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10/07/2020 | FRANCE | N°18PA03088

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 10 juillet 2020, 18PA03088


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Melun :

- d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite de rejet née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice sur sa demande, reçue le 25 février 2015, tendant à la mise aux normes des cours de promenade du quartier hommes de la maison d'arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) ;

- d'enjoindre à l'administration, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, d'une part, d'engager les travau

x d'adaptation et d'aménagement des cours de promenade du quartier hommes de la maison...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Melun :

- d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite de rejet née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice sur sa demande, reçue le 25 février 2015, tendant à la mise aux normes des cours de promenade du quartier hommes de la maison d'arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) ;

- d'enjoindre à l'administration, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, d'une part, d'engager les travaux d'adaptation et d'aménagement des cours de promenade du quartier hommes de la maison d'arrêt de Fresnes afin de garantir leur conformité avec le principe de respect de la dignité humaine, plus précisément, qu'il soit procédé à l'installation dans ces cours d'abris, de points d'eau et de toilettes, de tables et de bancs ainsi que d'équipements sportifs ou de loisirs, d'autre part, d'engager des études préalables nécessaires au réaménagement des cours de promenades, éventuellement par leur regroupement, en vue de remédier à leur exiguïté, et enfin d'adopter les mesures nécessaires pour que la sécurité des personnes détenues se rendant en cours de promenade soit assurée de façon adéquate ;

- de l'indemniser des préjudices subis.

Par un jugement n° 1503550 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision implicite de rejet née du silence du garde des sceaux, ministre de la justice, sur la demande de M. E..., reçue le 25 février 2015, tendant à la mise aux normes des cours des promenade au sein du quartier hommes de cette maison d'arrêt, a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par l'intéressé et, avant dire droit sur ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, a décidé qu'il sera procédé à une visite des lieux par les magistrats de la formation de jugement du tribunal.

Par un second jugement n° 1503550 du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Melun a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de mettre en oeuvre dans un délai de six mois à compter de la notification dudit jugement les mesures suivantes, dans l'ensemble des cours de promenade du quartier hommes, y compris celles dont la superficie ne sera pas modifiée :

- faire procéder à l'abattement de cloisons séparant les cours, de sorte que la superficie minimale de chaque cour soit de 120 mètres carrés et qu'ainsi, les cours de 45 mètres carrés seront regroupées au minimum trois par trois et les cours de 85 mètres carrés au minimum deux par deux, cette injonction ne concernant pas les cours de promenade de la première division spécialement dédiées, à la date du jugement, aux détenus placés à l'isolement, au quartier disciplinaire, au quartier d'évaluation de la radicalisation ou soumis à un autre régime de détention particulier nécessitant qu'ils soient tenus à l'écart du reste de la population carcérale ;

- rénover les sols des cours de promenade et y réaliser d'un ragréage général en vue de faciliter leur entretien, équiper les évacuations d'eau des cours d'un grillage empêchant à la fois l'accumulation de détritus et la circulation des rongeurs ;

- procéder à l'installation en nombre suffisant, au regard du nombre de détenus admissibles dans les cours, de bancs, d'abris recouvrant le tiers des cours afin que les détenus puissent bénéficier des cours de promenade en cas de fortes chaleurs ou d'intempéries, d'urinoirs, de poubelles, de points d'eau et de barres de traction, dans chacune des cours de promenade ;

- procéder au nettoyage à l'aide d'un matériel à haute pression des cours de promenade tous les deux jours ainsi qu'à un balayage, un nettoyage des urinoirs et un vidage des poubelles tous les jours ;

- rendre effective la surveillance des cours de promenade par la mise en place d'un système de vidéosurveillance couvrant l'intégralité de la surface des cours, en affectant des agents à temps plein au visionnage des écrans et en affectant un nombre suffisant d'agents à la surveillance directe des détenus afin que tout incident puisse être détecté et traité en temps réel.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 12 septembre 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :

1°) d'annuler les jugements n° 1503550 du 6 avril 2018 et du 20 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant les premiers juges.

