La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/07/2020 | FRANCE | N°19PA02659

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 07 juillet 2020, 19PA02659


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) et le docteur Barei à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation des préjudices qu'il impute à des interventions réalisées à l'hôpital Bichat en septembre 2001 et en octobre 2002 et, subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale.

Par un juge

ment avant dire droit n°1605321 du 28 septembre 2017, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) et le docteur Barei à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation des préjudices qu'il impute à des interventions réalisées à l'hôpital Bichat en septembre 2001 et en octobre 2002 et, subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale.

Par un jugement avant dire droit n°1605321 du 28 septembre 2017, le tribunal administratif de Paris a mis hors de cause le docteur Barei et a ordonné une expertise médicale.

Par un jugement n° 1605321 du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 août 2019 et 27 février 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1605321 du 13 novembre 2018 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'indemnisation ;

2°) d'ordonner une nouvelle expertise ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'AP-HP et l'ONIAM à lui verser la somme totale de 30 000 euros au titre des souffrances endurées et de son préjudice sexuel ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP et de l'ONIAM la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'expertise comporte des incertitudes quant au lien entre les cures d'éventration effectuées au sein de l'AP-HP et les épisodes sub-occlusifs et occlusifs à répétition dont il a souffert, quant à leur imputabilité aux interventions litigieuses et quant à la détermination des responsabilités ainsi qu'à l'importance des préjudices ;

- l'expert ne s'est par ailleurs pas prononcé sur la pertinence de la méthode suivie par le docteur Barei au cours des opérations réalisées en 2001 et 2002 ;

- il n'explique pas en quoi les opérations réalisées par ce médecin ont été réalisées dans les règles de l'art, alors même qu'il produit un certificat médical dont il résulte que tel n'a pas été le cas ;

- la date de consolidation fixée au 23 juin 2004 par l'expert est contestable au vu de l'attestation établie par le docteur Bittan, le 29 juin 2016 ;

- les conclusions du docteur Boukris, qu'il verse aux débats, justifient qu'une nouvelle expertise soit ordonnée ;

- à défaut de contre-expertise, il est fondé à réclamer le paiement d'une indemnité de 20 000 euros au titre des souffrances endurées ainsi qu'une indemnité de 10 000 euros au titre du préjudice sexuel.

Par une lettre, enregistrée le 23 septembre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis déclare ne pas intervenir dans l'instance.

Par un mémoire, enregistré le 15 janvier 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me C..., conclut à sa mise hors de cause et, en tout état de cause, au rejet de toute demande d'indemnisation formée le cas échéant à son encontre.

Il soutient que :

- il ressort du rapport d'expertise que la prise en charge de M. A... a été conforme aux règles de l'art et qu'il n'existe pas de lien de causalité direct et certain entre les troubles dont il se plaint et les interventions réalisées à l'hôpital Bichat ;

- les conditions d'une indemnisation au titre de solidarité nationale ne sont pas remplies ;

- il ne saurait être condamné solidairement ou in solidum avec un tiers responsable ;

- rien ne justifie une nouvelle expertise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2020, l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'action de M. A... est prescrite en application de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, l'expert ayant considéré que l'état de santé du patient était consolidé depuis le

23 juin 2004, alors que la réclamation préalable indemnitaire n'a été faite que le 5 février 2016 ;

- le requérant n'établit pas qu'une faute aurait été commise lors de sa prise en charge au sein de l'Hôpital Bichat en 2001 et 2002 ; l'expertise judiciaire n'a pas conclu à une telle faute ;

- les troubles physiologiques et psychologiques de M. A... ne sont pas imputables à sa prise en charge au sein de l'AP-HP ;

- le rapport de l'expertise est complet et dépourvu de toute ambiguïté.

M. A... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2019.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 mars 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Me D... représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Victime en 1994 d'un attentat à la grenade en Algérie, à l'origine d'une perforation intestinale qui a causé une péritonite, M. A... a été pris en charge sur place. Malgré une laparotomie et la pose d'une plaque, le requérant a conservé de nombreux fragments métalliques dans les parties molles sur tout le corps et dans la cavité péritonéale. Après son arrivée en France, M. A... a fait l'objet de deux cures d'éventration, les 5 septembre 2001 et 22 octobre 2002, à l'hôpital Bichat. Une seconde récidive a rendu nécessaire une troisième opération réalisée au centre médico-chirurgical de la porte de Pantin en juin 2004. M. A..., qui estime que les deux premières interventions étaient fautives, a demandé à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), par un courrier du 5 février 2016 auquel il n'a pas été répondu, de l'indemniser de ses préjudices. Par un jugement du 13 novembre 2018 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'AP-HP et de l'ONIAM soient condamnés à lui verser la somme de 500 000 euros. M. A..., qui relève appel de ce jugement, conclut à titre principal à ce que la cour ordonne une seconde expertise et, à titre subsidiaire, à ce qu'elle condamne l'AP-HP et l'ONIAM à l'indemniser de ses préjudices.

