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10/07/2020 | FRANCE | N°18PA02921

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 10 juillet 2020, 18PA02921


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... I..., d'une part, et Mme E... K..., agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs, N... C... et O... I..., Mme G... B..., M. A... B..., M. J... I... et Mme D... I..., d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à leur verser respectivement la somme de 3 098 160,80 euros en réparation des préjudices que M. H... I... a subis lors de sa prise en charge au sein de l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Bégin et de 210 000 euros en réparation d

es préjudices qu'ils ont subis du fait de cette prise en charge dans c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... I..., d'une part, et Mme E... K..., agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs, N... C... et O... I..., Mme G... B..., M. A... B..., M. J... I... et Mme D... I..., d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à leur verser respectivement la somme de 3 098 160,80 euros en réparation des préjudices que M. H... I... a subis lors de sa prise en charge au sein de l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Bégin et de 210 000 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait de cette prise en charge dans cet établissement.

Par un jugement n° 1506611 et 1709129 du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Melun a reconnu que l'HIA Bégin avait commis un retard fautif dans le diagnostic et la prise en charge tant du syndrome des loges que du syndrome d'ischémie par lésion vasculaire présentés par M. H... I... de nature à engager la responsabilité de l'Etat et a condamné l'Etat à verser à ce dernier la somme de 130 625,71 euros, à Mme E... K..., en son nom propre, la somme de 5 000 euros et en sa qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs, la somme de 5 000 euros, à Mme G... B... la somme de 750 euros, à M. J... I... la somme de 500 euros et à Mme D... I... la somme de 500 euros, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 84 015,27 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2015 ainsi qu'au fur et à mesure de leur échéance et sur production de justificatifs, la moitié des dépenses de santé engagées pour M. I... postérieures au 10 janvier 2015 et en lien direct avec le dommage corporel subi par l'intéressé du fait des fautes commises par l'HIA Bégin avec intérêts sur les sommes dues à compter de chaque demande de paiement et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 août 2018 et 6 mai 2019, M. H... I... et Mme E... K..., agissant en son nom propre pour le premier et pour le compte de leurs enfants mineurs, N... C... et O... I..., pour le couple, Mme G... B..., M. A... B..., M. J... I... et Mme D... I..., représentés par Me L..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1506611 et 1709129 du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Melun en toutes ses dispositions ;

2°) de condamner l'Etat à verser à M. H... I... les sommes exposées au titre des dépenses de santé actuelles, des frais divers à hauteur de 21 420 euros à parfaire, de la perte de gain professionnel actuel pour un montant de 555 200 euros, du déficit fonctionnel temporaire correspondant à 17 522,50 euros, des souffrances endurées à hauteur de 15 000 euros, des préjudices esthétiques temporaires pour 3 000 euros, des dépenses de santé futures, des frais de logement adapté pour 1 717,10 euros, des frais de véhicule adapté pour 7 513 euros, de l'assistance à tierce personne pour 78 735,20 euros, de la perte de gain professionnel future pour 2 010 928 euros, du préjudice scolaire ou universitaire à hauteur de 9 000 euros, du déficit fonctionnel permanent pour 273 125 euros, du préjudice d'agrément pour 100 000 euros et du préjudice esthétique permanent pour 5 000 euros ;

3°) de condamner l'Etat à verser, en réparation du préjudice d'affection subi, les sommes suivantes :

- à Mme E... K..., conjointe de M. I..., 50 000 euros,

- à Mlle C... I..., fille de M. I..., 30 000 euros,

- à Mlle O... I..., fille de M. I..., 30 000 euros,

- à Mme G... B..., mère de M. I...,30 000 euros,

- à M. A... B..., beau-père de M. I..., 30 000 euros,

- à M. J... I..., frère de M. I..., 20 000 euros,

- à Mme D... I..., soeur de M. I..., 20 000 euros ;

4°) de condamner l'Etat à verser, en réparation du trouble dans les conditions d'existence subi, les sommes suivantes :

- à Mme E... K..., conjointe de M. I..., 50 000 euros,

- à Mlle C... I..., fille de M. I..., 30 000 euros,

- à Mlle O... I..., fille de M. I..., 20 000 euros ;

5°) de déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CPAM et à la société d'assurances PRO BTP ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à M. H... I..., à Mme E... K..., à Mme G... B..., à M. A... B..., à M. J... I... et à Mme D... I....

