Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2018 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a ordonné son placement en rétention administrative.
Par un jugement n° 1818546/8 du 22 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 décembre 2018, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°1818546/8 du 22 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que :
- dès lors que M. B... n'établit pas résider habituellement en France et ne démontre pas être dans l'impossibilité de bénéficier d'une prise en charge médicale appropriée à son état de santé dans son pays d'origine, il n'a pas commis d'erreur de droit en l'obligeant à quitter le territoire français ;
- les autres moyens invoqués par M. B... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2020, M. B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête du préfet de police.
Il soutient que c'est à bon droit que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 18 octobre 2018 au motif d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-4 (10°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 31 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant ivoirien né en novembre 1986 et entré en France en novembre 2017 selon ses déclarations, a été interpellé le 18 octobre 2018 alors qu'il travaillait sans autorisation dans un restaurant à Paris. Par un arrêté du même jour, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays où il pourrait être reconduit et l'a placé en rétention administrative. Le préfet de police fait appel du jugement du 22 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 18 octobre 2018.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. L'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". L'article R. 511-1 du même code dispose : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. Toutefois, lorsque l'étranger est retenu en application de l'article L. 551-1, le certificat est établi par un médecin intervenant dans le lieu de rétention conformément à l'article R. 553-8 ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative, lorsqu'elle dispose d'éléments d'informations suffisamment précis et circonstanciés établissant qu'un étranger résidant habituellement sur le territoire français est susceptible de bénéficier des dispositions protectrices du 10° de l'article L. 511-4 précité, doit, avant de prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de celui-ci, saisir pour avis le comité médical mentionné à l'article R. 511-4 du même code.
4. En l'espèce, M. B... a indiqué lors de son audition le 18 octobre 2018 à 15h30 par un officier de police judiciaire " être malade de l'hépatite B " et avoir " un petit problème à la rate ". Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'intéressé aurait fourni des éléments plus précis sur son état de santé, alors qu'il ressort au contraire du procès-verbal établi le même jour à 12h50 lors de son placement en retenue qu'informé de la possibilité qui lui était offerte d'être examiné par un médecin afin que celui-ci procède à toutes constatations utiles, il a expressément indiqué ne pas souhaiter cet examen. Dans ces conditions, M. B... n'avait pas fait état d'éléments suffisamment précis permettant de penser, avant l'édiction le même jour à 19h45 de l'obligation de quitter le territoire français, qu'il était susceptible de bénéficier des dispositions protectrices du 10° de l'article L. 511-4. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que, à supposer même la condition de résidence habituelle établie, c'est à tort que le premier juge a annulé l'arrêté du 18 octobre 2018 au motif qu'il aurait dû solliciter, avant de prendre cette mesure, un avis médical.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... en première instance et en appel.
Sur les autres moyens de la demande de M. B... :
En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, l'arrêté attaqué vise les textes dont il fait application, notamment l'article L. 511-1 I 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et indique que M. B... ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'y est titulaire d'aucun titre de séjour, ce qui constitue le motif de fait de la décision l'obligeant à quitter la France. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté.
7. En deuxième lieu, M. B... fait valoir qu'il a indiqué lors de son audition qu'il avait demandé l'asile en Italie avant de gagner la France en novembre 2017 et qu'ainsi il aurait dû être remis aux autorités italiennes et non reconduit vers son pays d'origine. Toutefois, il est constant que M. B... a également déclaré que sa demande d'asile avait été rejetée en Italie et qu'il ne l'a pas réitérée en France lors de son interpellation. Dès lors les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'erreur de droit et du défaut de base légale ne peuvent qu'être écartés, M. B... n'étant pas demandeur d'asile à la date de l'arrêté. Il ne ressort pas plus des circonstances invoquées un défaut d'examen suffisant de la situation de l'intéressé.
8. En troisième lieu, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il ne l'oblige pas à mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. En l'espèce, M. B... a été entendu le 18 octobre 2018 à 15h30 sur l'ensemble de sa situation administrative et invité à apporter toutes observations utiles. Il a expressément indiqué que si une mesure d'éloignement lui était notifiée, il accepterait de quitter le territoire français, tout en notant qu'il préférait rester en France pour être soigné. Il n'est ni établi, ni même allégué, qu'il aurait disposé d'autres informations tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure d'éloignement contestée et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction d'une telle mesure. Ainsi, le droit de M. B... à être entendu et le caractère contradictoire de la procédure n'ont pas été méconnus.
7. Enfin, il ressort des deux certificats médicaux produits par M. B..., datés des 23 août 2018 et 13 septembre 2018, que celui-ci a été pris en charge en milieu hospitalier en France en 2018 pour le suivi d'une hépatite virale B et qu'en septembre 2018 une biopsie de la rate était prévue à brève échéance pour préciser la nature de l'affection dont il semblait souffrir. Il ne ressort cependant pas des pièces produites, composées pour l'essentiel de convocations hospitalières en 2018 et d'une convocation du 19 septembre 2019 pour une consultation en hépatologie le 26 mars 2020 que l'état de santé de M. B... nécessitait à la date de la décision litigieuse une prise en charge médicale dont le défaut pouvait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité alors qu'il n'aurait pu bénéficier effectivement en Côte d'Ivoire d'un traitement approprié.
En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision portant refus de délai de départ volontaire :
8. En premier lieu, l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l'Union européenne ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où il est légalement admissible. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) ".
9. M. B..., qui soutient qu'il vivait en France depuis un an à la date de la décision litigieuse, n'y avait pas sollicité de titre de séjour et y était seulement hébergé, par le SAMU social. Le préfet de police a pu, alors même que l'intéressé était titulaire d'un passeport, estimer sans erreur d'appréciation qu'il existait un risque qu'il se soustraie à l'obligation qui lui était faite de quitter la France et refuser, de ce fait, de lui accorder un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision fixant le pays de renvoi :
10. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. M. B... soutient que son retour en Côte d'Ivoire l'expose à subir des traitements inhumains et dégradants au sens des dispositions précitées. Toutefois, il n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations permettant d'établir qu'il encourt des risques actuels le visant personnellement en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions et stipulations citées au point précédent doit donc être écarté.
12. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, aucune des décisions contestées n'est illégale. Le moyen tiré de l'illégalité de chacune de ces décisions, invoqué à l'encontre des autres décisions, doit ainsi être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 18 octobre 2018. Le jugement ne peut qu'être annulé et la demande de première instance de M. B... rejetée dans l'ensemble de ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1818546/8 du 22 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme D..., présidente de chambre,
- M. Diémert, président assesseur,
- M. Platillero, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2020.
La présidente de la première chambre
S. D...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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18PA03966