Sur la demande de nouvelle expertise :

2. Dans son rapport déposé le 12 janvier 2018, le docteur Hubinois, expert désigné par le tribunal administratif par jugement avant dire droit du 28 septembre 2017, a répondu de façon claire, précise et circonstanciée, et sans se contredire, à l'intégralité des questions posées par les premiers juges s'agissant notamment de l'identification d'éventuelles fautes relatives au diagnostic, aux traitements prodigués, aux techniques chirurgicales appliquées et au suivi post-opératoire, de l'origine des préjudices invoqués et du lien de causalité entre ces derniers et les fautes alléguées. La circonstance que l'expert mentionne que des incertitudes subsistent sur le lien entre les cures d'éventration réalisées au sein de l'AP-HP et les épisodes sub-occlusifs et occlusifs à répétition dont a souffert le requérant ne saurait en elle-même révéler une quelconque lacune dans la réalisation de sa mission. La première expertise comportant l'ensemble des éléments utiles pour que les parties débattent contradictoirement devant le juge des éléments de fait et des appréciations de l'expert, les conclusions de M. A... tendant à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée doivent être rejetées.

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I.-Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du docteur Hubinois, chirurgien viscéral désigné par le tribunal administratif de Paris, que le choix d'effectuer lors de la première cure une simple suture et ainsi de recourir à la moins lourde et la moins contraignante pour le patient des deux types d'interventions envisageables, était pertinent et adapté au regard de l'âge et de la condition physique de M. A..., et que le risque de complication non fautive sous forme de récidive, de l'ordre d'au moins 5 %, était connu. Selon l'expert, le recours à la pose d'un treillis prothétique à l'occasion de la récidive survenue en 2002, soit le deuxième mode de prise en charge envisageable, était également adapté même s'il comportait lui-même un risque de récidive de l'ordre de 10 à 15 %, un tel risque, selon l'homme de l'art, étant inhérent aux cures d'éventration et augmentant avec le nombre d'interventions. Le lâchage des agrafes posées en 2002 et la rétractation de la plaque qui s'est pelotonnée, constatés le 6 avril 2004, étaient une complication connue et décrite dans les cures d'éventration. Ainsi donc, les cures d'éventration réalisées les 5 septembre 2001 et 22 octobre 2002, quand bien même auraient-elles été suivies d'une troisième récidive traitée avec succès, ont été réalisées conformément aux règles de l'art, tant en ce qui concerne le diagnostic qu'en ce qui concerne le traitement administré, les techniques chirurgicales utilisées et le suivi post-opératoire. Le docteur Hubinois a par ailleurs précisé, d'une part, que les douleurs d'estomac dont se plaint le requérant, consécutives à une hernie hiatale ainsi que son état de fatigue sont sans lien avec les actes chirurgicaux critiqués et, d'autre part, que le lien de causalité entre les troubles sub-occlusifs et occlusifs dont a souffert M. A... et les fautes invoquées n'est pas certain, la probabilité que ces derniers soient imputables à la péritonite survenue en 1994 étant de l'ordre de 80 %.

5. Pour contredire les conclusions de l'expert, M. A... verse aux débats les certificats du docteur Mouhoub, médecin en chirurgie générale à Tizi-Ouzou en date du 1er février 2018 et du docteur Boukris, médecin-conseil diplômé en réparation juridique du dommage corporel en date du 14 février 2020. Pour autant, ces brefs avis, rédigés sur pièces, qui procèdent par affirmation pour le premier et de façon prudente et hypothétique pour le second, ne sont pas de nature à remettre en cause l'analyse et les conclusions particulièrement circonstanciées et s'appuyant sur la littérature médicale du docteur Hubinois, médecin expert spécialisé en chirurgie viscérale, qui s'est prononcé sur ces questions au terme d'une expertise judiciaire contradictoire.

6. Par suite, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris dans la prise en charge médicale et chirurgicale de M. A....

7. Au surplus, l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, applicable en l'espèce, prévoit que les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage. La consolidation de l'état de santé de la victime d'un dommage corporel fait courir le délai de prescription pour l'ensemble des préjudices directement liés au fait générateur qui, à la date à laquelle la consolidation s'est trouvée acquise, présentent un caractère certain permettant de les évaluer et de les réparer, y compris pour l'avenir. Si l'expiration du délai de prescription est sans incidence sur la possibilité d'obtenir réparation de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation, elle fait en revanche obstacle à l'indemnisation des préjudices déjà acquis et certains à cette date. En l'espèce, l'expert judiciaire a estimé que l'état de santé de M. A... était consolidé au 23 mars 2004, ce que ne contredit pas utilement l'attestation en sens contraire du docteur Bittan, médecin traitant de

M. A... depuis 2015, qui n'est ni circonstanciée, ni argumentée. En l'absence de tout élément dont se déduirait une aggravation de l'état de M. A... depuis le 23 mars 2004, l'action engagée par le requérant le 5 février 2016, date à laquelle il a adressé pour la première fois à l'AP-HP une demande indemnitaire était en tout état de cause prescrite, ainsi que le lui oppose l'établissement hospitalier.

8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires dirigées contre l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris doivent être rejetées.

Sur la responsabilité de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :

9. Si M. A... demande, sans autre précision, la condamnation de l'ONIAM, il ne résulte pas de l'instruction que le dommage dont il fait état ouvre droit à réparation de ses préjudices au titre de la solidarité nationale.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et l'ONIAM soient condamnés à l'indemniser de ses préjudices.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'AP-HP présentées sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'AP-HP, présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3: Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience publique du 23 juin 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme B..., premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 juillet 2020.

Le rapporteur,

M-G... B... Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIER Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

2

N° 19PA02659


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02659
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : JOUANIN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-07;19pa02659 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award