Ils soutiennent que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée dès lors que l'HIA Bégin a commis un retard fautif dans le diagnostic et la prise en charge du syndrome des loges et d'ischémie par lésion vasculaire dont a souffert M. I... à la suite de l'intervention chirurgicale réalisée le 24 décembre 2011 afin de traiter sa fracture de l'extrémité supérieure du tibia ;

- dès lors que les manquements fautifs commis ont fait perdre à M. I... toute chance d'éviter l'aggravation de son état de santé et les séquelles dont il est désormais atteint, c'est à tort que le tribunal administratif a retenu une perte de chance limitée à 50 % alors qu'elle aurait dû être évaluée à 75 % du fait de son importante capacité de récupération en sa qualité de sportif de haut niveau ;

- le tribunal administratif a procédé à une évaluation erronée, d'une part, des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux actuels et, d'autre part, des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux futurs subis par M. H... I... ;

- le tribunal administratif a procédé à une évaluation erronée des préjudices subis par les membres de la famille de M. H... I....

Par un mémoire en appel incident, enregistré le 12 septembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val de Marne, représentée par Me M..., demande à la Cour, dans l'hypothèse où elle modifierait le pourcentage de responsabilité de l'Etat :

1°) de condamner l'Etat, sur la base du pourcentage qui sera déterminé, à lui verser les sommes de 102 999,96 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 52 492,66 euros au titre des pertes de gains professionnels actuelles, de 14 978,59 euros au titre des arrérages échus au 31 octobre 2015 de la rente au titre de l'accident du travail servie à M. H... I..., à valoir sur les pertes de gains professionnels actuels ou futurs en fonction de la date de consolidation qui sera fixée ;

2°) de confirmer le jugement n° 1506611 et 1709129 du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Melun en ce qu'il a condamné l'Etat à lui verser les arrérages à échoir au 1er novembre 2015 de la rente au titre de l'accident du travail servie à M. H... I... pour un capital de 532 889,02 euros, à valoir sur les pertes de gains professionnels actuels ou futurs en fonction de la date de consolidation qui sera fixée, et sur les postes de préjudice professionnel ou de déficit fonctionnel, les frais futurs au fur et à mesure de leur engagement pour un capital de 69 165,43 euros ;

3°) de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'Etat à lui verser les intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2015 sur les prestations échues, et à compter de leur versement pour les prestations à échoir ;

4°) de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'Etat à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, à hauteur de la somme de 1 066 euros ;

5°) de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que si la Cour devait augmenter le taux de perte de chance retenu par les premiers juges, il conviendrait de condamner l'Etat à l'indemniser des prestations servies et à échoir à hauteur de ce nouveau pourcentage de responsabilité, soit 170 471,21 euros au titre des prestations déjà engagées, des prestations futures au fur et à mesure de leur engagement, ou de 602 054,45 euros si l'Etat opte pour un versement en capital au titre des prestations futures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2019, la ministre des armées conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué.

Elle soutient que :

- il n'est pas contesté que le dommage subi par M. H... I... résulte en partie d'une attitude fautive de l'HIA Bégin ;

- les premiers juges ont procédé à une juste évaluation du montant de l'indemnisation en retenant un taux de perte de chance de 50 % ;

- les sommes allouées en première instance en réparation des préjudices subis doivent être confirmées en l'absence d'élément nouveau de nature à les remettre en cause ;

- le refus d'indemnisation devra être maintenu s'agissant des préjudices pour lesquels aucune indemnisation n'a été allouée par les premiers juges.

La requête a été communiquée à la société d'assurances PRO BTP qui n'a pas produit d'observations.

Par un acte enregistré le 4 septembre 2018, M. H... I... a été désigné en tant que représentant unique des requérants par Me L... à la suite de la demande qui lui a été faite en application de la disposition de l'article R. 611-2 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative,

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me L..., avocat de M. H... I..., Mme E... K... agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs, Mme G... B..., M. A... B..., M. J... I... et Mme D... I....

