, au regard de ses relations avec l'Autorité de contrôle la qualité de collaborateur du service public.
4. Dans l'hypothèse où la société administrée par l'administrateur provisoire est dans l'impossibilité de lui verser la rémunération qui avait été déterminée par la décision de l'Autorité de contrôle prudentiel le nommant et que cet administrateur provisoire, malgré ses diligences, n'a pu obtenir le paiement de cette rémunération, il subit, pour avoir participé du fait de la mission qui lui a été confiée par l'Autorité de contrôle prudentiel un préjudice que l'Etat, responsable de cette mission, doit supporter à titre subsidiaire en se substituant au débiteur de cette rémunération, qu'il soit insolvable ou qu'il fasse obstacle à son versement, sans que puisse faire obstacle à cette obligation le fait d'un tiers. Au demeurant, dans l'hypothèse où est en cause une entreprise relevant du fonds de garantie des dépôts, les dispositions de précitées de l'article L. 612-34 ont prévu que ce fonds puisse garantir le paiement de la rémunération de l'administrateur provisoire aux conditions posées par cet article lorsque la situation laisse craindre à terme une incapacité de cet établissement ou de cette entreprise à assurer cette rémunération.
5. Il résulte de l'instruction que M. B..., malgré les nombreuses diligences qu'il a faites auprès du mandataire judiciaire puis du liquidateur judiciaire des sociétés D/O Conseil Courtage et D/O Participation (notamment un courrier électronique du 3 juin 2012, des courriers du 22 septembre 2012, du 11 octobre 2012, du 5 février 2015, du 11 mai 2015 et du 16 octobre 2015), auprès du Tribunal de commerce de Toulon (des courriers des 17 avril, 23 avril et 28 avril 2015) et auprès du procureur général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (un courrier du 18 novembre 2014), relayées par celles effectuées par l'Autorité de contrôle prudentiel ayant le même objet (un courrier du 12 septembre 2012 adressé au procureur de la République et un courrier du 22 février 2013 au mandataire judiciaire), n'a pu obtenir la rémunération qui lui était due. Il subit ainsi un préjudice qu'il appartient à l'Etat d'indemniser. Par suite, le jugement n° 1702256/2-3 du 22 novembre 2018 du tribunal administratif de Paris doit être annulé.
Sur les préjudices de M. B... :
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, d'une part, la décision du 7 février 2012 du président de l'Autorité de contrôle prudentiel nommant M. B... en qualité d'administrateur provisoire de la SARL D/O Conseil Courtage disposait, dans son article 2, que " l'administrateur provisoire percevra une rémunération mensuelle de 8 000 euros hors-taxes, les dépenses de déplacement étant remboursables en sus sur justificatif ", cette décision étant confirmée dans tous ses termes par la décision du 19 avril 2012 du sous-collège sectoriel de l'assurance de l'ACP. D'autre part, la décision du 19 avril 2012 du sous-collège sectoriel de l'assurance de l'ACP confirmant la décision du collège de l'Autorité de contrôle prudentiel du 23 février 2012 désignant M. B... en qualité d'administrateur provisoire de la SARL D/O Participation disposait, dans son article 3, que " l'administrateur provisoire percevra une rémunération mensuelle de 8 000 euros hors-taxes, les dépenses de déplacement étant remboursables en sus sur justificatif ".
7. M. B... a produit, s'agissant de ses honoraires d'administrateur provisoire de la SARL D/O Conseil Courtage, une facture n° 12-274-01 du 24 avril 2012 de 22 344,83 euros HT et 26 724,41 euros TTC, une facture n° 12-274-04 du 2 juin 2012 de 8 000 euros HT et 9 568 euros TTC et une facture n° 12-275-01 du 15 juin 2012 de 8 000 euros HT et 9 568 euros TTC, soit un total de 38 344,83 euros HT et 45 860,41 euros TTC. S'agissant de ses honoraires d'administrateur provisoire de la SARL D/O Participation, il a produit une facture n° 12-274-02 du 24 avril 2012 de 17 931,03 euros HT et 21 445,52 euros TTC, une facture n° 12-274-05 du 2 juin 2012 de 8 000 euros HT et 9 568 euros TTC et une facture n° 12-275-02 du 15 juin 2012 de 8 000 euros HT et 9 568 euros TTC, soit un total de 33 931,03 euros HT et 40 581,52 euros TTC. Par suite, il sera fait une exacte appréciation du préjudice financier subi par M. B... en lui allouant une indemnité de 86 441,93 euros TTC.
8. En deuxième lieu, le préjudice moral allégué n'est pas établi du seul fait de l'absence de paiement de ses honoraires.
9. Enfin, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par M. B... du fait de l'inquiétude liée à la privation de ses honoraires et à la correspondance nombreuse qu'il a été dans l'obligation de rédiger pour tenter de les recouvrer en lui allouant une indemnité de 1 000 euros.
Sur les intérêts :
10. M. B... a droit aux intérêts de la somme de 87 441,93 euros à compter du 25 novembre 2016, date de réception par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de sa demande indemnitaire préalable.
Sur les intérêts des intérêts :
11. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 8 février 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 25 novembre 2017, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution demande au titre des frais liés à l'instance et exposés par elle.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) le paiement à M. B... de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1702256/2-3 du 22 novembre 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) est condamné à verser à M. B... une somme de 87 441,93 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2016. Les intérêts échus à la date du 25 novembre 2017, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 8 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. A..., président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2020.
Le président de la 8ème chambre,
J. LAPOUZADE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA00394