Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 28 mai 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté sa demande de reconnaissance du transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux en Polynésie française.
Par un jugement n° 1900204 du 31 octobre 2019, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 novembre 2019, et un mémoire enregistré le 2 juin 2020, M. C..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1900204 du Tribunal administratif de la Polynésie française en date du 31 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 28 mai 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté sa demande de reconnaissance du transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux en Polynésie française ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal, en faisant du caractère continu de la durée du séjour un critère d'appréciation déterminant du lieu où ont été transférés ses intérêts matériels et moraux, a excédé sa compétence et commis une erreur de droit ;
- l'instruction de sa demande ne s'est pas faite dans des conditions régulières, dès lors qu'il n'a pas été mis à même de prendre connaissance des notes de la Direction régionale de Polynésie française du 30 avril 2019 et du Haut-Commissariat en Polynésie française du 13 mai 2019, dont il est fait mention dans la décision de rejet ; il n'a pu ainsi formuler des observations utiles à sa demande, dans le cadre d'une procédure contradictoire ;
- l'administration n'a pas pris en compte tous les éléments qu'il a communiqués à l'appui de sa nouvelle demande et a commis, ce faisant, une erreur de droit ;
- l'administration a ignoré l'article 215 du code civil, son mariage, datant de 1993, ne pouvant être considéré comme un mariage de circonstance ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article 60 de la loi 84-16 sur le rapprochement de conjoints ;
- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention de New-York sur les droits de l'enfant ;
- l'administration a méconnu le principe d'égalité de traitement ;
- il entend se référer à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française, ensemble la loi n° 2004-193 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée ;
- le décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,
- et les observations de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., inspecteur des douanes et droits indirects, fait appel du jugement en date du 31 octobre 2019, par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 mai 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté sa demande de reconnaissance du transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux en Polynésie française.
2. Aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 26 novembre 1996 : " Le présent décret est applicable (...) aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'Etat, ainsi qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire affectés dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle- Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, qui sont en position d'activité ou détachés auprès d'une administration ou d'un établissement public de l'Etat dans un emploi conduisant à pension civile ou militaire de retraite. Il ne s'applique ni aux personnels dont le centre des intérêts matériels et moraux se situe dans le territoire où ils exercent leurs fonctions ni aux membres des corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française ni aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " La durée de l'affectation dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna est limitée à deux ans. Cette affectation peut être renouvelée une seule fois à l'issue de la première affectation ".
3. Il résulte des dispositions précitées que la limitation de la durée de séjour à deux ans renouvelables une seule fois ne s'applique pas aux personnels dont le centre des intérêts matériels et moraux se situe dans la collectivité où ils exercent leurs fonctions. La localisation du centre des intérêts matériels et moraux d'un agent, qui peut varier dans le temps, doit être appréciée, dans chaque cas, à la date à laquelle l'administration, sollicitée le cas échéant par l'agent, se prononce sur l'application d'une disposition législative ou réglementaire. Pour la détermination du centre des intérêts matériels et moraux d'un agent, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge, de tenir compte d'un faisceau de critères, notamment relatifs au lieu de résidence des membres de la famille, à la situation immobilière, à la disposition de comptes bancaires ou postaux, et aux attaches conservées par l'intéressé avec la métropole ou dans d'autres territoires d'outre-mer, que ni la loi, ni les règlements n'ont définis.
4. Pour rejeter la demande de M. C... tendant à la reconnaissance du transfert en Polynésie française du centre de ses intérêts matériels et moraux, le ministre de l'action et des comptes publics a relevé que l'intéressé, qui était né à Paris, avait vécu en métropole jusqu'à l'âge de 45 ans, qu'il y avait effectué toute sa scolarité ainsi que la majorité de sa carrière professionnelle au sein de l'administration des douanes, que son épouse était née en Colombie et ses deux enfants en métropole, que sa mère y résidait également et qu'il était propriétaire d'un appartement à Paris.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de sa demande, M. C... avait déjà effectué trois séjours en Polynésie française, d'une durée totale de 10 ans, le premier, entre 2003 et 2007, en tant que chef du service informatique de la direction régionale des douanes, le deuxième, de 2010 à 2014, en qualité de chef du bureau de douane de Faa'a fret et le dernier, à compter du 17 janvier 2016, en tant que chef du Service régional d'enquêtes. Son épouse, qui a été recrutée comme aide-soignante contractuelle en 2004 au Centre hospitalier de Polynésie française, puis titularisée en 2005, a suivi durant les années 2012 à 2015, une formation d'élève infirmière et a souscrit avec le Centre hospitalier un contrat d'engagement de servir neuf ans. Titularisée en 2018, elle a été affectée au service de cardiologie du Centre hospitalier. Leurs deux enfants ont été scolarisés en Polynésie française et y font leurs études. Durant sa période d'affectation du 16 janvier 2014 au 18 janvier 2016 à Paris, à la direction interrégionale d'Île-de-France, M. C... a sollicité et obtenu le bénéfice d'un temps partiel annualisé, afin de pouvoir rejoindre régulièrement sa famille, demeurée en Polynésie française. Par ailleurs, les époux C... ont signé le 11 avril 2019 un compromis de vente pour l'acquisition de la maison dans laquelle ils résidaient jusqu'alors en tant que locataires. La cession du bien a été réalisée devant notaire le 10 juillet suivant. Enfin, ils ont leurs comptes bancaires en Polynésie française et y sont inscrits sur les listes électorales. Ainsi, au vu de l'ensemble de ces éléments, dont la réalité et la pertinence ne sauraient être remises en cause par la circonstance qu'il a perçu, pour chaque affectation en Polynésie française, une indemnité d'éloignement, M. C... doit être regardé comme ayant, à la date de la décision contestée, transféré le centre de ses intérêts matériels et moraux en Polynésie française. Il est, dès lors, fondé à demander l'annulation de la décision du 28 mai 2019 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics à rejeté sa demande tendant à voir reconnaître l'existence de ce transfert.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1900204 du Tribunal administratif de la Polynésie française en date du 31 octobre 2019 et la décision du ministre de l'action et des comptes publics en date du 28 mai 2019 rejetant la demande de M. C... de reconnaissance du transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux en Polynésie française sont annulés.
Article 2 : L'État versera une somme de 1 500 euros à M. C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme D..., président assesseur,
- M. Doré, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2020.
Le président,
S.-L. FORMERY
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA03534 2