M. H... I... et Mme E... K..., agissant en son nom propre pour le premier et pour le compte de leurs enfants mineurs, N... C... et O... I..., pour le couple, Mme G... B..., M. A... B..., M. J... I... et Mme D... I... ont produit le 8 juin 2020 une note en délibéré.

Considérant ce qui suit :

1. Le 24 décembre 2011, M. H... I..., gymnaste de haut niveau alors âgé de 25 ans, a été victime d'une chute de 2,5 mètres de hauteur durant un entrainement et les examens réalisés au sein de l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Bégin ont révélé l'existence d'une fracture complexe de l'extrémité supérieure du tibia gauche accompagnée de lésions importantes des parties molles (lésions ligamentaires périphériques, lésions musculaires et contusion du nerf sciatique poplité externe). Une intervention chirurgicale d'ostéosynthèse a alors été réalisée le jour-même suivie d'une aponévrotomie, d'une neurolyse du nerf sciatique poplité externe et d'une réparation du plan ligamentaire externe. Les suites opératoires immédiates ont été marquées par la présence de douleurs intenses, d'une absence de pouls pédieux ainsi qu'un aspect oedématié et pâle de la jambe gauche. Le 26 décembre 2011, l'échodoppler artériel réalisé a mis en évidence notamment une artère tibiale postérieure avec un flux amorti en distal. Un syndrome des loges a alors été diagnostiqué nécessitant une intervention par aponévrotomie le 27 décembre 2011. A la suite de cette opération, un angioscanner a été pratiqué révélant l'existence de lésions au niveau de l'artère poplitée. Une seconde intervention chirurgicale pour revascularisation a été réalisée en urgence le même jour en raison d'un syndrome d'ischémie vasculaire. Le 28 décembre 2011, une thrombectomie a été effectuée afin d'obtenir une meilleure revascularisation. Le 4 février 2012, M. I... a quitté l'hôpital et a été pris en charge en hospitalisation de jour au centre de rééducation de Villiers-sur-Marne jusqu'au 6 décembre 2012. Malgré cette rééducation, l'intéressé présente d'importantes séquelles résultant d'une nécrose musculaire de sa jambe gauche. Le 11 mai 2012, il a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Île-de-France (CRCI) d'une demande d'indemnisation. Le 11 février 2013, les experts désignés par la commission, un chirurgien cardio-vasculaire et un chirurgien orthopédiste, ont remis leur rapport. La CRCI a rendu un avis le 20 mars 2013 dans lequel elle conclut que la réparation des préjudices subis par M. I... incombe à hauteur de 50 % à l'HIA Bégin et que l'état de ce dernier n'étant pas consolidé, il sera procédé à une nouvelle expertise. L'État a proposé le 22 mai 2013 à l'intéressé une transaction amiable que celui-ci a refusée. L'expert médical désigné par l'ordonnance du 3 novembre 2016 du tribunal administratif de Melun a rendu son rapport définitif le 22 janvier 2017 dans lequel il a notamment considéré que la date de consolidation pouvait être fixée au 10 janvier 2015 et que le retard de la prise en charge est responsable de 40 % des préjudices. Par un jugement n° 1506611 et 1709129 du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Melun a reconnu que l'HIA Bégin a commis un retard fautif dans le diagnostic et la prise en charge tant du syndrome des loges que de celui d'ischémie par lésion vasculaire présentés par M. H... I... de nature à engager la responsabilité de l'Etat et l'a condamné à verser à ce dernier la somme de 130 625,71 euros, à Mme E... K..., en son nom propre, la somme de 5 000 euros et en sa qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs, la somme de 5 000 euros, à Mme G... B... la somme de 750 euros, à M. J... I... la somme de 500 euros, à Mme D... I... la somme de 500 euros, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 84 015,27 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2015 ainsi qu'au fur et à mesure de leur échéance et sur production de justificatifs la moitié des dépenses de santé engagées pour M. I... postérieures au 10 janvier 2015 et en lien direct avec le dommage corporel subi par l'intéressé du fait des fautes commises par l'hôpital d'instruction des armées Bégin avec intérêts sur les sommes qui lui seront dues à compter de chaque demande de paiement et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. M. H... I... et autres relèvent appel de ce jugement en tant que le pourcentage de perte de chance d'éviter l'aggravation de son état de santé et des séquelles dont il est désormais atteint doit être évaluée à 75 % et que les indemnités qui leur ont été allouées au titre des différents préjudices subis doivent être augmentées. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne demande, par la voie de l'appel incident, si la Cour devait modifier le pourcentage de responsabilité de l'Etat, une augmentation des indemnités qui lui ont été allouées par les premiers juges ou à défaut de confirmer le jugement précité rendu par le tribunal administratif de Melun le 29 juin 2018.