Il soutient que :

S'agissant du jugement du 11 avril 2018 :

- le jugement attaqué est irrégulier faute d'avoir été signé dans les conditions prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le sens des conclusions du rapporteur public du tribunal administratif, telles que mises en ligne avant l'audience, ne comportait que l'indication de la visite des lieux et pas celle de l'annulation de la décision litigieuse ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en se bornant à reprendre le contenu d'un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, faute de répondre aux arguments en défense de l'administration relatifs à la situation actualisée de l'établissement pénitentiaire de Fresnes ;

- le demandeur de première instance ne justifie pas d'un intérêt à agir contre la décision litigieuse en tant qu'elle concerne l'ensemble des cours de promenade, dès lors qu'il n'est affecté que dans une partie de l'établissement ;

- les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur d'appréciation, dès lors que l'administration ne s'abstient pas de toute action destinée à améliorer les conditions de détention ; des améliorations ont été apportées à la situation de l'établissement, malgré les contraintes liées au sous-effectif en personnel ;

S'agissant du jugement du 20 juillet 2018 :

- le jugement attaqué est irrégulier faute d'avoir été signé dans les conditions prévues par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le jugement est entaché d'erreur de droit en ce qu'il n'a pas prononcé de non-lieu à statuer, le requérant n'étant plus détenu ;

- les injonctions prononcées sont entachées d'erreur d'appréciation, faute de tenir compte de leurs conséquences sur la sécurité sur le fonctionnement de l'établissement et la sécurité des personnes détenues, et faute de pouvoir être exécutées dans le délai prescrit ;

- des considérations d'intérêt général s'opposent à ce que les injonctions prononcées soient exécutées ;

- le délai de six mois imposé par les premiers juges pour la mise en oeuvre des injonctions prononcées est manifestement trop court.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 novembre 2018, M. E..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Par un arrêt n° 18PA03089 du 13 décembre 2018, la Cour a ordonné, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête à fin d'annulation du garde des sceaux, ministre de la justice, le sursis à l'exécution de l'article 1er du jugement n° 1503550 du 20 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun, en tant qu'il enjoint au ministre de la justice de mettre en oeuvre les actions définies aux points 3 à 5 et 7 à 9 des motifs de ce jugement.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,

- en présence de Mme B..., représentant le garde des sceaux, ministre de la justice, qui s'en rapporte aux observations écrites.

Une note en délibéré a été présentée le 3 juillet 2020 pour le garde des sceaux, ministre de la justice.

Considérant ce qui suit :

1. Détenu à la maison d'arrêt de Fresnes entre le 10 février 2015 et le 3 février 2016, M. E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite de rejet née du silence de la ministre de la justice sur sa demande, reçue le 25 février 2015, tendant à ce que les cours de promenade de cet établissement pénitentiaire soient mises aux normes et d'enjoindre à l'administration d'engager les travaux d'adaptation et d'aménagement de ces cours de promenade afin de garantir leur conformité avec le principe de respect de la dignité humaine.

2. Par un premier jugement, du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision implicite de rejet née du silence de la ministre de la Justice suite à la demande, reçue le 25 février 2015, de mise aux normes des cours des promenades au sein de la maison d'arrêt de Fresnes, a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. E... et, avant dire droit sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, a décidé qu'il sera procédé à une visite des lieux par les magistrats de la formation de jugement du tribunal.

3. Après que la formation de jugement eut effectué la visite des lieux décidée par le jugement avant dire droit, le tribunal administratif a, par un second jugement, du 20 juillet 2018, enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement (point 9 du jugement), à la mise en oeuvre dans l'ensemble des cours de promenade du quartier hommes de la maison d'arrêt de Fresnes (point 8), des actions rappelées en tête du présent arrêt et concernant la superficie de ces cours (point 3), la rénovation de leur sol (point 4), leur équipement (point 5), leur entretien (point 6) et leur surveillance (point 7).

4. Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait appel de ces deux jugements devant la Cour. En outre, à sa demande, la Cour a, par son arrêt n° 18PA03089 du 13 décembre 2018, ordonné qu'il soit sursis à l'exécution de l'article 1er du jugement du 20 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun, en tant qu'il enjoint au ministre de la justice de mettre en oeuvre les actions définies aux points 3 à 5 et 7 à 9 des motifs de ce jugement.