I. Sur le bien-fondé du jugement :

A. Sur la perte de chance :

2. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Bégin a commis un retard fautif dans le diagnostic et la prise en charge tant du syndrome des loges que de celui d'ischémie par lésion vasculaire présentés par M. I..., qui a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

3. Dès lors que M. I... et autres n'apportent en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de leur contestation concernant le taux de perte de chance, pour M. I..., d'échapper aux séquelles du syndrome des loges et d'ischémie par lésion vasculaire dont il a souffert compte tenu de la gravité de sa fracture initiale, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, de confirmer la fixation de ce taux à 50 %.

B. Sur l'appel incident de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de- Marne :

4. Dès lors qu'il résulte de ce qui a été indiqué au point 3 ci-dessus que le taux de perte de chance de 50 % retenu par les premiers juges est maintenu, les conclusions à fin d'appel incident de la CPAM du Val-de-Marne, qui n'ont été présentées que dans l'hypothèse où le pourcentage de responsabilité de l'Etat serait modifié en appel, ne peuvent donc qu'être rejetées.

C. Sur les préjudices :

a. Sur les préjudices subis par M. I... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Quant aux dépenses de santé :

S'agissant des dépenses de santé avant et après consolidation :

5. Dès lors que M. I... n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions concernant les dépenses de santé avant et après consolidation, il y a lieu d'écarter ces deux chefs de préjudice par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

Quant aux préjudices professionnels :

S'agissant des pertes de gains professionnels avant et après la date de consolidation en qualité de sportif de haut niveau :

6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 11 février 2013 des experts nommés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Île-de-France, que même en l'absence de toute complication, le type de fracture dont M. I... a été victime lors de son accident du 24 décembre 2011 compromettait définitivement sa carrière internationale. Par suite, en se bornant à se prévaloir de l'évaluation réalisée par un expert-comptable le 20 novembre 2017 des pertes de gains liés à l'aide personnalisée, à la prime à la performance, aux contrats commerciaux et à la promotion de spectacles de grands champions sans apporter aucun élément médical permettant d'établir que ladite fracture n'était pas, à elle seule, de nature à compromettre définitivement sa carrière, M. I... n'établit pas que les éventuelles pertes de gains professionnels subies, avant et après la date de consolidation, en lien avec son activité de sportif de haut niveau, seraient directement imputables aux fautes commises par l'HIA Bégin. La demande d'indemnisation formulée à ce titre ne peut donc qu'être rejetée, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

7. Dès lors que M. I... n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions relatives au préjudice scolaire ou universitaire, qui doivent être regardées dans les termes dans lesquels elles sont formulées comme concernant l'incidence professionnelle des préjudices qu'il a subis, qui l'ont conduit à passer et réussir avec succès son examen de professeur de sport, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, de maintenir l'indemnisation à hauteur de 4 500 euros de ce chef de préjudice, après application du taux de perte de chance de 50 % retenu comme indiqué au point 3 du présent arrêt.

Quant aux frais d'assistance par une tierce personne avant et après consolidation :

8. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 22 janvier 2017 de l'expert nommé par le tribunal administratif, qu'à la suite des complications dont M. I... a été victime, son état de santé a nécessité l'assistance non médicalisée d'une tierce personne à hauteur d'une heure par jour du 4 février 2012, date de sa sortie de l'hôpital, jusqu'à la date de consolidation fixée au 10 janvier 2015. Ainsi, pour cette période, en retenant pour base de calcul un coût horaire de 20 euros sur une durée annuelle de 400 jours, prenant ainsi en compte les congés payés et les jours fériés, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en portant la somme allouée à ce titre par le jugement attaqué à 11 737 euros, après application du taux de perte de chance de 50 %, comme indiqué au point 3 du présent arrêt.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert nommé par le tribunal administratif du 22 janvier 2017, que l'état de santé de M. I... nécessitait après consolidation l'assistance d'une tierce personne au titre " des courses prolongées et des grands travaux " 2 heures par semaine. Toutefois, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, cette aide doit être regardée comme étant liée à l'assistance nécessaire portée à l'intéressé dans les actes de la vie quotidienne afin de suppléer sa perte d'autonomie. Ainsi, pour la période comprise entre le 11 janvier 2015 et la date de lecture du présent arrêt, soit 284 semaines, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M. I... la somme de 5 680 euros pour une assistance de deux heures par semaine, compte tenu du taux de perte de chance précédemment indiqué de 50 %. Par ailleurs, s'agissant de la période postérieure à la date de lecture du présent arrêt, l'Etat doit être condamné à verser à M. I..., sous forme d'une rente trimestrielle payable à terme échu, la somme de 20 euros par semaine au titre de l'assistance future par une tierce personne pour une durée de deux heures par semaine, compte tenu du taux de perte de chance précédemment indiqué de 50 %. Cette rente trimestrielle devra être revalorisée selon les modalités et le coefficient prévus aux articles L. 434-17 et L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

Quant aux frais divers :

10. S'agissant des frais de logement adapté, s'il résulte de l'instruction que les difficultés motrices de M. I... justifient effectivement l'aménagement de sa salle de bain par l'installation d'une douche à l'italienne, le seul devis obtenu sur Internet qu'il produit consiste uniquement en un comparatif entre l'installation d'une baignoire et d'une douche simple, qui ainsi ne permet pas d'établir de manière certaine le coût que représente l'installation d'une douche à l'italienne à son domicile. Par suite, la demande d'indemnisation formulée à ce titre doit donc être rejetée, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges.

11. S'agissant des frais de véhicule adapté, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 22 janvier 2017 de l'expert nommé par le tribunal administratif, que l'état de santé de M. I... nécessite l'utilisation d'un véhicule adapté avec boîte automatique. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. I... la somme de 4 752,70 euros, après application du taux de perte de chance de 50 % indiqué au point 3 du présent arrêt..

12. S'agissant des frais de port de béquilles et d'un releveur de pied, dès lors que M. I... n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions indemnitaires, il y a lieu d'écarter ce chef de préjudice par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... est seulement fondé à demander à ce que la somme qui lui a été allouée par les premiers juges au titre des frais d'assistance par une tierce personne avant consolidation soit portée à 11 737 euros, qu'après consolidation et jusqu'à la date de lecture du présent arrêt la somme de 5 680 euros lui soit allouée au titre des frais d'assistance par une tierce personne et qu'une rente trimestrielle payable à terme échu lui soit versée à hauteur de 20 euros par semaine au titre de l'assistance future par tierce personne pour une durée de deux heures par semaine compte tenu du taux de perte de chance de 50 %. Ainsi compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, l'Etat doit être condamné à verser à M. I... la somme totale de 22 845,27 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux ainsi que la rente trimestrielle précitée dans les conditions précisées au point 9 du présent arrêt.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

Quant aux préjudices temporaires :

14. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 22 janvier 2017 de l'expert nommé par le tribunal administratif, que M. I... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire total du 24 janvier 2012 au 26 juillet 2012. Il a également subi un déficit fonctionnel temporaire partiel de 60 % du 27 juillet 2012 au 1er juin 2014 et un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 % du 2 juin 2014 au 9 janvier 2015. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. I..., compte tenu du taux de perte de chance de 50 %, la somme de 5 074 euros.

15. Il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports d'expertise, que les souffrances endurées par M. I... ont été évaluées à 5 sur une échelle de 7. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. I... la somme de 7 500 euros, compte tenu du taux de perte de chance retenu.

16. Il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports d'expertise, que le préjudice esthétique temporaire subi par M. I... a été évalué à 3 sur une échelle de 7. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. I... la somme totale de 1 000 euros, compte tenu du taux de perte de chance retenu.

Quant aux préjudices permanents :

17. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 22 janvier 2017 de l'expert nommé par le tribunal administratif, que M. I... souffre d'un déficit fonctionnel permanent en lien avec les fautes commises évalué à 57,5%. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en lui allouant, compte tenu de son âge 29 ans à la date de consolidation le 10 janvier 2015 et après application du taux de perte de chance retenu, la somme de 87 500 euros.