Sur la régularité des deux jugements attaqués :

5. En premier lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que les deux jugements sont irréguliers faute de comporter les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative, aux termes duquel : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. "

6. Eu égard à l'objet des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, la signature de la minute de la décision par le greffier d'audience, le président de la formation de jugement et le rapporteur présente un caractère substantiel. Le défaut de cette signature sur la minute entraîne donc l'irrégularité de la décision. En revanche, la circonstance que la copie du jugement adressée aux parties ne comporte pas la signature de ces trois personnes n'entache pas d'irrégularité le jugement attaqué, dès lors que seule la minute de la décision doit être signée dans les conditions précitées.

7. Le garde des sceaux ne peut sérieusement sembler ignorer que la plupart des jugements des tribunaux administratifs sont notifiés sous la forme d'une copie du jugement, certifiée conforme par le greffe, sans préjudice de la signature effective de la minute du jugement conformément aux dispositions précitées du code de justice administrative, minute qui demeure présente au dossier. En l'espèce, les minutes des deux jugements comportent effectivement les signatures requises par les dispositions applicables. Le moyen manque donc en fait et doit être écarté.

8. En deuxième lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que le jugement du 6 avril 2018 est irrégulier, dès lors que le sens des conclusions du rapporteur public du tribunal administratif, tel que mis en ligne avant l'audience, ne comportait que l'indication de la visite des lieux et pas celle de l'annulation de la décision litigieuse.

9. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". Le rapporteur public, qui a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l'instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement. L'exercice de cette fonction n'est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction. Il suit de là que, pas plus que la note du rapporteur ou le projet de décision, les conclusions du rapporteur public - qui peuvent d'ailleurs ne pas être écrites - n'ont à faire l'objet d'une communication préalable aux parties. Celles-ci ont en revanche la possibilité, après leur prononcé lors de la séance publique, de présenter des observations, soit oralement à l'audience, soit au travers d'une note en délibéré. Ainsi, les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu'en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l'opportunité d'y réagir avant que la juridiction ait statué. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions précitées de la partie réglementaire du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence les parties ou leurs mandataires doivent être mises en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

10. En l'espèce, et conformément à l'article R. 711-3 du code de justice administrative, le sens des conclusions du rapporteur public devant le tribunal administratif de Melun statuant sur la demande de M. E... était ainsi indiqué : " jugement avant dire droit ordonnant une visite des lieux ". Il a effectivement été mis en ligne, préalablement à l'audience du 16 mars 2018 et dans les délais prévus à cette fin. Si la formation de jugement a, par son jugement du 6 avril 2018, statué au-delà des conclusions du rapporteur public en annulant la décision implicite contestée et en rejetant les conclusions indemnitaires de M. E... avant de décider, avant dire-droit sur le surplus, de procéder à une visite des lieux, le rapporteur public pouvait régulièrement, pour sa part, se limiter à proposer qu'il soit statué par un jugement avant dire droit, ce qui impliquait implicitement mais nécessairement qu'il entendait réserver le sort des autres conclusions à fin d'annulation, d'indemnisation et d'injonction sur lesquelles il n'était pas statué. En outre, le ministre de la justice n'établit pas que le rapporteur public aurait conclu, lors de l'audience devant le tribunal administratif, à l'annulation de la décision implicite contestée. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

11. En troisième lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que le jugement du 6 avril 2018 méconnait l'article L. 9 du code de justice administrative, selon lequel " Les jugements sont motivés ", faute pour les premiers juges d'avoir répondu au moyen de défense, par lui soulevé, relatif à la situation actualisée de l'établissement pénitentiaire de Fresnes, postérieurement au rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

12. Si le juge administratif doit statuer sur l'ensemble des moyens et conclusions qui lui sont soumises, il n'est en revanche pas tenu de répondre à la totalité des arguments présentés à l'appui d'un moyen de droit, même en défense. En l'espèce, si le garde des sceaux, ministre de la justice s'est limité, devant les premiers juges, à faire valoir que la situation de l'établissement pénitentiaire de Fresnes avait évolué postérieurement à la publication du rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, cet élément factuel constituait en réalité, non un moyen, mais un simple argument appuyant le moyen tiré, pour sa part, du caractère infondé de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relativement à l'atteinte à la dignité de la personne des détenus invoquée par le requérant. Le tribunal administratif n'était donc pas tenu de répondre à cet argument, au demeurant inopérant, et il a en tout état de cause suffisamment motivé sa réponse, aux points 6 à 8 du jugement attaqué, au moyen articulé par le requérant à l'encontre de la décision contestée. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement du 6 avril 2018 manque en fait et doit être écarté.