18. S'agissant du préjudice esthétique permanent, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 22 janvier 2017 de l'expert nommé par le tribunal administratif, qu'il doit être évalué à 3 sur une échelle de 7 en raison de la cicatrice, de l'extrême amyotrophie et de l'équin du membre inférieur gauche, de l'impossibilité de marcher avec des chaussures et de la nécessité de marcher avec une canne. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice, compte tenu du taux de perte de chance retenu, en portant la somme de 2 000 euros allouée à M. I... par le jugement attaqué à la somme de 5 000 euros.

19. S'agissant du préjudice d'agrément, il résulte de l'instruction que dans les circonstances particulières de l'espèce, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice par les motifs qu'ils ont énoncé au point 38 du jugement attaqué en allouant à M. I... la somme de 15 000 euros, compte tenu du taux de perte de chance retenu.

20. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... est seulement fondé à demander à ce que la somme qui lui a été allouée par les premiers juges au titre de son préjudice esthétique permanent soit portée à 5 000 euros. Par suite, compte tenu du taux de perte de chance retenu, l'Etat doit être condamné à verser à M. I... la somme de 121 074 euros au titre de ses préjudices extrapatrimoniaux.

b. Sur les préjudices subis par les proches de M. I... :

21. S'agissant des troubles dans ses conditions d'existence et du préjudice d'affection subi par Mme K..., concubine de M. I..., les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ces postes de préjudice, compte tenu de la gravité du handicap de son conjoint, en lui allouant la somme de 5 000 euros.

22. S'agissant des troubles dans ses conditions d'existence et du préjudice d'affection subi par les filles mineures de M. I..., les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ces postes de préjudice, compte tenu de la gravité du handicap de leur père, en allouant à chacune la somme de 2 500 euros, compte tenu du taux de perte de chance retenu.

23. Dès lors que Mme G... B..., mère de M. I... et que M. A... B..., beau-père de M. I..., n'apportent en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de leur préjudice d'affection, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges d'une part, de maintenir la somme de 750 euros allouée à la mère de la victime et, d'autre part, de rejeter la demande d'indemnisation présentée à ce titre par M. A... B..., de beau-père de M. I....

24. S'agissant du préjudice d'affection de M. J... I... et de Mme D... I..., respectivement frère et soeur de M. I..., les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en leur allouant à chacun la somme de 500 euros.

25. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... K..., agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs, Mme G... B..., M. A... B..., M. J... I... et Mme D... I... ne sont pas fondés à demander à ce que les indemnités qui leur ont été allouées par les premiers juges soient augmentées.

D. Sur la demande de déclaration de l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CPAM et à la société d'assurance PRO BTP :

26. Dès lors qu'en tout état de cause, il n'appartient pas à la Cour de prononcer des déclarations, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

II. Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. H... I... de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, les conclusions présentées à ce titre par Mme E... K... agissant en son nom propre et pour le compte de ses enfants mineurs, par Mme G... B..., par M. A... B..., par M. J... I... et par Mme D... I... ne peuvent qu'être rejetées, ceux-ci ayant vu leurs demandes d'augmentation de leurs prétentions indemnitaires rejetées. Enfin, il n'y a pas non plus lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la CPAM du Val-de-Marne d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 130 625,71 euros que l'Etat a été condamnée à verser à M. H... I... par le jugement n° 1506611 et 1709129 du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Melun est portée à la somme de 143 919,27 euros ; en outre, une rente trimestrielle, calculée selon les modalités définies au point 9 du présent arrêt, doit être versée pour l'avenir à M. I....

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1506611 et 1709129 du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Melun est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser une somme de 1 500 euros à M. H... I... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de l'appel incident de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... I..., désigné comme représentant unique par l'acte du 4 septembre 2018, à la ministre des armées, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et à la société d'assurance PRO BTP.

Copie en sera adressée pour information à l'hôpital d'instruction des armées Bégin.

Délibéré après l'audience du 8 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Luben, président,

- Mme F..., premier conseiller,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2020.

Le président de la formation de jugement,

I. LUBEN

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

12

N° 18PA02921


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02921
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Existence d'une faute. Retards.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : KATO et LEFEBVRE ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-10;18pa02921 ?
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