13. En quatrième et dernier lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne prononçant pas, par leur jugement du 20 juillet 2018, un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. E..., dès lors que ce dernier n'était plus détenu dans l'établissement pénitentiaire de Fresnes à la date de leur décision. L'article L. 911-1 de code de justice administrative prévoit que " lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé ", le tribunal, saisi de conclusions en ce sens, " prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Si, pour définir les mesures d'exécution qu'implique son jugement, le juge doit tenir compte des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il statue, qui exclut qu'il ordonne des mesures qui ne sont plus nécessaires ou dont la réalisation est devenue impossible, il ne lui appartient pas d'apprécier si le demandeur peut encore se prévaloir d'un intérêt personnel au prononcé de ces mesures, qu'il peut d'ailleurs, depuis la modification de l'article L. 911-1 du code de justice administrative par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, prononcer d'office. Ainsi, la circonstance que M. E... n'était plus, le 20 juillet 2018, détenu dans la maison d'arrêt de Fresnes ne faisait pas obstacle à ce que les premiers juges, après avoir annulé le refus du garde des sceaux de mettre aux normes les cours de promenade de cet établissement au motif que ce refus portait atteinte à la dignité humaine, prescrivent, après avoir procédé à une mesure d'instruction, les mesures d'exécution qu'impliquait nécessairement l'annulation prononcée pour un tel motif et qui leur avaient été demandées lors de l'introduction de la requête. Dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'irrégularité en statuant le 20 juillet 2018 sur les mesures d'exécution qu'impliquait l'annulation précédemment prononcée dans le cadre de la même instance.

Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

En ce qui concerne l'intérêt à agir du requérant :

14. M. E..., en sa qualité de détenu au sein de la maison d'arrêt de Fresnes, présentait de ce seul fait un intérêt suffisant pour demander la remise en état de toutes les cours de promenade de l'établissement, et pas uniquement celles des divisions 1 et 3 dans lesquelles il était affecté, compte tenu des nombreux changements de cellules et de bâtiments dont peuvent faire l'objet les détenus au cours de leur incarcération, et dès lors que l'administration n'établit ni même n'allègue que le demandeur n'aurait jamais ou n'aurait jamais pu être affecté dans d'autres divisions, compte tenu de sa situation individuelle. Le moyen tiré de ce que le requérant est dépourvu d'intérêt à agir doit donc être écarté.

En ce qui concerne la légalité de la décision contestée :

15. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, (...) que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ".

16. Il résulte de ces stipulations et dispositions législatives et réglementaires que tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d'exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de la vulnérabilité de ces personnes, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes.

17. En vertu des textes et principes susrappelés, l'administration pénitentiaire doit assurer aux personnes détenues des conditions de détention respectant notamment les règles d'hygiène et de salubrité, en aménageant et en entretenant à cette fin les bâtiments qui y sont affectés. Le défaut de respect de cette obligation, qui s'apprécie au vu de la situation concrète des détenus et non pas seulement au vu des intentions déclarées et même des actions engagées par l'administration pénitentiaire, est susceptible d'être sanctionné par le juge administratif dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant de procéder à certains aménagements structurels des lieux ou de procéder à certaines opérations d'entretien, sans qu'y fasse obstacle, eu égard au caractère fondamental du principe rappelé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'invocation par l'administration des considérations liées à l'insuffisance des moyens budgétaires ou en personnel alloués au fonctionnement des établissements pénitentiaires.

18. Au cas d'espèce, M. E... a fait valoir devant les premiers juges que la superficie des cours de la maison d'arrêt pour hommes de Fresnes, trop réduite eu égard au nombre de détenus présents dans celles-ci lors des promenades, l'absence de points d'eau et d'urinoirs, l'absence d'abris et de sièges, ainsi que l'absence de surveillance des cours ne permettent pas d'assurer des conditions de détention conformes à la dignité humaine. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du plan et de la photographie produits par le requérant, que les cours de promenade du centre pénitentiaire de Fresnes sont très exigües et pour certaines délabrées. Il ressort des recommandations en urgence du 18 novembre 2016 du contrôleur général des lieux de privation de liberté, relatives à la maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes, que les 128 cours, réparties entre les trois divisions, que comporte l'établissement sont effectivement devenues trop exiguës, ayant été dimensionnées au regard de la capacité théorique de l'établissement, soit 1 226 places, alors que celui-ci est en sur-occupation chronique depuis plusieurs années, avec un effectif au 21 novembre 2016 de 2 474 personnes détenues, soit un taux d'occupation de 202 %. Le rapport mentionne en outre que les cours de promenade sont utilisées quotidiennement de 8h30 à 11h30 et de 14h30 à 17h30, qu'elles sont dépourvues de bancs et d'abris, qu'en l'absence de toilettes, les personnes détenues y urinent dans des bouteilles qu'elles projettent ensuite par-dessus les murs, qu'il n'est pas rare que vingt-cinq personnes soient regroupées dans un espace d'environ 45 m² et que des comportements " adaptés " à la nuisance permanente résultant de la présence de rats se sont développés. Le contrôleur général relève également que la rénovation du centre pénitentiaire de Fresnes constitue une urgence, notamment en ce qui concerne les locaux d'hébergement, les parloirs et les cours de promenade et que, sans l'attendre, des mesures de dératisation et de désinsectisation d'une ampleur adaptée à la situation, avec obligation de résultat, doivent être mises en oeuvre immédiatement. Il souligne en outre que les violences entre personnes détenues sont fréquentes. Le personnel de l'unité sanitaire témoigne d'une augmentation des traumatismes physiques liés à l'augmentation de la population pénale et fait valoir que les cours de promenade constituent des zones de risque, dans lesquelles les personnes détenues sont entassées avec une surveillance illusoire puisqu'un surveillant unique est chargé d'une douzaine de cours alors qu'il ne peut en voir que deux ou trois simultanément et qu'il n'a pas accès à la vidéosurveillance. Les constats ainsi opérés par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, un an encore après la décision implicite litigieuse de mettre aux normes les cours de promenade, ne sont pas sérieusement contestés par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui se borne à invoquer que certains travaux et aménagements ont contribué à l'amélioration de la situation sur place postérieurement au rapport de cette autorité.

19. Il résulte des constatations rappelées au point précédent que les conditions dans lesquelles se déroulent les promenades des détenus dans les cours du centre pénitentiaire de Fresnes excédent le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et sont, dès lors, attentatoires à la dignité des intéressés, et que le refus garde des sceaux, ministre de la justice d'y mettre fin, tel qu'il résulte de la décision implicite de rejet de la demande de M. E..., est illégal.

20. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 6 avril 2018 attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision dont s'agit.

En ce qui concerne la prescription de mesures d'exécution :

21. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce que soit prescrite une mesure d'exécution, de statuer sur ces conclusions en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision.

22. Alors que le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas répliqué au mémoire en défense de M. E... dont il a reçu communication le 25 février 2019, il a attendu le déroulement de l'audience publique du 29 juin 2020 pour présenter, le 3 juillet 2020, une note en délibéré qui comporte des éléments de fait nouveaux, dont rien ne démontre qu'ils n'auraient pu être développés dans des écritures antérieures présentées dans des délais compatibles avec le déroulement normal de l'instruction. Pour regrettable que soit le caractère tardif de cette communication, les éléments produits ne peuvent que conduire la Cour, afin d'assurer le respect du caractère contradictoire de la procédure, à rouvrir l'instruction, afin que la note en délibéré du garde des sceaux, ministre de la justice, soit communiquée au défendeur, et à surseoir à statuer sur les conclusions et moyens du recours du ministre autres que ceux examinés aux points 5 à 20 du présent arrêt, ainsi que sur les conclusions du défendeur tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du garde des sceaux, ministre de la justice, est rejetée dans les limites prévues aux points 5 à 20 des motifs du présent arrêt.

Article 2 : Avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, il sera procédé un supplément d'instruction afin de communiquer à M. E..., pour ses observations éventuelles, la note en délibéré présentée le 3 juillet 2020 par le garde des sceaux, ministre de la justice.

Article 3 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. A... E....

Délibéré après l'audience du 29 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme F..., président de chambre,

- M. C..., président assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2020.

La présidente de la 1ère chambre

S. F...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03088


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03088
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. Exécution des jugements. Exécution des peines. Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : SCP SPINOSI et SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-10;18pa03088 ?
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